L3 DROIT Perpignan – Cours de droits des biens – Abus de droit.
Commentaire d’arrêt : Cass. req., 3 août 1915, arrêt Clément Bayard.
Les faits :
Coquerel a installé sur son terrain, attenant à celui de Clément-Bayard qui possède des ballons dirigeables, un dispositif de clôture comprenant des piquets de bois de 16 mètres de hauteur, surmontés de tiges de fer pointues. Un ballon dirigeable appartenant à Clément-Bayard a été endommagé par ce dispositif. Ce dernier a élevé le litige afin d’obtenir réparation des dommages causés sur le fondement de l’abus du droit de se clore.
La procédure :
En appel, Coquerel a été condamné à indemniser Clément-Bayard des dommages causés au ballon dirigeable et à enlever les tiges de fer pointues surmontant les piquets de bois, mais pas ces derniers. Coquerel a formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Coquerel est le demandeur au pourvoi, il souhaite la cassation de la décision d’appel et l’annulation de l’obligation qui lui a été faite d’indemniser Clément-Bayard et d’enlever les tiges de fer pointues. Clément-Bayard est le défendeur au pouvoir : il souhaite le rejet du pourvoi, que les dommages causés à son ballon dirigeable lui soient indemnisés et que le dispositif de clôture litigieux soit enlevé.
Le problème de droit :
Le droit de propriété est-il un droit absolu et illimité ? La propriété d’un bien immobilier permet-elle, comme le stipule l’article 544 du Code civil, d’en disposer de la manière la plus absolue ? Y a-t-il des limites à la jouissance que peut faire un propriétaire de son bien immobilier ?
Les arguments des parties :
En cassation, Coquerel base son argumentaire sur les articles visés 544 et suivants et 552 du Code civil. Il rappelle que l’article 544 dispose de la possibilité pour le propriétaire d’un bien d’en disposer de la manière la plus absolue, dans les limites fixées par la loi ou le règlement et soutient que l’abus de droit n’est caractérisé que si le propriétaire réalise, sans aucun profit pour lui-même, un aménagement occasionnant une gêne pour le propriétaire voisin, dans les limites de la propriété de ce dernier, ce qui n’était pas le cas.
La solution du juge :
Le juge retient la décision des juges du fond en estimant que le fait pour un propriétaire d’ériger, sur son terrain, une clôture, d’une hauteur telle qu’elle dépasse ce qui est utile et nécessaire pour se protéger des intrusions, sans démontrer en quoi cet aménagement lui serait profitable, qui constitue une nuisance de fait pour le propriétaire voisin et dont les caractéristiques permettent de supposer qu’elle a été érigée dans le seul but de nuire à ce dernier, constitue un abus du droit de se clore et que la décision d’appel a pu, sans contradiction, condamner Coquerel à indemniser les dommages occasionnés à la victime et à retirer les aménagements litigieux, à l’exclusion des piquets de bois qui ont pu être considérés comme ne présentant aucune nuisance pour le propriétaire voisin. Il s’agit d’un arrêt de rejet.
Cet arrêt, bien qu’inédit au bulletin, revêt une importance particulière en droit français car il est l’un des premiers, et le premier de la Cour de cassation, à avoir consacré la notion d’abus de droit face à la toute puissance du droit de propriété (I). Pourtant, face à ses limites, la jurisprudence ultérieure de la Cour de cassation ne va pas la conserver et va consacrer une autre théorie limitative du droit de propriété, celle des troubles anormaux du voisinage (II).
I – La théorie de l’abus de droit limite l’exercice absolu du droit de propriété :
A – La toute puissance du droit de propriété permet-elle à son titulaire de tout faire ?
1 / la puissance historique de ce droit :
Origines historiques du droit de propriété : Révolution française, déclaration universelle des droits du citoyens : la propriété est l’un des droits naturels et imprescriptibles accordés au citoyen.
L’apport philosophique de cet apport révolutionnaire : Portalis (membre de la rédaction du Code civil des français de 1804, rédacteur du préliminaire) : il y a propriété depuis qu’il y a des hommes = caractère naturel de la propriété.
Les fondements de cet apport révolutionnaire : mettre fin à la division du droit de propriété en vigueur sous l’ancien droit, rassurer les nouveaux propriétaires en leur donnant des garanties juridiques sur leurs biens immobiliers, fort accent politique (on devient maître chez soi, comme l’ex-Roi !), protection face aux atteintes injustifiées, notamment de l’Etat.
2 / la puissance juridique dans le droit français de la propriété :
Définition de la propriété par le Code civil : art. 544 (visé à l’arrêt) « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ».
