Prescription de l'action récursoire contre le fournisseur

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Isidore Beautrelet Administrateur

Bonjour

Voici une brève présentation de l’arrêt de la Cour de cassation, 3ème Chambre civile du 2 juin 2016, n° 15-17728

Fait : Un maitre de l’ouvrage, confie son projet immobilier (construction d’un centre commercial et de plusieurs logements) à un constructeur. Celui-ci fait appel à un sous-traitant. Ce dernier se fera livré du béton par la société U fournisseur. Le maitre de l’ouvrage constate des désordres et déclare le sinistre à l’assureur dommage-ouvrage.
Après un rapport d’expertise en date du 16 novembre 2004, une proposition d’indemnisation sera acceptée par le maitre de l’ouvrage. Bien entendu, l’assureur se retournera contre le sous-traitant et son assureur. Ceux-ci se retourneront par la suite contre le fournisseur du béton sur le fondement de l’article 1648 du code civil, nous sommes alors au mois de novembre 2007.

Cette demande est rejetée en appel. La Cour estime que l’action est prescrite. Selon elle, le délai de deux ans commence à courir à compter de « la date à laquelle l'acquéreur a connaissance du vice affectant le bien acquis ». Le sous-traitant ayant participé à l’expertise amiable, il a eu connaissance du vice, dès le rapport du 16 novembre 2004. L’action récursoire contre le fournisseur du béton était donc prescrite au 16 novembre 2006. Or, le sous-traitant et son assureur agissent en novembre 2007, soit plus d’un an après la prescription de l’action.
La Cour de cassation casse et annule la décision. En effet, le délai de prescription de l’action récursoire, ne court pas à compter du jour de la révélation du vice à l'acquéreur, mais de la date où l'intermédiaire ou l'entrepreneur est lui-même assigné ou, en l'absence d'assignation, à la date où le paiement d'une somme d'argent lui est réclamé. Par conséquent, le délai de prescription ne commençait à courir qu’à compter du jour où l’assureur dommage-ouvrage s’était retourné contre le sous-traitant et son assureur.

Cela est pure logique, car le sous-traitant n’allait pas se retourner contre le fournisseur alors qu’il n’avait pas été encore assigné. Il se serait posé la question de l’intérêt à agir, quand bien même il était évident que l’assureur de dommage-ouvrage se retourne contre le sous-traitant.

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Bonjour,

Est-ce qu'il serait possible d'avoir un plan de commentaire pour expliquer la solution de la Cour de cassation ?

Merci

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Isidore Beautrelet Administrateur

Bonjour

Je ne pense avoir le temps de faire un plan, (je jongle entre mémoire et CRFPA, et de temps en temps je m'accorde une pause sur juristudiant 3.gif). Si quelqu'un a le courage de le faire qu'il ne se gène pas 3.gif (Blaise si tu lis ce message, c'est l'occasion de nous montrer tes talents de rédacteur 4.gif)

Par contre je peux vous résumer la solution de la cour de cassation :

En gros, la Cour de cassation estime que le délai de prescription de l'action récursoire du constructeur ou du sous-traitant à l’encontre du fournisseur, ne commence à courir qu'à compteur du jour où le constructeur ou le sous-traitant est lui même assigné.
Faire démarrer le délai à la date à laquelle l'acquéreur a connaissance du vice affectant le bien est illogique, puisqu'à cette date le sous-traitant ne savait pas encore qu'il allait être assigné (même si cela était fort probable)

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Camille Intervenant

Bonjour,
Juste un petit détail...
La Cour estime que l’action est prescrite
Non, ce n'est pas la Cour qui estime que... mais la cour !
Nuance...
4.gif

