Merci à Guillaume Beaudoin - Chargé deTravaux dirigés à la Faculté de droit de Nancy
UNIVERSITE NANCY 2
FACULTE DE DROIT, SCIENCES ECONOMIQUES ET GESTION
DEUG Droit 2e année – Unité A
Droit des obligations – 2e semestre
Année universitaire 2004-2005
Cours de M. le Professeur Grosser
Chargés travaux dirigés : M. Beaudoin, Mlle Robert
Épreuve de participation du mercredi 4 mai 2005
Durée : 1 h 30
Documents autorisés : Code civil
CAS PRATIQUE
M. et Mme Carlutti tiennent un petit restaurant italien dans la rue Mouffetard à Paris. Lui est aux fourneaux, elle en salle. Les affaires marchent plutôt bien, jusqu’à un jour de février 1996 où M. Carlutti apprend qu’il est atteint d’une tumeur stromale gastro-intestinale. Fort heureusement, la tumeur a été diagnostiquée suffisamment tôt pour laisser espérer de bonnes chances de guérison. M. Carlutti suit alors un traitement à base de Glavic, un médicament « miracle » qui vient d’obtenir son autorisation de mise sur le marché. Cette thérapie s’avère très concluante puisqu’au bout de quelques mois, M. Carlutti est parfaitement guéri de sa tumeur.
Son répit n’est malheureusement que de courte durée. En janvier 1997, M. Carlutti procède à de nouveaux examens médicaux car il souffre depuis quelques semaines de douleurs sur le côté, d’accès de fatigue et parfois de fièvre. Les examens mettent en évidence une tumeur au niveau du rein gauche. La chirurgie étant le seul traitement efficace en la matière, M. Carlutti subit aussitôt une intervention sous anesthésie générale aux fins d’ablation du rein gauche.
Si l’intervention est particulièrement lourde, le suivi du patient le sera tout autant. M. Carlutti devra en effet se faire suivre pendant dix ans, à raison d’un contrôle tous les six mois pendant cinq ans puis d’un contrôle annuel (examen clinique, radiographie de la cage thoracique, et ultrasonographie abdominale ou scanner)
En décembre dernier, au cours de recherches sur Internet, M. Carlutti découvre sur le forum de discussion du site de vulgarisation médicale « www.docteurdunet.com », que d’autres, atteints comme lui de cancers du rein, ont été traités par le fameux médicament Glavic. Il poursuit alors ses investigations en se rendant sur le site de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Il y trouve une note consacrée au Glavic (voir document de l’Annexe I ) dans laquelle il apprend qu’une étude réalisée sur des rats a permis de révéler « une augmentation statistiquement significative » des cas de cancers du rein chez des rats traités au Glavic.
? Désormais convaincu que son cancer du rein a été causé par le traitement au Glavic, M. Carlutti veut agir en responsabilité contre le laboratoire PHARMAPLUS qui fabrique le médicament. Précisez-lui les chances de succès de son action.
?
M. Boirson est membre du conseil d’administration de VITALIFT, une société spécialisée dans la fabrication de produits de cosmétique. Pressenti pour devenir Directeur général d’un groupe concurrent, il envisage de céder, un jour où l’autre, ses actions VITALIFT.
Par ailleurs membre du conseil d’administration de PHARMAPLUS, il sait cette dernière intéressée par une prise de participation dans la société VITALIFT. Le 9 août 2004, il s’engage envers la société PHARMAPLUS à lui proposer en priorité la cession de ses actions dans l’éventualité où il se déciderait à les vendre. Cet engagement est formalisé dans un document signé des deux parties. Le 17 décembre 2004, M. Boirson fait une offre de cession de ses actions pour un prix de 12000 €. La société PHARMAPLUS refuse en raison du prix très élevé. Le 2 avril 2005, il formule une nouvelle offre de cession pour 10500 €, mais l’adresse cette fois-ci à M. Michel, un actionnaire de la société VITALIFT. M. Michel accepte sans hésitation l’offre de cession.
La société PHARMAPLUS invoque alors la clause pénale insérée dans le contrat passé avec M. Boirson. Ce dernier se refuse cependant à verser les 3000 € de dommages et intérêts prévus par la clause. Il estime en effet avoir été libéré de son obligation à l’égard de PHARMAPLUS par une exécution de celle-ci conforme aux termes de la convention. Il soutient par ailleurs que même en cas d’inexécution de son obligation, il ne pouvait être tenu des dommages et intérêts prévus par la clause pénale en raison de l’absence de préjudice de la société PHARMAPLUS
? Analyser la situation.
Annexe I : Note trouvée sur le site Internet de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
INFORMATION IMPORTANTE
GLAVIC ® :
Mise à jour du Résumé des Caractéristiques du Produit
sur les données précliniques de carcinogénicité
Le laboratoire pharmaceutique PHARMAPLUS, en accord avec l’Agence européenne des médicaments (EMEA) et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), tient à vous informer des résultats d’une étude de carcinogénicité d’une durée de deux ans menée chez le rat avec GLAVIC ®.
Dans cette étude, les rats ont été traités à des doses de 15, 30 et 60 mg/kg pendant deux ans puis sacrifiés. Une augmentation statistiquement significative des tumeurs bénignes et malignes des glandes prépuciales et clitoridiennes a été observée aux doses de 30 et 60 mg/kg/j (ce qui représente approximativement 0,5 à 1,7 fois l’exposition quotidienne chez l’homme traité à 400 mg/j). De plus, une augmentation statistiquement significative des tumeurs bénignes et malignes du rein et des tumeurs bénignes de la vessie a été observée, uniquement à la dose de 60 mg/kg/j. L’évaluation des données relatives aux autres organes est en cours.
