L'usufruit et la nue-propriété

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Article publié par Olivier.

Des indications sur le régime juridique de l'usufruit et de la nue-propriété

( dernière mise à  jour par Mathou le 6/08/2005 )



D'après l'ouvrage de C. Atias, ed Litec

L'usufruit confère temporairement la jouissance directe de la chose d'autrui. Le bénéficiaire est appelé usufruitier et celui qui conserve la vocation à  la propriété est désigné comme nu-propriétaire.
La constitution d'un usufruit revient à  séparer la propriété en droits inégaux et indépendants. Cette situation doit donc être limitée dans le temps, et un démembrement perpétuel de la propriété ne peut être qualifié d'usufruit.
A la fin de l'usufruit, la pleine propriété se reconstitue sur la tête du nu-propriétaire. Ainsi cette vocation à  redevenir plein propriétaire limite-t-elle les droits de l'usufruitier, et limite sa liberté d'initiative.
Les droits de l'usufruitier et du nu-propriétaire sont indépendants. L'usufruit et la nue-propriété sont deux droits réels, et la cession de la nue-propriété est sans conséquence sur l'usufruit.
Ce droit réel d'usufruit met le bénéficiaire en relation directe avec la chose ce qui le distingue du locataire qui n'a qu'un droit personnel contre le bailleur.
L'usufruitier étant possesseur, il est censé posséder pour le nu-propriétaire.

L'usufruit peut naître dans des circonstances diverses : il existe des usufruits légaux (en droit des successions plus particulièrement), mais aussi des usufruits conventionnels ou par testament.
Le plus souvent il est constitué lors de la vente d'un bien : le vendeur peut se réserver l'usufruit, ce qui permet de diminuer le prix de vente et de laisser la jouissance du bien au vendeur.

Déroulement normal de l'usufruit

Il faut distinguer l'usage , l'entretien et la garde du bien.

{{L'usage de la chose}}

- {L'usufruitier} a le droit de se servir de la chose et d'en retirer les fruits. Il peut donc exercer toutes les utilités concrètes de la chose, et décider d'en retirer des revenus. Il est doté d'un pouvoir d'administration, ainsi que d'une certaine possibilité d'accession, dans la mesure o๠sa jouissance s'étend à  tous les accessoires matériels et juridiques du bien assujetti (art 596 et 597 cciv). Si ces droits se trouvaient réduits, alors le bénéficiaire du démembrement ne serait plus reconnu comme usufruitier, mais comme titulaire d'un simple droit d'usage ou d'habitation.

La situation de l'usufruitier ne repose pas sur des engagements pris par le nu-propriétaire ni sur sa participation active au maintien des conditions requises pour permettre d'utiliser la chose selon sa destination (art 599 cciv).
Le propriétaire n'a pas à  mettre le bien assujetti en état de servir à  l'usage auquel il est destiné, il ne lui incombe pas de garantir l'usufruitier contre les troubles infligés par des tiers (art 600 cciv).
L'usufruit peut être hypothéqué puisqu'il s'agit d'une part de la propriété d'un bien extérieure au patrimoine du nu-propriétaire (art 2118-2° cciv).

- {Le nu-propriétaire} ne peut profiter concrètement de son bien, il est en attente. Il ne peut céder que son droit, ne peut monnayer que la valeur représentative de sa faculté de disposer et de sa vocation à  devenir plein propriétaire ( nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipso habet… ) En revanche, il peut vendre la nue-propriété (sans que ceci porte atteinte d'ailleurs aux droits de l'usufruitier sur le bien) ou encore l'hypothéquer.
Il peut également prendre toutes mesures nécessaires à  la sauvegarde de son droit contre l'usufruitier et contre les tiers.

L'usufruit est défini à  l'art 578 cciv. De cette définition, il ressort qu'il n'y a pas de limite au pouvoir de l'usufruitier agissant avec le concours du nu-propriétaire. L'usufruit a beau être la propriété même dans un de ses éléments, il comporte l'obligation de conserver la substance du bien objet de l'usufruit. L'usufruitier ne peut ni détruire, ni détériorer la chose qui lui est confiée. Le problème qui se pose est de savoir si toute innovation lui est interdite. L'idée de bonne gestion laisse néanmoins penser que tout projet favorable à  une meilleure utilisation des biens, à  l'accroissement de leur utilité devrait être autorisé, et ce malgré l'opposition extrême des textes (art 599 cciv), qui excluent tout changement de l'utilisation à  laquelle le bien est affecté.

