Bonjour,
Je vous soumets mon commentaire de texte en histoire du droit en attendant avec impatience vos remarques.
Portalis, Discours préliminaire au Code Civil
« Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires ; ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil », disait Napoléon Bonaparte. En effet, dans son « Discours préliminaire au projet de Code Civil », Portalis pose les fondations d’une oeuvre de codification qui a traversé les siècles.
Juriste brillant, Jean-Etienne-Marie Portalis (1745-1807) est entré dans l’histoire en faisant partie du groupe des quatre rédacteurs du Code napoléonien, étant sans doute celui dont la contribution a été la plus déterminante par son esprit et son style. Son discours, prononcé devant le Conseil d’Etat le 21 janvier 1801 revalorise le rôle de la doctrine et illustre le modernisme sage qui caractérise sa pensée. Portalis a connu les agitations de la période révolutionnaire et a bien compris son incapacité à proposer un corps de lois justes et équilibrées. A l’apogée du légicentrisme, il était interdit aux juges d’interpréter les lois. Le référé législatif les obligeait à renvoyer vers le législateur à chaque fois que les textes existants ne permettaient pas de trancher une situation particulière. Le nouveau Consul, voulant laisser son empreinte sur le droit français a décidé d’abroger les référés et d’inscrire dans son code à l’article quatre l’obligation faite aux juges de statuer sous peine de déni de justice. Portalis connait très bien le système judiciaire, ayant été avocat sous l’Ancien Régime et il s’en méfie. Conscient qu’un système aussi rigide ne pouvait fonctionner durablement, sa réflexion l’emmène à reconsidérer l’équilibre des pouvoirs législatif et judiciaire ainsi qu’une nouvelle conception des lois complétées par la jurisprudence.
Dans le texte à commenter Portalis propose une redéfinition des rôles entre les pouvoirs judiciaire et législatif, une nouvelle articulation de leur fonctions, en définissant clairement « une science du législateur » comme il doit en exister une science des magistrats. Il replace la loi au sommet de la hiérarchie normative, en réaffirmant sa généralité, sa « sagesse » et sa « sainteté » mais reconnait le rôle indispensable de la jurisprudence qui viendrait combler ses lacunes.
I
l convient alors de s’interroger en quoi Portalis exprime-t-il une nouvelle vision des rapports entre la loi et la jurisprudence?
La vision de l’auteur est d’abord de revaloriser le pouvoir judiciaire (I) dont le rôle se limitait jusqu’a alors à l’application stricte des textes existants pour ensuite redéfinir l’ensemble lois-jurisprudence, en soulignant leur indispensable complémentarité (II).
I. Revalorisation inédite du pouvoir judiciaire
L’auteur critique de manière vigoureuse l’ancienne pratique des référés législatifs (A) et reconnait aux juges le pouvoir d’interprétation des lois (B).
A. La critique vigoureuse du réfère législatif.
Portalis exprime dans ce texte une vive opposition à ce procédé né de la Revolution qui renvoyait, selon lui, vers les heures les plus « funestes » de la « désastreuse législation des rescrits », un retour vers un passé ou le souverain dictait la loi. Il comporte, selon l’auteur, deux inconvénients majeurs: encombrement du système législatif et dénaturation du rôle et du statut des lois. Se prononcer sur une multitude de questions détaillées reviendrait à produire chaque jour des nouvelles lois. Cela détournerait, selon Portalis, l’appareil législatif de sa fonction principale qui est la recherche de « l’intérêt général de la société » . La « science du législateur » doit se limiter à la recherche des principes du « bien commun » et ne pas se mêler des « intérêts particuliers ». En même temps, les référés législatifs contribuaient, selon l’auteur, à dénaturer l’esprit des lois. Elles doivent demeurer générales, c’est à dire s’appliquant à tous sans exception et n’ont pas vocation se multiplier en fonction des cas particuliers. Leur application concrète reviendrait au juge dont nous allons aborder le rôle interprétatif dans une deuxième partie.
B. La reconnaissance d’un pouvoir d’interprétation au juge.
Renoncer aux référés législatifs revenait implicitement à accorder aux juges le pouvoir interprétatif des lois. « La science du magistrat » est très bien détaillée par l’auteur du texte et consiste à interpréter la loi générale en fonction des cas particuliers. Portalis incite les juges à explorer le sens des lois quand elles sont obscures, « étudier l’esprit de la loi quand la lettre tue » et les appliquer avec sagesse et raison. Le juge est appelé à évoluer d’un rôle passif et inerte de « bouche de la loi » à un rôle actif et créatif d’interprète de la norme générale. Il doit sans cesse chercher à approfondir le sens des lois à travers la doctrine, la jurisprudence des tribunaux ou les principes de base du droit naturel. Il convient ici de souligner le rôle très important que Portalis donne aux magistrats, ils deviendraient, en quelque sorte les législateurs des cas particuliers.
