ADDENDUM : Après quelques semaines d'absence, je vous propose aujourd'hui une critique sur la norme pénale, en y mêlant inflation législative et entrepreunariat moral. Un article à lire et critiquer ;) Je tiens à remercier Madame Luciani-Mien, professeure à l'Université Jean Moulin Lyon 3, pour ses enseignements m'ayant encouragés à écrire cet article.
Il est source de passions et de fantasmes, tandis que pour d’autres, il est une source d’effroi et de craintes. Le phénomène criminel nous concerne tous.
Le phénomène criminel est inhérent à nos sociétés, il les dépasse même. Le mal se manifeste à bien des égards et sous bien des visages.
Qu’il s’agisse du plus petit délit comme un simple vol à la tire ou du pire, celui de prendre la vie d’autrui, nul ne sait lorsque le mal va se manifester, ni par quels moyens, ni même sous quelles formes.
Vous pouvez vous réveiller un matin, prendre votre petit déjeuner, prendre vos clés et sortir de votre maison sans vous douter de ce que le destin vous réserve.
Un être humain détermine toujours ses actions de manière à se procurer un maximum de satisfactions pour un minimum d’inconvénients, telle est la morale issue de l’arithmétique des plaisirs théorisée par Jeremy Bentham.
Le crime est-il donc une source de satisfaction, lui qui, ainsi que le pense Émile Durkheim (1), est « étroitement lié aux conditions de toute vie collective » ?
S’il doit y avoir ici une satisfaction, ce sera celle de prendre le pari de l’audace, en affirmant ici que le crime peut être utile à la société, utile quant à la réaction sociale qu’il provoque.
La transgression implique t-elle nécessairement une déviance morale ?
Si le phénomène criminel intéresse les milieux juridiques, médicaux et intellectuels depuis longtemps et si bon nombre de spécialistes y ont consacrés leurs études, leur vie, pour en esquisser les contours, les logiques, et en appréhender les finalités, il ne saurait y avoir aujourd’hui de position unanime quant à la réponse à y apporter.
Pour certains, notamment les tenants de l’école positiviste, le criminel est un individu dangereux, un atavique déterminé essentiellement par ses caractéristiques endogènes, et duquel la société doit se protéger à tout prix. Ce postulat, est en contradiction avec celui des tenants de l’école dite de la défense sociale nouvelle, qui affirment, au contraire, que l’individu doit être appréhendé au travers de facteurs exogènes, soit, au travers des facteurs sociaux pouvant être à notamment à l’origine de sa condition criminelle.
Les rationalistes tels que Kant et Beccaria ; les évolutionnistes, héritiers de la pensée darwinienne tels que Lombroso ; les statisticiens à l’image de Quetelet, Shaw et Mackey ; les radicaux comme Marks, Sade, au travers de thèses comme le marxisme et de l’isolisme, ont tenté d’expliquer chacun à leur manière, les raisons qui poussent l’être au crime, au délit, et donc à la transgression de la norme.
Pour les besoins de notre démonstration, nous raisonnerons en deux temps.
D’une part, nous affirmerons que le crime n’existe pas sans norme répressive (A), d’autre part, nous verrons que la déviance peut être synonyme de défiance (B).
Enfin, nous soumettrons à la sagacité collective une interrogation : Toute déviance doit–elle être nécessairement réprimée ? (C).
A – Le crime n’existe pas sans norme répressive
L’auteur Howard Becker, sociologue américain, établit un postulat simple : la société ne saurait être pleinement homogène. Celle-ci serait tout particulièrement composée de groupes sociaux plus ou moins homogènes, s’organisant au travers de rapports de force.
Quel rapport avec la norme répressive nous direz vous. Toute norme est l’expression d’une morale, d’une vision. L’affirmation de Becker ne se limite pas au seul constat sociologique d’une société hétéroclite, elle peut être transposée à la science juridique. Cette affirmation trouve son sens lorsque l’on affirme que chaque groupe au sein du corps social possède ses propres codes, donc sa propre « normalité ». La normalité étant ici entendue au sens de norme.