Néanmoins ces dispositions n'ont pas pour but de condamner toutes les initiatives de l'usufruitier, puisque l'usage du bien doit rester possible.
La charge de conserver la substance impose seulement à  l'usufruitier de ne pas apporter au bien de transformations inutiles.
Ainsi, tout modification de la chose est licite dès lors qu'elle constitue une réponse normale par-delà  une évolution des techniques ou des conditions économiques indépendantes de la volonté de l'usufruitier. Dans le cas d'améliorations utiles et si des indemnités sont dues par lui au nu-propriétaire, il peut invoquer la compensation. En revanche, une plus-value apportée au bien ne lui permet pas de réclamer une somme d'argent.


{{L'entretien de la chose (art 605, 606 cciv)}}

Les articles 605 et 606 répartissent les charges d'entretien de la chose. Encore convient-il de différencier contribution à  la dette et obligation à  la dette.

Pour ce qui est de la contribution à  la dette, les réparations d'entretien seules sont à  la charge de l'usufruitier. Les grosses réparations, dont le contenu est défini limitativement par l'article 606, et seulement si elles n'ont pas été rendues nécessaires par un défaut d'entretien pendant la durée de l'usufruit, sont à  la charge du nu-propriétaire.
Les réparations d'entretien sont définies de manière négative : ce sont toutes les réparations qui n'entrent pas dans la catégorie des grosses réparations. Seules les dépenses les plus lourdes sont donc à  la charge du nu-propriétaire.

Du côté de l'obligation à  la dette, l'usufruitier est obligé d'exécuter les réparations d'entretien, et peut être condamné à  les exécuter, à  peine de déchéance possible de l'usufruit, puisque l'obligation d'entretien est l'accessoire du droit réel dont il est titulaire. En revanche, le nu-propriétaire n'a aucune obligation de procéder aux travaux de grosses réparations, mais ne peut exiger de l'usufruitier qu'il les effectue. L'usufruitier n'a aucun moyen de le contraindre à  réaliser ces réparations. Si l'usufruitier fait l'avance des grosses réparations, il peut en obtenir l'indemnisation en fin d'usufruit (ce qui pose d'ailleurs problème en cas d'usufruit viager…). L'article 603 cciv n'est pas d'ordre public et peut donc être aménagé par une clause de l'acte constitutif de l'usufruit.

{{La garde de la chose}}

Les conséquences de la destruction de la chose sont réglées en respectant la nature réelle de l'usufruit.
La destruction totale de la chose met fin à  l'usufruit, mais en revanche une destruction partielle laisse subsister l'usufruit sur ce qui reste (art 623 et 624 al2). L'article 607 ajoute d'ailleurs qu'il n'existe aucune obligation de reconstruction à  l'encontre de l'usufruitier ou du nu-propriétaire.
A l'égard des tiers, c'est l'usufruitier qui est gardien de la chose, et donc qui répond des dommages causés par elle, sauf si le dommage est causé par la ruine de l'immeuble, auquel cas c'est le nu-propriétaire qui en répond.
Hors cas fortuit, c'est l'usufruitier qui est responsable de la destruction du bien


{{Circonstances particulières de l'usufruit.}}

Lors de l'entrée en jouissance, deux obligations pèsent sur l'usufruitier : tout d'abord il doit, en présence du nu-propriétaire, dresser un état des immeubles et un inventaire des meubles (art 600 cciv). Ensuite, il a obligation de fournir caution d'un tiers. Cette seconde obligation n'est pas d'ordre public et le nu-propriétaire dispense souvent l'usufruitier de cette obligation.