Renoncer aux référés et conférer de nouveaux pouvoirs aux juges suppose aussi de redéfinir les rôles des lois et de la jurisprudence.
II. Le caractère complémentaire de la loi et de la jurisprudence.
L’auteur souligne le caractère général et impersonnel de la loi (A) mais accorde une place importante à la jurisprudence qui devient un auxiliaire indispensable (B)
A.La loi, norme générale et impersonnelle.
En droit positif la loi désigne une norme juridique formulée par écrit et promulguée par la puissance publique. Dans le texte à commenter l’auteur consacre une grande importance à en expliquer le
caractère et le rôle central. Un point essentiel dans son discours est accordé à son caractère général. Dans la vision de Portalis la loi est d’abord et avant tout une norme générale s’appliquant à tous sans exception, « la loi statue pour tous: elle considère les hommes en masse, jamais comme particuliers, elle ne doit point se mêler des points individuels ». La loi ne fixe que les principes essentiels du droit. Elle est l’expression du but poursuivi par le législateur qui est celui de favoriser l’intérêt du plus grand nombre. Portalis souligne le fait que tout litige ne peut aboutir à la création d’une nouvelle loi car il deviendrait impossible de s’y référer. De plus, multiplier les lois au gré des situations particulières nuirait à leur valeur.
C’est à la jurisprudence de régler les détails que la loi ne saurait prévoir.
B. La jurisprudence, auxiliaire indispensable du législateur.
Le terme, dérivé du latin « jurisprudentia » désigne « la science du droit ». Portalis confère à la jurisprudence un rôle déterminant pour éviter le déni de justice. Elle complète la loi lorsque celle-ci est obscure, incomplète ou en cas de silence. Dans sa réflexion il va encore plus loin en la plaçant sur un pied d’égalité avec la loi. Cette conception est critiquable car, tout en étant indispensable, la jurisprudence ne joue qu’un rôle supplétif et interprétatif, ne pouvant en aucun cas se substituer à la loi. Elle intervient seulement dans les cas « rares et extraordinaires » , s’occupant des « détails trop rares et contentieux » . De plus elle reste sous l’influence du législateur qui peut la « corriger ». Les juges ne sont pas tenus par des décisions jurisprudentielles et il n’est pas rare de constater des revirements venir casser une jurisprudence constante.
Bonne journée!
Salut
Si jamais vous trouverez un lien vers votre texte ce pourrait être appréciable.
Pour ma part votre introduction votre problématique et votre plan s'enchaînent bien, mais n'ayant pas le texte sous les yeux je ne sais pas si vous avez fait une dissertation cachée ou bien un véritable commentaire de ce texte !
http://www.juristudiant.com/forum/commentaire-du-discours-preliminaire-de-portalis-t4023.html
J'ai trouvé dans le forum un commentaire sur ce texte.
Est ce celui la ?
Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur exerce moins une autorité qu’un sacerdoce. Il ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ; qu’elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes, à la situation du peuple pour lequel elles sont faites : qu’il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que sil est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir ; qu’il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’en corrigeant un abus, il faut encore voir les dangers de la correction même ; qu’il serait absurde de se livrer à des idées absolues de perfection, dans des choses qui ne sont susceptibles que d’une bonté relative ; qu’au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ; que l’histoire nous offre-à peine la promulgation de deux ou trois bonnes lois dans l’espace de plusieurs siècles
Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient- la certitude et la majesté de la législation. Mais un grand État comme la France, qui est à la fois agricole et commerçant, qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres divers d’industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d’une société pauvre ou plus réduite.
Nous nous sommes également préservés de la dangereuse ambition de vouloir tout régler et tout prévoir. Qui pourrait penser que ce sont ceux mêmes auxquels un code paraît toujours trop volumineux, qui osent prescrire impérieusement au législateur la terrible tâche de ne rien abandonner à la décision du juge ?
Quoi que l’on fasse, les lois positives ne sauraient jamais entièrement remplacer l’usage de la raison naturelle dans les affaires de la vie. Les besoins de la société sont si variés, la communication des hommes est si active, leurs intérêts sont si multipliés et leurs rapports si étendus, qu’il est impossible au législateur de pourvoir à tout.
Bonne soirée
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Le précieux... enfin la charte du forum quoi !
Ma méthode de travail
"Plus que des lois de procédure, ce sont des lois de neutralité fiscale qui sont le meilleur remède aux tentations d'abus de droit." Maurice Cozian (1936-2008)
"Fear," he used to say, "fear is the most valuable commodity in the universe." Max Brooks, WWZ
Bonjour,
Voici le texte à commenter:
"Sur le fondement de la maxime que les juges doivent obéir aux lois, et qu’il leur est défendu de les interpréter, les tribunaux, dans ces dernières années, renvoyaient par des référés les justiciables au pou- voir législatif, toutes les fois qu’ils manquaient de loi, ou que la loi existante leur paraissait obscure. Le tribunal de cassation a constam- ment réprimé cet abus, comme un déni de justice.