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Camille Intervenant

Bonsoir,
Bien d'accord avec Blaise, mais faut dire aussi que la Cour de cassation dans cette affaire n'a pas été d'une clarté folle !
Parce que :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 novembre 2014), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 6 juin 2012, pourvoi n° 11-16.276),
lequel pourvoi dit :
Attendu que pour dire recevable l'action en garantie des vices cachés engagée par les sociétés Prosol et MAAF, l'arrêt retient que la convocation de la société Unibéton aux opérations de l'expertise "Dommages ouvrage" sept mois et demi après le rapport ayant envisagé l'alcali-réaction comme cause éventuelle des désordres a été faite dans le bref délai de l'article 1648, alinéa 1, du code civil, que la participation des sociétés Unibéton et Generali à l'expertise et à la phase amiable du sinistre vaut suspension de ce bref délai jusqu'à ce que les sociétés Prosol et MAAF aient un intérêt à agir en justice contre le fabricant du béton et son assureur et que le nouveau point de départ du bref délai doit être fixé à la date à laquelle les sociétés Prosol et MAAF ont eu intérêt à agir ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la convocation d'un fournisseur aux opérations de l'expertise diligentée dans le cadre de l'article L. 242-1 du code des assurances ne constitue pas une cause d'interruption du délai pour agir sur le fondement de la garantie des vices cachés, la cour d'appel [de Versailles] a violé le texte susvisé ;

Donc, raisonnement probable de la cour d'appel [de Paris] :
"Ah ben, si la Cour a cassé l'arrêt de la cour [de Versailles] qui disait que l'action était recevable, c'est donc qu'il faut la rejeter parce qu'elle irrecevable, par prescription donc, puisqu'il n'y a pas interruption du délai, nous a dit la Cour".

"Ben non", répond derechef la Cour, " vous nous avez mal compris, revoyez vos copies et appliquez correctement l'article 1648 du code civil..."


Et, pendant tout ce temps-là, le béton de la rampe d'accès et du parc de stationnement ne sèche pas !
la rampe d'accès et du parc de stationnement à la société Prosol technologie, qui a mis en oeuvre le béton livré par la société Unibéton ; que, des désordres étant apparus
(...)
le rapport ayant envisagé l'alcali-réaction comme cause éventuelle des désordres

4.gif

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Isidore Beautrelet Administrateur

Bonjour

Tout d’abord je remercie Blaise pour le temps qu’il a passé à faire son développement qui est d’une très grande qualité.

Je remercie également Camille d’avoir relevé qu’il y avait déjà eu un premier arrêt de la Cour de cassation. C’est vrai que ce n’est pas clair du tout. Si on résume

- CA Versailles 7 février 2011 : La phase amiable du sinistre vaut suspension de ce bref délai jusqu'à ce que les sociétés Prosol et MAAF aient un intérêt à agir en justice contre le fabricant du béton et son assureur

- 3ème Chambre civile 6 juin 2012 : Qu'en statuant ainsi, alors que la convocation d'un fournisseur aux opérations de l'expertise diligentée dans le cadre de l'article L. 242-1 du code des assurances ne constitue pas une cause d'interruption du délai pour agir sur le fondement de la garantie des vices cachés, la cour d'appel a violé le texte susvisé. Casse annule et renvoi devant la cour d'appel de Paris

- CA Paris 7 novembre 2014 : Le point de départ du délai pour agir sur le fondement de l'article 1648 du code civil est la date à laquelle l'acquéreur a connaissance du vice affectant le bien acquis

- 3ème Chambre civile 2 juin 2016 : Qu'en statuant ainsi, alors que le bref délai de l'action récursoire fondée sur la garantie des vices cachés, exercée par le vendeur intermédiaire ou l'entrepreneur à l'encontre de son fournisseur, ne court pas à compter du jour de la révélation du vice à l'acquéreur, mais de la date où l'intermédiaire ou l'entrepreneur est lui-même assigné ou, en l'absence d'assignation, à la date où le paiement d'une somme d'argent lui est réclamé, la cour d'appel a violé le texte susvisé (1648 du code civil). Casse annule et renvoi devant la cour d'appel de Paris

On prend les paris pour le prochain arrêt de la CA de Paris4.gif

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Camille Intervenant

Bonjour,
Ben, maintenant qu'on a la clé de l'énigme, tout devient un peu plus clair.
Rappel : La Cour de cassation ne répond qu'aux questions qu'on lui pose. Elle ne donne donc pas la "bonne" solution si on lui pose la mauvaise question. Elle n'est pas là pour donner une leçon de droit, ce n'est pas son rôle. Elle ne répond d'ailleurs pas aux parties en cause, ni même à l'auteur du pourvoi, mais elle répond au juges (généralement d'une cour d'appel) qui ont bien ou mal jugé en terme de respect des textes de lois, donc à des gens supposés savoir analyser correctement un fait juridique, ce que n'ont fait ni les juges de la cour d'appel de Versailles, ni ceux de la cour d'appel de Paris.
Si la Cour de cassation était là pour donner une leçon de droit, elle aurait pu dire que :

la convocation d'un fournisseur aux opérations de l'expertise diligentée dans le cadre de l'article L. 242-1 du code des assurances ne PEUT EN AUCUN CAS constituer une cause d'interruption du délai pour agir sur le fondement de la garantie des vices cachés,