La propriété est un droit. Dualité de la doctrine : pour certains auteurs, elle est un droit subjectif, à la jouissance purement égoïste (on peut en user comme on le souhaite, c’est cette doctrine qu’a retenu le Code civil) pour d’autres, elle est une fonction sociale attribuée pour accomplir un devoir envers la société.
Elle est un droit absolu : le superlatif (« le plus ») renforce encore cet aspect.
Si la propriété est un droit subjectif et absolu, elle permet a priori de faire ce que son titulaire souhaite : usus, fructus et abusus : articles 546 à 564 du Code civil (droit d’accession) et en particulier article 552 (visé à l’arrêt) « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous. Le propriétaire peut faire au dessus toutes les plantations et constructions qu’il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre Des servitudes ou services fonciers ».
En particulier, elle emporte droit de se clore (dimensionnement de la propriété : bornage, cloture, cadastre) voire, dans certains cas, obligation de se clore (en ville ou faubourg).
Pourtant, l’exercice de ce droit est génératrice de conflits (réf. à l’arrêt de 1915).
Comment la jurisprudence peut-elle, dans ces conditions, recevoir un litige concernant une demande en indemnisation pour un dommage dont l’auteur n’a rien fait d’autre qu’user, légalement, de son droit de propriété ?
B – La théorie de l’abus de droit vient au secours des victimes :
1/ la théorie de l’abus au milieu des débats doctrinaux :
Citer l’arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 2 mai 1855, affaire « Doerr c/ Keller ». La Cour d’appel a décidé que le propriétaire qui avait construit, sur sa propriété, une cheminée noire cachant la lumière du soleil au propriétaire voisin, avait commis un abus de droit de propriété et devait détruire la cheminée.
L’arrêt de 1915 est donc la consécration par la Cour de cassation de ce principe, largement débattu par la doctrine. Noter que, bien que d’application générale, la théorie de l’abus de droit est née en droit des biens.
Doctrine : citer Josserand (1905) et la théorie que l’abus de droit constitue un déplacement des droits subjectifs de leurs fonctions. Citer Planiol, pour qui l’expression « usage abusif de droits » est une logomachie : « s’il y a abus, c’est qu’il n’y a pas droit » ou encore « le droit cesse où l’abus commence ». Citer Ripert pour qui la notion d’abus de droit relève de la conscience individuelle. Au milieu de ces débats doctrinaux, la jurisprudence a dû trouver, plus concrètement, un moyen juridique permettant l’indemnisation des victimes.
2/ les conditions jurisprudentielles d’application de la théorie :
Apport de la jurisprudence Clémen-Bayard : détermination des modalités d’application de l’abus de droit :
- 1ère condition : absence d’utilité de l’aménagement litigieux. Dans le cas des ballons dirigeables, la condition est remplie « le dispositif ne présentait, pour l’exploitation du terrain de Coquerel, aucune utilité ».
- 2ème condition : intention de nuire avérée, établie souverainement par les juges du fond. L’arrêt de 1915 fait mention de cette intention de nuire « [le dispositif] n’avait été érigé que dans l’unique but de nuire à Clément-Bayard ».
Cette théorie, lorsque les deux conditions supplétives sont remplies, permet d’obliger l’auteur d’un dommage, propriétaire, à indenmiser la victime et à détruire l’aménagement litigieux.
II – Les limites de la théorie de l’abus de droit et la nécessité de trouver une théorie plus universelle :
A – Les limites procédurales de la théorie de l’abus de droit :
- Difficulté de faire la preuve de l’« intention de nuire » : cette intention est présumée. Il est donc à la charge de l’auteur de démontrer qu’il ne l’avait pas.
- Application réduite au propriétaire d’un bien : exclusion des litiges entre locataire, usagers momentanées, usufruitiers...
- Développement important des litiges résultant de la responsabilité sans faute, voire avec autorisation administrative ou de la loi.
B – La naissance d’une nouvelle théorie plus appropriée :
1/ application dans un premier temps des articles 1382 et 1384 pour les troubles du voisinage :
La jurisprudence a, dans un premier temps, fait application de l’article 1382 du Code civil pour permettre l’indemnisation de victimes, en estimant que, en causant un dommage, l’auteur du trouble avait outrepassé les limites normales d’application de son droit au agit sans droit.
Toutefois, obligation d’établir la faute = problème de preuve et possibilité que l’auteur ait agit sans intention malveillante, ni sans faire de faute...
Dans un second temps, application de l’article 1384 permettant de condamner, même sans faute.
2 / autonomisation d’une théorie du trouble anormal de voisinage :
Développement des litiges pour responsabilité sans faute à partir d’un arrêt du 4 février 1971 (SCI du 10, rue Joseph Liouville) dans lequel le juge énonce que si l’article 544 accorde au titulaire d’une droit de propriété la jouissance la plus absolu de son bien, dans les limites prévues par la loi ou le règlement, le voisin est par conséquent tenu d’en supporter les inconvénients normaux de voisinage ; « toutefois, il est recevable à demander réparation des troubles excédant cette limite ».