{{L'activité juridique de l'usufruitier}}

L'usufruitier n'est pas obligé de jouir personnellement de la chose, et peut chercher à  en tirer un profit pécuniaire. Il peut hypothéquer son droit (cf supra).
Il peut également céder son usufruit, mais il faut remarquer qu'ici l'intuitus personae va ressurgir dans les effets de la cession. En effet tout d'abord la convention des parties peut interdire la cession de l'usufruit (prévue par l'art 595 al 1 cciv). De plus, la cession du droit ne confère pas vraiment la totalité de l'usufruit à  son bénéficiaire. Son droit ne sera pas viager. En effet, il s'éteindra au décès de l'usufruitier cédant.

C'est l'usufruitier qui peut donner à  bail le bien objet du droit puisqu'il a seul qualité pour exercer les droits attachés à  la qualité de bailleur. Mais peut-il conclure tout bail ?
Le bail de droit commun ne pose pas de véritable problème, il peut être conclu par l'usufruitier et sera opposable au nu-propriétaire s'il retrouve la pleine propriété avant le terme du bail, mais le locataire n'a le droit que de d'achever la jouissance de la période de neuf ans o๠il se trouve (art 596 al 2)

Les baux ruraux et commerciaux excèdent quant à  eux la simple administration des biens en raison des avantages conférés au preneur. La formation de ces actes requiert donc à  peine de nullité le concours de l'usufruitier et du nu propriétaire. L'usufruitier pour donner le fonds de commerce objet de son droit en location gérance sans accord du nu-propriétaire.
De plus il peut être autorisé par justice à  passer seul un contrat qui ne paraît pas inopportun. De plus, le bénéficiaire du bail peut être protégé s'il est en mesure d'invoquer la théorie de l'apparence.


{{Extinction de l'usufruit}}

L'usufruit ne pourrait être perpétuel. Il cesse à  la mort de l'usufruit, même s'il a constitué pour une durée fixée dans l'acte constitutif pour une durée non encore échue à  la date du décès. En revanche, la mort d'un tiers ne saurait être assimilée à  celle de l'usufruitier, et donc si l'usufruit est accordé jusqu'à  ce qu'un tiers ait atteint un certain à¢ge dure jusqu'à  cette époque, même si le tiers décède avant le terme.
Il est possible de constituer des usufruits successifs, mais le droit du second usufruitier ne commencera qu'au décès du premier.
Si l'usufruit est accordé à  une personne morale, sa durée maximale est de trente ans.

D'autres causes d'extinction existent : (art 617 cciv)
- La consolidation
- La prescription extinctive (seule le droit de propriété n'est pas soumis à  prescription extinctive)
- La perte de la chose
- La renonciation par l'usufruitier à  son droit, si elle est certaine et manifestée sans équivoque.
- La déchéance judiciaire pour abus de jouissance (art 618 cciv). C'est une sanction des excès commis par l'usufruitier. La décision de l'opportunité du prononcé appartient au pouvoir souverain des juges du fond. On y recourt généralement quand la nue-propriété a été méconnue ou menacée. Le seul abandon des lieux ne peut pas suffire à  provoquer la déchéance.

Une dernière possibilité peut être de convertir l'usufruit en rente viagère. Le nu-propriétaire retrouve la jouissance de son bien à  charge de payer une somme déterminée à  l'usufruitier. Elle peut avoir deux origines : soit elle est issue de l'initiative du juge qui n'a pas jugé opportun de prononcer une extinction absolue de l'usufruit (art 618 al 3 cciv), soit elle procède d'une initiative des nus-propriétaires qui ont la possibilité de demander jusqu'au partage définitif que l'usufruit du conjoint survivant soit converti en rente viagère équivalente. Un accord entre nu-propriétaire et usufruitier peut également décider cette conversion.
Cette possibilité montre bien que l'usufruit tend à  répartir les utilités d'un bien entre deux personnes qui ne peuvent s'ignorer mutuellement. Si un conflit apparaît, cette possibilité permet de sortir rapidement de la crise, en remplacement la chose objet de l'usufruit par une somme d'argent à  l'actif du patrimoine de l'usufruitier, tout en sauvegardant les droits de l'une et de l'autre des parties.