[pour la bonne et simple raison que le délai n'avait pas encore commencé à courir, puisque]

le bref délai de l'action récursoire fondée sur la garantie des vices cachés, exercée par le vendeur intermédiaire ou l'entrepreneur à l'encontre de son fournisseur, ne court pas à compter du jour de la révélation du vice à l'acquéreur, mais de la date où l'intermédiaire ou l'entrepreneur est lui-même assigné ou, en l'absence d'assignation, à la date où le paiement d'une somme d'argent lui est réclamé


[donc, on ne peut pas interrompre un délai qui n'a pas encore commencé, comme aurait pu dire ce bon Monsieur de La Palice... ce que ni la cour de Versailles ni celle de Paris n'ont vu, enfermées dans leur lecture erronée de l'article 1648 C.Civ., qui ne concerne que l'acquéreur]



Espérons donc que la cour d'appel de Paris "autrement composée" saura enfin débroussailler correctement le problème parce que ça commence à bien faire, cette histoire de ciment gâché !
4.gif

Mon dernier petit problème : Si le 1648 ne vise que l'acquéreur, de quel "bref délai de l'action récursoire fondée sur la garantie des vices cachés" qui vise "l'intermédiaire ou l'entrepreneur" la Cour de cassation parle-t-elle ? On le trouve dans quel texte, ce "bref délai" ?
17.gif

[Rectifié]

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Isidore Beautrelet Administrateur

Bonjour

Encore merci à Camille pour sa brillante explication.

En effet, j’espère que la CA de Paris rendra enfin un arrêt qui ne sera pas cassé. Tout ça va nous repousser jusqu’en 2018.

Par contre, j’ai remarqué une erreur de frappe : « 1948 » au lieu « 1648 ». Un petit malin se serait-il amusé à mettre à l'envers les touches 6 et 9 de votre clavier 4.gif

Sinon, il est vrai que 1648 ne vise que l’acquéreur. Toutefois il est admis que l’action récursoire du vendeur ou du sous-traitant, est fondée sur cet article exemple parmi tant d'autres

D’ailleurs, cette histoire de point de départ du bref délai n’est pas nouvelle http://www.lexisnexis.fr/droit-document/article/la-semaine-juridique-edition-generale/19-1987/083_PS_SJG_SJG8719CM00083.htm

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Isidore Beautrelet Administrateur

Bonjour

@ pompom87 : Ne me dites pas que vous avez fait remonter ce sujet pour disparaitre aussitôt. Une petite pensée pour notre pauvre Blaise, que j’ai chargé de la besogne, et qui n’a même pas le droit à un petit merci.

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Camille Intervenant

Bonjour,
Donc N° de pourvoi: 85-15162 de 1987
et encore plus anciens
N° de pourvoi: 85-14354 (1986)
N° de pourvoi: 83-11876 (1984)
et, peut-être, d'autres encore.

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Isidore Beautrelet Administrateur

Bonjour

Merci pour vos belles trouvailles

On a bien affaire à une jurisprudence constante. C’est juste que les 2 CA et la Cour de cassation se sont mal comprises 4.gif.

J'attends avec impatience le nouvel arrêt de la CA de Paris. Comme dirait Elsa "à la même heure dans deux ans" https://www.youtube.com/watch?v=R456rXTMb48

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Bonsoir,

Merci à tous pour vos réponses; je prends notes et j'avais construit un plan basé sur
le point de départ du bref délai pour l'action récursoire en garantie c/ vices cachés de l'entrepreneur c/ fournisseur

et

une solution logique et justifiée à l'égard du sous-traitant.

Aucun devoir à rendre sur le sujet, j'ai aussi trouvé l'arrêt très intéressant !