Bonjour les spécialistes,
Je voulais savoir si le terme de Charte avait une définition juridique précise. Je vous explique ma situation :
En stage de fin d'études d'ingénieur agronome, j'écris une charte de qualité pour une entreprise qui collecte une produit agricole, et le vend ensuite aux industries agroalimentaires pour transformation. L'objectif premier de cette charte est d'apporter de nouvelles garanties de qualité aux clients, et de mettre en place les moyens nécessaires à l'adéquation de nos produits avec leurs exigences en termes de qualité.
Pour écrire mon mémoire, je cherche à définir le concept de Charte de Qualité, mais j'aimerais partir d'une définition concrète pour ensuite exploiter tous les concepts et les idées qui en découlent. Pour l'instant, j'ai la définition du Larousse et celle qui date du moyen-âge "une charte est un texte juridique public ou privé. C'est en particulier un acte par lequel un suzerain confère certains droits ou privilèges ou réglait des intérêts." Mais je trouve ça un peu léger pour un mémoire d'ingénieur et j'aimerais une base solide qui me sert de réflexion (notamment quel niveau d'engagement cela implique pour les parties signataires de la Charte).
J'aimerai donc savoir s'il existe un/des article(s) qui définissent concrètement le concept de "Charte" (privée ici puisqu'élaborée par l'entreprise à destination de ses clients) dans tous vos Codes de juristes :)
Merci d'avance (Je ne demande que des références biblio, j'essaierai de me débrouiller toute seule et dans le pire des cas je reviendrais pour une petite explication de texte ;) )
Bonne journée
Bonjour à vous,
Vaste question que vous posez ici, et qui pourrait en fait se reformuler, nécessairement pour donner une définition, comme telle : cette charte a-t-elle vraiment une valeur juridique quelconque ?
En effet, les termes qu'elle contient, ne peuvent constituer en leur ensemble qu'un engagement moral, en usant de formule du type "notre entreprise s'emploie et s'emploiera à vous offrir un service d'une qualité toujours croissante" ne pourrait avoir au final aucun effet contraignant pour les parties signataires, ni a priori engager leurs responsabilités en cas de méconnaissance de ces termes, vue leur relative élasticité pour ne pas dire imprécision.
Aussi, avant de tenter de définir, il vous faudra, à mon sens, analyser les termes que vous avez employé ou que vous allez utiliser dans la rédaction de cette Charte, termes qui lui conféreront ou non une valeur juridique, contraignante pour l'entreprise, de réels obligations en découlant pour cette dernière.
Bon courage dans la rédaction de votre mémoire.
Merci pour cette réponse, il est en effet toujours difficile de savoir qui de l'oeuf ou de la poule on doit définir en premier quand on a pas encore l'habitude de mettre en place ce type de document ^^
Juste pour aller un peu plus loin, si par exemple il y a un engagement de type "exempt de tel type de molécule (avec seuil limite acceptable et marges d'erreur définies)" est-ce-que ça a valeur de contrat?
En fait ce que je me demande ce sont les différences, d'un point de vue du Droit, entre un contrat et une Charte ? Est ce que une Charte est juste une sorte de "label déclaratif" ou est ce qu'elle a réelle existence juridique (parce que du coup, ça influencera l'arbitrage qui consiste a choisir ce qu'on met dans les contrats et ce qu'on met dans la Charte)
C'est assez mal venu de parler ici de contrat en référence à un Charte, un contrat étant nécessairement le fruit d'une rencontre de deux volontés distinctes, dans ce cas ci, c'est l'entreprise qui s'oblige littéralement, en mettant volontairement à sa charge des obligations. On pourrait plus parler d'un engagement unilatéral.
Bien que, l'on puisse admettre, si les contrats conclus avec les clients (de vente vraisemblablement) y font référence, la Charte de ce fait, entrera dans le champs contractuel, en demeurant engagement unilatéral.
Ainsi, pour répondre à votre première question, un terme de ce type pourrait en effet avoir une valeur juridique contraignante pour l'entreprise qui s'y engage, c'est clairement une obligation de ne pas faire (au sens du Code civil) qui pourra se faire sanctionner en cas de méconnaissance.