Il convient alors de s’interroger sur la portée, l’influence de ces normes.
Ces normes ont une portée restreinte lorsqu’elles se limitent au groupe social qui les a vu naitre, mais quid lorsqu’elles sont institutionnalisées ?
Howard Becker, dans son ouvrage publié en 1963 (2), évoque ce qu’il appelle des entrepreneurs moraux, des individus qui vont poursuivre l’institutionnalisation de leurs propres normes au travers, notamment, de la loi.
Ainsi, dans ce cas de figure, le déviant (le criminel) est celui ou celle qui ne se conforme pas à cette loi.
Évidement, il ne s’agit pas d’affirmer que toute norme est le produit d’un entreprenariat moral. Mais la norme répressive, ne serait-elle pas figée dans le temps, comme l’expression d’une morale institutionnalisée en un temps donné, alors même que les mœurs et la société elle-même est en constante évolution ?
B – la déviance peut être synonyme de défiance
La déviance ne serait-elle donc point elle même un facteur d’évolution de la norme répressive, annonciatrice d’une morale nouvelle à venir ?
Le procès de Bobigny (3) en 1972 intervient dans une France qui prohibe l’avortement. L’avortement est alors un crime. Ce procès est un exemple des plus éloquents.
Une jeune fille, enceinte des suites d’un viol dont elle fut victime, procède à un avortement, sauf que l’avortement est prohibé en France par application d’une loi de 1920 (4).
Le procès aura un important écho médiatique avec comme figure de proue l’avocate Gisèle Halimi (5). Il sera l’initiateur d’une importante évolution : la loi de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse (6).
Il est donc loisible d’affirmer que dans ce cas d’espèce, la déviance par rapport à la norme standardisée à permis une évolution législative allant vers conception plus libérale du droit (ici, le droit relatif à l’avortement).
La déviance était ici une défiance. Elle a abouti à une évolution du droit. Cette évolution à permis et permet aujourd’hui à de nombreuses femmes de bénéficier du droit à l’avortement, qui est désormais admis comme un des droits les plus fondamental de toute femme.
Tout ceci pose une interrogation.
C – Toute déviance doit-elle être nécessairement réprimée ?
En nous interrogeant ainsi, nous prenons le parti de faire le procès de l’inflation législative, plus particulièrement des lois dites de réactions, guidée davantage par l’émotion médiatique que par le souci de l’efficacité juridique (7) dans un pays où la Criminologie, discipline mère dans l’étude du phénomène criminel, ne dispose pas encore de sa propre section disciplinaire à l’Université (8).
La criminologie n’est donc étudiée qu’en complément de la sociologie, de la psychiatrie et du droit.
Outre l’impact financier de l’inflation législative (9), la multiplication des normes répressives est-elle de bon augure pour la qualité du droit (10) ?
Dès lors, si le crime à un effet utile, c’est uniquement en ce qu’il est censé modifier la conscience collective. Lorsque la loi pénale se banalise, elle devient un instrument peu lisible : quid de la conscience collective ? Il est permis d’affirmer que le phénomène criminel se banalise en réaction et que son utilité n’est pas plus perceptible que celle de la norme censée le réprimer.
NOTES :
1. Émile Durkheim, “Le crime, phénomène normal” (1894), page n°5.