Il est deux sortes d’interprétations : l’une par voie de doctrine, et l’autre par voie d’autorité.
L’interprétation par voie de doctrine, consiste à saisir le vrai sens des lois, à les appliquer avec discernement, et à les suppléer dans les cas qu’elles n’ont pas réglés. Sans cette espèce d’interprétation pour- rait-on concevoir la possibilité de remplir l’office de juge ?
Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil (1801) 22
L’interprétation par voie d’autorité, consiste à résoudre les ques- tions et les doutes, par voie de règlements ou de dispositions généra- les. Ce mode d’interprétation est le seul qui soit interdit au juge.
Quand la loi est claire, il faut la suivre ; quand elle est obscure, il faut en approfondir les dispositions. Si l’on manque de loi, il faut consulter l’usage ou l’équité. L’équité est le retour à la loi naturelle, dans le silence, l’opposition ou l’obscurité des lois positives.
Forces le magistrat de recourir au législateur, ce serait admettre le plus funeste des principes ; ce serait renouveler parmi nous la désas- treuse législation des prescrits. Car, lorsque le législateur intervient pour prononcer sur des affaires nées et vivement agitées entre particu- liers, il n’est pas plus à l’abri des surprises que les tribunaux. On a moins à redouter l’arbitraire réglé, timide et circonspect d’un magis- trat qui peut être réformé, et qui est soumis à l’action en forfaiture, que l’arbitraire absolu d’un pouvoir indépendant qui n’est jamais res- ponsable.
Les parties qui traitent entre elles sur une matière que la loi positi- ve n’a pas définie, se soumettent aux usages reçus, ou à l’équité uni- verselle, à défaut de tout usage. Or, constater un point d’usage et l’appliquer à une contestation privée, c’est faire un acte judiciaire, et non un acte législatif. L’application même de cette équité ou de cette justice distributive, qui suit et qui doit suivre, dans chaque cas particu- lier, tous les petits fils par lesquels une des parties litigeantes tient à l’autre, ne peut jamais appartenir au législateur, uniquement ministre de cette justice ou de cette équité générale, qui, sans égard à aucune circonstance particulière, embrasse l’universalité des choses et des personnes. Des lois intervenues sur des affaires privées, seraient donc souvent suspectes de partialités, et toujours elle seraient donc souvent rétroactives et injustes pour ceux dont le litige aurait précédé l’intervention de ces lois.
Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil (1801) 23
De plus, le recours au législateur entraînerait des longueurs fatales au justiciable ; et, ce qui est pire, il compromettrait la sagesse et la sainteté des lois.
En effet, la loi statue sur tous : elle considère les hommes en mas- se, jamais comme particuliers ; elle ne doit point se mêler des faits individuels ni des litiges qui divisent les citoyens. S’il en était autre- ment, il faudrait journellement faire de nouvelles lois : leur multitude étoufferait leur dignité et nuirait à leur observation. Le jurisconsulte serait sans fonctions, et le législateur, entraîné par les détails, ne serait bientôt plus que jurisconsulte. Les intérêts particuliers assiégeraient la puissance législative; ils la détourneraient, à chaque instant, de l’intérêt général de la société.
Il y a une science pour les législateurs, comme il y en a une pour les magistrats ; et l’une ne ressemble pas à l’autre. La science du légi- slateur consiste à trouver dans chaque matière, les principes les plus favorables au bien commun : la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées ; d’étudier l’esprit de la loi quand la lettre tue : et de ne pas s’exposer au risque d’être, tour à tour, esclave et rebelle, et de désobéir par esprit de servitude.
Il faut que le législateur veille sur la jurisprudence ; il peut être éclairé par elle, et il peut, de son côté, la corriger ; mais il faut qu’il y en ait une. Dans cette immensité d’objets divers, qui composent les matières civiles, et dont le jugement, dans le plus grand nombre des cas, est moins l’application d’un texte précis, que la combinaison de plusieurs textes qui conduisent à la décision bien plus qu’ils ne la ren- ferment, on ne peut pas plus se passer de jurisprudence que de lois. Or, c’est à la jurisprudence que nous abandonnons les cas rares et extraordinaires qui ne sauraient entrer dans le plan d’une législation raisonnable, les détails trop variables et trop contentieux qui ne doi- vent point occuper le législateur, et tous les objets que l’on s’efforcerait inutilement de prévoir, ou qu’une prévoyance précipitée
Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil (1801) 24
ne pourrait définir sans danger. C’est à l’expérience à combler succes- sivement les vides que nous laissons. Les codes des peuples se font avec le temps ; mais, à proprement parler, on ne les fait pas."