Enfin votre dernière question me permet d'approfondir le point terminologique que j'ai cru bon de soulever précédemment. Le contrat est une convention faisant naître une ou plusieurs obligations (de faire, de ne pas faire, de donner, ou de mettre à disposition un bien) ou encore transférant un droit réel, il suppose la rencontre de deux volontés (exprimées expressément ou tacitement) pour se former. L'acte unilatéral est un acte juridique résultant de la volonté d'une seule personne qui s'oblige volontairement.
Mais avant d'aller plus loin, et pour ne pas que mon raisonnement soit totalement erroné, je me dois de vous demander à quel niveau se situera cette charte ? Entre l'entreprise et les clients ? Entre l'entreprise et les producteurs ? Entre l'entreprise et les distributeurs?
Dans le premier cas, entre client et entreprise, ce serait manifestement un engagement unilatéral de l'entreprise à leur encontre. Dans les autres cas, ce pourrait redevenir un contrat, une sorte de cahier des charges.
C est vraiment très intéressant de vous lire,je suis bien contente d'être venue sur ce forum!
Pour répondre à votre question, je pense qu'il y a plusieurs niveaux à considérer:
-entre l entreprise et ses clients : engagement de l entreprise a fournir un produit avec telle caracteristique produit dans telles conditions
-entre l entreprise et les producteurs (qui sont en fait actionnaires de l entreprise) : il y aura mise en place de contrôles pour vérifier que les conditions de production respectent bien les engagements annoncés.
Dans ce cas, pour être exhaustif, je pense qu'il faut bien séparer les deux versants.
En développant l'idée d'un acte/engagement unilatéral de volonté de l'entreprise considérée envers ses clients (vous trouverez des développements de cette théorie dans tous les manuels traitant de droit des obligations au sens large).
Puis, celle d'un contrat entre l'entreprise et les fournisseurs, il y a bien rencontre de deux volontés distinctes, l'entreprise souhaitant mettre à la charge des producteurs des critères de qualité et ces derniers s'y soumettant en les acceptant. Toutefois, la qualification de ce contrat pose problème, il pourrait s'agir d'un contrat unilatéral (seuls les producteurs sont soumis à des obligations en terme de qualité produit) voir d'un cas de contrat avec soi-même, tout dépend dans ce cas si l'entreprise considérée dispose ou non de la personnalité juridique, en somme est-ce une société ou non ?
De mon point de vue, il est tout à fait possible, ce n'est pas l'objet de votre mémoire de sombrer dans des considérations juridique de s'affranchir du dernier point de détail et donc de développer au final l'ambivalence de l'acte ici crée entre engagement unilatéral de volonté dans la relation entreprise (ou la masse des entrepreneurs si elle n'a pas de personnalité morale) - client et contrat dans la relation entreprise - producteurs.
L'entreprise est une SAS.
Comme vous le dites, n'étant pas en études de Droit, il serait mal venu de développer des détails juridiques que je ne maîtrise pas. Je vais plutôt partir sur cette décomposition de l'engagement, considérable à deux niveaux, je ne l'avais pas vu sous cet angle. Merci pour les pistes !!
Je suis loin d'approuver tout ce qui a été dit sur la qualification juridique de la charte. C'est un beau sujet, lequel nécessiterait probablement une étude théorique en droit des obligations.
Juridiquement, un tel sujet se traite en deux temps : la qualification juridique de la charte et son régime.
Pour un non juriste, un tel sujet va rapidement s'épuiser, faute de connaissances juridiques et les points intéressants ne seront pas traités.
Compte tenu de ma remarque, je te donne malgré tout quelques pistes :
- La charte crée-t-elle des obligations (au sens juridique) ? Question intéressante sur les sources des obligations et notamment le fameux engagement unilatéral de volonté, très discuté et dont la positivité est loin d'être assurée.
- Quelle serait la place de la charte dans un contrat ?
- Pourrait-on sanctionner sur le fondement de la publicité trompeuse les entreprises ne respectant par leur charte ?
- L'affaire Nike, à propos des ateliers de production en Asie, constitue probablement l'exemple le plus connu en matière de charte : la Cour suprême de Californie a opposé à Nike sa propre charte unilatéralement rédigée, laquelle mentionnait des conditions de travail et de production satisfaisantes pour les travailleurs (Cour suprême de Californie, Kasky v. Nike, 2 mai 2002)
- Quelle serait plus généralement la force normative d'une charte ?