2. Outsiders, Studies in the Sociology of Deviance; Howard Becker.
3. Première reconnaissance de l‘interruption volontaire de grossesse : http://www.justice.gouv.fr/histoire-et-patrimoine-10050/proces-historiques-10411/il-y-a-40-ans-le-proces-de-bobigny-24792.html
4. Loi de 1920, réprimant la provocation à l‘avortement et à la propagande anticonceptionnelle : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000683983
5. Catherine Valenti, Bobigny – le procès de l’avortement : https://books.google.fr/books/about/Bobigny.html?id=hs1HYgEACAAJ&source=kp_book_description&redir_esc=y
6. Loi Veil sur l’IVG : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000700230
7. Conseil d‘État : Mesurer l’inflation normative : https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2018/05/etude_inflation_normative_1.pdf
8. Sections disciplinaires de l’Université Française : https://www.conseil-national-des-universites.fr/cnu
9. Guide méthodologique pour calculer l’impact financier de la réglementation nouvelle : https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2018/05/guide_methodologique_pour_calculer_limpact_financier_de_la_reglementation_nouvelle.pdf
10. Indicateurs de suivi de l’activité normative : https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2018/05/indicateurs_de_suivi_de_l27inflation_normative.pdf
Jordan Minary
Dernière modification : 30/10/2019 - par Jordan Minary
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Bonjour
Tout d'abord, je suis très content de te revoir sur le forum !
Ensuite, je te remercie pour cet article que je lirais ce week-end
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Salut
Comme toujours, un bon article !
Pour le style d’écriture, afin de faciliter la lecture surtout (je trouve ça plus coulant) :
Une jeune fille, enceinte des suites d’un viol dont elle fut victime, procède à un avortement, alors même que l’avortement est prohibé en France par application d’une loi de 1920 (4).
Bonnes remarques sur l’inflation législative et ses tendances de réaction à l’actualité, ainsi que sur la non superposition du droit répressif et de la réalité sociale.
Petite question sur vous : votre signature indique que vous êtes étudiant en droit privé général, mais vous semblez porter un interêt certain pour la matière pénale (avec déjà deux articles consacrés). Vous avez un feeling avec ce domaine, ou même un mémoire peut être ?
Enfin bref, au plaisir de vous lire et même de débattre sur le sujet ! Bonne soirée
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Bonsoir Louis,
Bonsoir Isidore,
Et bien en fait j'écris beaucoup sur la matière pénale c'est pas faux, après j'ai écris aussi sur d'autres sujet, notamment sur ma première autopsie judiciaire ayant eu lieu la semaine dernière, et qui fut une expérience assez particulière.
Non je suis bien étudiant en master de droit privé mais la criminologie a été pour moi une véritable révélation donc j'avoue avoir un certain amour pour cette matière et le pénal donc.
Mais plus tard je n'envisage pas d'exercer dans cette spécialité, hormis quelques affaires peut être pour le plaisir, je préfère avoir une approche uniquement civiliste de l'avocature.
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Bonjour
Tout comme Louis j'ai particulièrement apprécié vos remarques sur l’inflation législative et les lois dites de réactions.
J'ai également aimé votre paragraphe sur l'avortement. C'est intéressant de voir comment une infraction pénale est devenu un droit fondamental de la femme, si bien qu'aujourd'hui il existe un délit d'entrave numérique à l'IVG.
Vos articles reflètent bien votre passion pour la criminologie
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D’accord d’accord, hé bien comme le remarque Isidore,vos articles reflètent et font honneur à votre passion pour la matière.
Et puis quel juriste serait assez fou pour ne jurer que par une matière spécifique, quand on voit l’importance de l’ouverture d’esprit et les liens complexes d’interdépendance entre les domaines...
En tout cas bonne continuation, et au plaisir de lire les prochains articles (même si la je pense qu’il va y avoir un peu de battement avec les examens qui approchent pour tous il me semble ahaha)
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Bonjour Isidore :)
Bonjour Louis :)
Merci beaucoup pour vos remarques, c'est très gentil.
Je veux m'adresser tout d'abord à vous deux, car je dois vous confesser, ainsi qu'a celles et ceux qui lisent, lirons mes textes, dont celui-ci, quelque chose : ce que j'écris ne reflète point de manière "pure" ma pensée profonde. Sur cet article, il est vrai que j'y ajoute de l'opinion, mais pour conserver un travail de "qualité", je pense qu'il ne faut pas trop exprimer ses convictions personnelles pures, et savoir rester juridique, ou du moins conserver un fond intellectuel peu orienté.
