Bonjour, je travaille avec mes élèves en philosophie sur le dilemme du tramway, et j'ai une question de droit pénal à ce sujet (cf en bas de mon message).
Le but du dilemme est de montrer les différents principes qui peuvent guider les actions morales. Je le rappelle brièvement.
Vous êtes conducteur d'un tramway, et pour une raison x, vous vous trouvez face à la situation suivante : Le tramway s'apprête à percuter cinq personnes en train de travailler sur une voie (et vous ne pouvez pas arrêter le tramway à temps). Vous avez deux possibilités : ne rien faire et les cinq personnes mourront, ou bien dévier le train sur la seule autre voie disponible. Mais sur cette voie se trouve un homme qui sera tué.
La question est : doit-on
1) agir pour sacrifier une vie au bénéfice de cinq (selon un principe conséquentialiste utilitariste), ou bien
2) ne rien faire au motif qu'il est par principe mal de tuer quelqu'un, peu importe la conséquence bénéfique attendue (principe de moral absolu et a priori).
Une élève m'a demandé si le conducteur du tramway pouvait être accusé et condamné. Dans le cas 2) il agit choisit délibérément de tuer un innocent, même si c'est pour sauver cinq vies. Pourrait-il être accusé de meurtre ? Dans le cas 1) pourrait-il être accusé de non-assistance à personne en danger ?
Je n'ai pas su répondre à sa question, mais je lui ai dit que je me renseignerais. Je sais qu'il s'agit d'une expérience de pensée très théorique, mais selon les règles du droit en vigueur, je serais reconnaissant si quelqu'un pouvait m'éclairer.
Bonne journée
Dernière modification : 03/12/2019 - par Isidore Beautrelet
Bonjour
Problématique très intéressante !
Dans les deux cas, le chauffeur commet un homicide, c'est incontestable.
Le cœur du débat sera déterminé si c'est un homicide volontaire ou non et le réponse n'est pas évidente.
De plus, dans tous les cas, ils se posera la question de la responsabilité de la compagnie de transport. En effet, pourquoi y avait-il des ouvriers sur les voies alors que le tramway était en circulation ?
Ainsi, je pense que quelque soit le choix du conducteur, c'est la compagnie qui sera reconnu comme le principal responsable de l'accident.
Après, je ne suis spécialiste du droit pénal, il serait bien d'avoir l'avis d'autres membres.
En tout sujet très intéressant. Et chapeau pour l'élève qui a posé la question !
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Bonjour
Je suis sur mon téléphone portable mais je vais tenter d’étayer le raisonnement sur j’aurais adopté de prime abord
1/ il ne peut s’agir à mon sens d’un homicide volontaire dans la mesure où le dol special nécessaire à la caractérisation de l’infraction (animus necandi : intention de tuer) n’est pas démontré. Certes le conducteur choisit de dévier son train ; il connaît les conséquences de cet acte à savoir la mort d’une personne, mais il le fait non pas dans l’intention de tuer et d’attenter à la vie de quelqu’un mais dans l’intention de préserver des vies. Il ne fait pour moi nul doute que si une telle affaire se présentait en réalité le parquet qualifierait en homicide involontaire .
2/ s’agissant de l’homicide involontaire il faudra démontrer les éléments de l’infraction selon l’article 222-6 code Pénal :
« Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende. »
Il faut donc à minima que soit démontrée une négligence maladresse...Manquement, etc. Si cela n’est pas démontré, ’homicide involontaire non établi bien qu’un individu soit décédé.
3/ a supposer l’infraction caractérisée au regard des éléments précités. Le conducteur peut tenter de prouver Une cause d’irresponsabilité : je pense soit à l’état de nécessité ou à la contrainte.
122-2 code pénal sur la contrainte : »N'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister. » il faudrait voir ce que dit la jurisprudence sur la contrainte morale mais je ne suis pas certain qu’elle soit caractérisée .
Article 122-7 État de nécessité : N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.
Ce dernier article rebondit sur la question philosophique que vous vous posez à savoir, y a t il disproportion entre sacrifier une personne pour en sauver 5.
En précisant pour rejoindre isidore que bien entendu la responsabilité pénale d’autres personnes ou de la SNcF, etc... pourra être engagée si des manquements sont caractérisés et ce même si l’infraction n’est pas établie à l’égard du conducteur .
Et on parle bien de la responsabilité pénale ici (et non civile)
Bonjour,
Vous m'excuserez de répondre de manière synthétique, je n'ai pas le temps de développer mes propos. Toutefois, le conducteur du tramway bénéficiera sûrement d'une irresponsabilité pénale sur le fondement de la contrainte (article 122-2 du code pénal). C'est une sorte de force majeure..
La compagnie pourra se faire imputer d'une faute relative à un manquement d'une obligation de prudence ou de sécurité ( article 121-3 du code pénal).
Sinon, vivre avec la mort de quelqu'un sur sa conscience n'est pas déjà en soit une condamnation ?
Bonjour
Je remercie Morgan et C9stifler pour leurs réponses. Au final, on est d'accord pour dire que c'est la compagnie qui reste d'être jugé comme étant la responsable de l'accident peu importe la forme qu'il prendrait.
Sinon, vivre avec la mort de quelqu'un sur sa conscience n'est pas déjà en soit une condamnation ?
Très belle ouverture qui permet de quitter la dimension juridique pour aller de nouveau vers un débat philosophique ?
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