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« Je persiste et je signe ! »
Docteur en droit, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Bonjour Yn,
Pourrais-tu préciser ce que tu n'approuves pas dans mes propos ? Je n'ai certainement pas souhaité induire en erreur celui qui a ouvert ce sujet.
Je suis évidemment d'accord avec ton cheminement, qualification puis régime, toutefois, une "Charte" ne peut avoir de force normative générale puisque c'est une terme générique lui-même qui revêt plusieurs réalités juridiques. Il n'y a qu'à voir la définition que l'auteur en donnait dans son premier message, la Charte telle qu'elle existait au moyen âge, aujourd'hui on penserait plus à des accords internationaux ou européens, eux-mêmes ayant des valeurs variables (Charte de l'environnement étant adossée à la Constitution par exemple).
Merci d'avance.
D'après les explications de flamel, je comprends le terme de charte comme un "document rédigé unilatéralement par une personne (morale) privée".
cette charte a-t-elle vraiment une valeur juridique quelconque ?
La question de départ est mal formulée selon moi : le vrai et le faux n'ont pas grand-chose à faire ici et, surtout, la "valeur juridique" est un ensemble trop vaste, trop flou, impossible à utiliser en pratique.
Un tel sujet nécessiterait plutôt la création d'une grille de lecture : "si tels éléments sont présents, alors il s'agit d'une charte, alors son régime est..."
En effet, les termes qu'elle contient, ne peuvent constituer en leur ensemble qu'un engagement moral
Pas forcément, il faut préalablement passer par la case qualification de la charte, c'est-à-dire déterminer si des obligations sont créées, ce qui requiert de passer en revue tous les types d'obligations, notamment civile et naturelle.
il vous faudra, à mon sens, analyser les termes que vous avez employé ou que vous allez utiliser dans la rédaction de cette Charte, termes qui lui conféreront ou non une valeur juridique, contraignante pour l'entreprise
Les points précédents restent mineurs, c'est surtout là que je ne suis pas d'accord : l'emploi de termes particuliers par les parties ne confèrent pas ipso facto une valeur juridique à un document. Au autrement dit la qualification donnée par les parties ne fige pas la nature juridique du document (v. art. 12 al. C. pr. civ. ; art. 1156 à 1164 C. civ. pour l'interprétation des conventions)
De même, quand tu parles ensuite de "réelles" obligations, c'est très bancal, il ne s'agit pas de vrai ou de faux comme je l'ai dit : il y a obligation ou non, l'obligation est de telle nature ou de telle nature.
C'est assez mal venu de parler ici de contrat en référence à un Charte, un contrat étant nécessairement le fruit d'une rencontre de deux volontés distinctes, dans ce cas ci, c'est l'entreprise qui s'oblige littéralement, en mettant volontairement à sa charge des obligations. On pourrait plus parler d'un engagement unilatéral
Parler de contrat peut être mal venu... mais pas forcément. C'est tout l'enjeu des chartes étudiées : une personne (morale) peut-elle mettre unilatéralement, à sa propre charge, des "obligations", sans forcément qu'un contrat soit signé ?
Autrement dit, peut-on mettre des obligations à sa charge en l'absence de cocontractant pouvant en demander la sanction ?
Nous arrivons donc au fameux engagement unilatéral de volonté, lequel est, pour résumé, très critiqué et dont la positivité n'est pas consacrée (ex. l'offre en est une illustration patente).
Bref, voici les quelques points sur lesquels je ne suis pas forcément d'accord avec toi. Mes remarques ne sont pas parole d’évangile, je reste ouvert à toute critique.
Ceci dit, c'est un très beau sujet. Après une rapide recherche, je n'ai trouvé que très peu d'articles sur ces chartes, peut-être vais-je le suggérer à un enseignant en tant que sujet de mémoire car c'est vraiment une mine théorique et pratique.
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« Je persiste et je signe ! »
Docteur en droit, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Merci Yn de ces précisions, c'est vrai qu'en te lisant, j'aurais pu mieux choisir le vocabulaire employé à certains endroits pour être plus intelligible, notamment sur le terme de la réalité, où j'entendais justement par là faire le départ entre une (réelle) obligation et autre chose(le terme pouvant par facilité de langage s'employer alors qu'il n'y a pas lieu à le faire).
Je suis également d'accord avec toi, ce ferait vraiment un beau sujet de mémoire, que j'aurais plaisir à lire si quelqu'un venait à le traiter.
Bonne soirée.