J'ai volontairement en revanche voulu parler des travaux de Becker, parce que ce sociologue à également été une révélation pour moi, au travers ce qu'il nomme l'entrepreunariat moral.
On nous répète souvent, trop même, que le droit est distinct de la morale, c'est un mensonge, un abomination de la part d'intellectuels, d'universitaires qui affirment cela. Le droit C'EST de la morale, c'est une morale institutionnalisée, via des dispositions légales et règlementaires !
Alors je ne critique point cela, mais je tenais à le rappeler dans une certaine mesure.
Ensuite, en effet, je trouve aberrant qu'à chaque évènement dramatique ou moins dramatique, l'émotion conduise à adopter des lois juste pour donner le sentiment au peuple d'une action, une action du pouvoir exécutif, quel qu'il soit, et de tout temps d'ailleurs. Le corpus législatif français est déjà à mon sens assez fourni, et le véritable problème est la mauvaise application des lois existantes.
Donc je souhaitais vraiment lier ces questions à la criminologie notamment que j'affectionne beaucoup.
@Louis, en effet j'ai beaucoup beaucoup de choses à faire en ce moment je vais vraiment essayer d'être plus présent ici !
Merci pour vos remarques positives :)
@Isidore, en effet, c'était à mon sens l'exemple le plus pertinent, et aussi le plus acceptable. Ce qui ne m'empêche pas néanmoins de regretter le temps où l'infidélité était sanctionnée, ce que j'assume pleinement dans la mesure où, et c'est un autre débat, je trouve que l'institution du mariage est malmenée par le droit, mal comprise par les justiciables.
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Bonjour
je pense qu'il ne faut pas trop exprimer ses convictions personnelles pures, et savoir rester juridique, ou du moins conserver un fond intellectuel peu orienté.
Exactement !
Le corpus législatif français est déjà à mon sens assez fourni, et le véritable problème est la mauvaise application des lois existantes.
Le Sénat a d'ailleurs prévu de passer un coup de BALAI http://www.juristudiant.com/forum/proposition-du-senat-pour-abroger-des-lois-anciennes-t32803.html
Le droit C'EST de la morale, c'est une morale institutionnalisée, via des dispositions légales et règlementaires !
Ça se discute ! Certains comportements qui peuvent être qualifiés d'immoraux sont pourtant légaux : optimisation fiscale, légalisation du cannabis et de la prostitution dans certains pays ...
A l'inverse pour certains l'euthanasie peut être un acte moral mais reste illégal dans plusieurs pays.
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Très intéressant.
Cette question "Toute déviance doit-elle être nécessairement réprimée ?", en vérité est d'une importance notable, merci donc de l'émettre dans votre écris.
à ce sujet, il me semble que toute déviance, n'est déviante qu'au moment ou elle est perçu comme telle, et que comme vous le dites, la société, la législation sont mouvante !
Il ne s'agit pas ici de dire que toute déviance n'en sera plus une dans le temps, mais simplement que le constat n'est pas figé, qu'une remise en question peut être abordé.
Admettons que X soit considéré comme une déviance, ne faudrait-il pas en premier lieu, s'arrêter sur la nature de cette déviance, dans quel contexte fut son apparition? Quel est l'objectif de cette déviance?
En effet il me semble que c'est par la réflexion, et par le jugement entre un bienfait ou un mal, que la loi concernant le droit à l'avortement fut promulguée, alors qu'auparavant, ce même avortement était réprimandé et donc considérée à caractère déviant.
De ce fait, une déviance est perçu comme tel si en son sein il n'y a pas matière à faire évoluer, valoir un droit pour l'Homme dans notre société.
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"On est le fruit de son histoire" Maître Eric Dupond-Moretti
Bonjour
Un grand merci à Adil69 pour son intervention très intéressante
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