Par cette décision, la Cour de cassation abandonne définitivement la théorie de l’abus de droit et ses limites, au profit d’une théorie plus pratique à manier, applicable à tous les justiciables et ne nécessitant pas l’établissement, délicate, d’une intention de nuire. Cette théorie a par la suite, été complétée : la jurisprudence a créé de toute pièce une principe, affirmé de manière quasi solennelle après un arrêt de la deuxième chambre du 19 novembre 1986 (époux Haye c/ boulangerie Miller) « nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage ». Cette théorie nécessite l’appréciation souveraine du juge des limites à dépasser ou à ne pas dépasser et a une influence sur le régime de l’excuse par l’auteur du trouble.
cf. aussi arrêt Cass., Civ., 2ème, 5 février 2004 (arbres tombés après la tempête de décembre 1999) qui introduit la notion de continuité du trouble occasionné.
Enzo.
Je trouve que ton commentaire est bien amené. La première partie est très bonne ( tu devrais peut-être développer davantage les éléments constitutifs de l'abus de droit ), la deuxième donne une ouverture intéressante mais ne donne peut-être pas assez de références aux limites d'appréciation de l'abus de droit, et à l'utilisation de l'abus de droit dans d'autres matières que le droit civil ( droit fiscal par exemple ).
Les titres peuvent gagner à être simplifiés, par exemple :
I – La théorie de l’abus de droit, limite à l’exercice absolu du droit de propriété
A – une toute puissance absolue ?
B - une théorie protectrice des victimes dans ses conditions d'application
II - Les limites d'application de la théorie de l'abus de droit
Ah, j'y pense, dans ton commentaire sur la possession, tu as dit " demandeuse ", on dit " demanderesse "
Je te mettrais 13,5, ou 14 pour l'effort de situation de l'arrêt dans le contexte.
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Votre sujet a peut-être déjà été traité : avez-vous utilisé la fonction recherche ?
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je suis d'accord avec Mathou
pourtant les mêmes remarques que dans l'autre post s'appliquent : simplifie au maximum tes phrases, et utilise Monsieur ou Madame devant les noms de famille
pour le fond effectivement tu fais un super travail, tu resitues bien l'arret dans son contexte
sur la note je suis d'acc avec Mathou aussi
bravo, mais tu peux tout déchirer sur tu es nickel sur la forme
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Merci pour vos envouragements, c'est très motivant
Que diriez vous si vous saviez que j'ai passé près de 5h à me creuser la tête sur cet arrêt ? et que j'avais tous mes bouquins avec moi, et internet connecté !
comment puis-je arriver à m'en sortir, il y a trop de choses à retenir !!!
Merci pour demanderesse, je ne savais pas !
A bientôt.
Bonjour,
Qui a gagné au final ? Coquerel ou Clément-Bayard ?
Les deux, mon Général, si vous lisez très attentivement.
Mais, en fait, Clément-Bayard un peu plus que Coquerel, c'est du moins ce que l'Histoire à retenu, puisque Gustave Adolphe a gagné, alors que ça n'était pas gagné d'avance.
Et accessoirement, Coquerel a perdu encore un peu plus parce qu'on a raconté qu'il s'imaginait, en procédant comme il l'a fait, pousser Clément-Bayard à lui acheter son terrain vague à prix [barre]d'ami[/barre] d'ennemi.
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Le fond est nickel, rien à dire. Cela dit pour ce qui est de la forme, il y'a de légers soucis. Il aurait été mieux que vous simplifiez davantage les titres afin de faciliter la compréhension.
Bonjour
Merci d'être intervenu sur notre forum. Cependant, je ne sais pas si vous avez vu mais le sujet auquel vous répondez date quand même de 2007, peu de chance que l'auteur vienne le consulter
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BONJOUR,
D'autant que Mathou et jeeecy avaient déjà répondu, à l'époque, dans le même sens que vous. Vous n'avez pas lu leurs commentaires ? Dommage !
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bonne compréhension du sujet , problème de droit acceptable , plan plus ou moins
BONJOUR
mauvaise compréhension de la charte du forum, manquement au règle de politesse inacceptable,
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Bonjour,
C'est fou, quand même, toutes ces portées de mustélidés, traditionnellement, chaque année en fin mai-début juin !
C'est dû au réchauffement de la planète juridique ?
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Bonjour
Oui c'est vrai qu'ils viennent en force. Vous avez raison c'est sans doute la chaleur. A cela il faut ajouter la magnifique couleur orange du forum qui doit sans doute avoir un effet attractif
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