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Bonjour
Ma mère, ayant deux enfants de son premier mariage, s'est remariée avec une personne qui avait elle-même trois enfants de son premier mariage. Cette personne est décédée. Un logement a été acquis en commun du temps de ce second mariage. Ma mère est nu-propriétaire de la moitié et titulaire de l'usufruit (20%) de la deuxième moitié, les 3 enfants de son mari étant nu-propriétaires de cette deuxième moitié. Ma mère veut vendre ce logement car il n'est plus du tout adapté eu regard à son âge. Les 3 enfants de son conjoint décédé ont annoncé s'opposer à cette vente à moins que ma mère ne renonce à récupérer la valeur de l'usufruit (ce qui est pour nous une forme de chantage). Le but est visiblement pour eux de bénéficier de 100% des 50% du montant de la vente, et non pas de 80% de ce montant. Or, si j'ai bien compris, 20% de ce montant, correspondant à l'usufruit, devrait revenir à ma mère à l'issue de la vente.
Ce type de blocage arrive t'il souvent? et connaissez-vous de possibles solutions?
Je vous remercie de votre éclairage.

Publié par
Olivier Intervenant

Bonjour,
Donc si je reprends, votre maman a acheté avec son second mari, pour le compte de la communauté, un bien immobilier.

Son époux étant décédé, votre maman se trouve propriétaire (sauf s'il existe un testament) de la moitié de ce bien en pleine propriété, et du surplus en usufruit (je ne comprends pas comment elle peut être nu propriétaire de la moitié, sauf à ce que vous ayez omis l'existence d'une disposition testamentaire).

En toute hypothèse, les enfants de Monsieur, défunt, peuvent s'opposer à la vente puisqu'ils disposent en tous les cas d'une part en nue-propriété.

De l'autre côté, il n'est pas possible pour votre mère de renoncer à percevoir la valeur de son usufruit sur la vente, sauf à ce qu'elle consente une donation préalablement aux enfants de son époux décédé... Dont la valeur serait alors taxée à concurrence de 60 % (donc choix peu judicieux pour les héritiers, sans parler du coût des frais de notaire engendrés par une telle donation).

En pratique donc, effectivement les enfants peuvent s'opposer à la vente, et il appartient le cas échéant à votre maman de saisir, par l'intermédiaire d'un avocat, le Tribunal de Grande Instance compétent à l'effet de faire autoriser la vente et la rendre opposable aux enfants du défunt, ou de provoquer le partage puisqu'une partie du bien est en indivision (en cas application des articles 815 et suivants du Code Civil).

A votre disposition pour tous renseignements.

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Publié par
Camille Intervenant

Bonsoir,
Le bien ayant été acquis au titre de la communauté, au décès du premier conjoint, n'y a-t-il pas liquidation de la communauté et donc Mme Mère, survivante, ne se voit-elle pas attribuer la moitié du bien au partage de la communauté dissoute ?

A part ça, d'accord sur la solution d'Olivier.
Ce que Madame Mère pourrait également faire, ce serait de menacer les enfants de ne vendre que son droit à usufruit, ce qu'elle peut faire sans l'assentiment des enfants.
Ces droits portent sur l'usufruit de la première moitié du bien dont elle est pleine propriétaire et sur l'usufruit de l'autre moitié. Donc, l'usufruit sur la totalité du bien.
L'acquéreur bénéficiera de ce droit jusqu'à son propre décès...
Madame Mère peut donc calculer le prix de vente de ce droit sur cette base.

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Hors Concours

Publié par
Olivier Intervenant

alors petite rectification Camille, l'acquéreur de l'usufruit bénéficiera de l'usufruit jusqu'au décès de Madame mère, et non jusqu'à son propre décès.... donc en pratique contrat aléatoire et très peu pratique à mettre en oeuvre....

Après effectivement Madame mère est propriétaire de la moitié au titre de la communauté, mais en cas de partage elle pourra demander à se faire attribuer la PLEINE PROPRIETE de la totalité du bien en vertu de la faculté d'attribution préférentielle prévue par la Loi (auquel cas il faudra racheter la part des charmants bambins de la première union de Monsieur Père défunt).

Par ailleurs, et sauf erreur de ma part, elle peut embêter les héritiers en demandant l'application de son droit viager au logement prévu par les règles de la Loi de 2002 réformant les successions...

Bref y'a plein de solutions pour embêter ces charmants enfants !

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