La posologie de GLAVIC ® approuvée dans le traitement des leucémies myéloïdes chroniques (LMC) et des tumeurs stromales gastro-intestinales (GIST) est de 400-600 mg une fois par jour en monothérapie.
Une analyse récente des données de tolérance issues des essais cliniques menés chez 9518 patients n’a pas mis en évidence d’augmentation de l’incidence globale des affections malignes ou de l’incidence des tumeurs de la vessie, du rein ou de la prostate chez les patients traités par GLAVIC ®, en comparaison avec la population générale.
Cependant, comme la période de latence d’un cancer peut être longue, aucune conclusion formelle ne peut être tirée de cette analyse.
CORRIGE DU CAS PRATIQUE
I. PRODUIT DE SANTE DEFECTUEUX
§1. NATURE DE LA RESPONSABILITE
- loi de 1998 ne s’applique pas : le produit est mis en circulation avant 1998
- responsabilité contractuelle (pas de contrat entre victime et labo, mais en revanche,
chaîne de contrats)
§2. MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE
A. Fait générateur
- inexécution d’une obligation contractuelle de sécurité du fabricant
- l’obligation contractuelle de sécurité est d’origine jurisprudentielle : c’est l’obligation en vertu de laquelle le débiteur ne doit pas causer de dommage corporel à son contractant par l’exécution du contrat.
- l’inexécution de cette obligation contractuelle de sécurité s’apprécie à la lumière de la directive communautaire de 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux ? il faut rapporter la preuve du défaut de sécurité, c'est-à-dire démontrer que le produit n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre.
- en l’espèce, un médicament est censé améliorer l’état de santé, et non le dégrader ? on peut donc bien retenir l’existence d’un défaut du produit ici.
B. Préjudice : oui (corporel, matériel, voire moral et économique)
C. Lien de causalité : Victime doit prouver que le défaut de sécurité du médicament est la cause certaine de sa maladie.
Preuve quasi impossible.
Pour cette raison, la jurisprudence a cherché à faciliter la preuve du lien de causalité en matière de dommage causé par le défaut d’un produit de santé. Dans un premier temps, les juges du fond ont facilité l’établissement du lien de causalité par le jeu des présomptions graves, précises et concordantes de l’art. 1353 C. civ. (présomptions de fait).
Sur cette question de la preuve du lien de causalité, apport majeur de l’ arrêt Civ. 1re, 9 mai 2001 (v. également CE, 15 janvier 2001, dans le même sens). Affaire de contamination par l’hépatite C suite à des transfusions sanguines. Dans cette affaire, la Cour de cassation a également recours au jeu de présomptions pour faciliter la preuve du lien de causalité.
Elle estime que le lien de causalité est établi si la victime rapporte bien la preuve que :
- la contamination survient à la suite de transfusions
- qu’il n’existe pas d’autre modes de contamination possibles
(à moins que le centre de transfusion de rapporte la preuve que les produits sanguins étaient exempts de vice)
Transposition de la règle au cas d’espèce
Si la solution de l’arrêt du 9 mai 2001 a pu être retenue au sujet des transfusions sanguines, c’est parce qu’en matière de transfusions sanguines, le risque de contamination est un risque avéré, un risque prouvé scientifiquement.
Ainsi, la Cour de cassation refuse l’existence du lien de causalité déduite des présomptions de droit posées en matière de transfusions dans l’hypothèse où le risque que fait courir le médicament n’est qu’un risque possible, et non un risque prouvé scientifiquement (cf. Civ. 1re, 23 septembre 2003 : sclérose en plaques apparue à la suite d’un vaccin contre l’hépatite B). En effet, dans un tel cas, la causalité est beaucoup trop incertaine que l’on puisse retenir la responsabilité du fabricant.
Dans notre cas d’espèce, il ne s’agit que d’un risque possible.
En effet, le fait que d’autres personnes ayant été traités par Glavic ont développé des tumeurs du rein ne vaut pas preuve scientifique du risque que fait encourir le médicament. Par ailleurs, l’article trouvé sur Internet précise bien qu’aucune conclusion formelle ne peut être tirée des analyses réalisées par le laboratoire.
Conclusion
- la preuve du lien de causalité ne peut pas être facilitée les présomptions de droit posées par l’arrêt du 9 mai 2001 ; elle ne peut donc pas être rapportée.
- M. X ne pouvant rapporter la preuve du lien de causalité, la responsabilité du laboratoire ne pourra pas être engagée.
II. LA CESSION D’ACTION
§ 1. LE PACTE DE PREFERENCE
Le contrat conclu est un pacte de préférence
Définition : Contrat par lequel une personne s’engage envers une autre à ne pas conclure un contrat avec des tiers avant de lui en avoir proposé la conclusion aux mêmes conditions.
Le pacte de préférence est en principe un contrat unilatéral. Il n’y d’obligation qu’à la charge du promettant : celle de proposer en priorité la conclusion du contrat au bénéficiaire.
En l’espèce, M. Boirson a effectivement fait sa première offre de cession de cession a PHARMAPLUS. Il respecte donc bien son obligation de priorité.
Conséquence d’un refus de la société PHARMAPLUS :
- M. Boirson peut faire la même offre à des tiers : il peut proposer à des tiers la cession de ses actions aux mêmes conditions que celles de l’offre faite à PHARMAPLUS ;
- En revanche, s’il veut faire une nouvelle offre à des conditions différentes, il doit toujours commencer par la proposer en priorité au bénéficiaire avant de la proposer à des tiers.
En effet, le promettant est tenu par son obligation pendant toute la durée du pacte, et non seulement pour la première offre ? à chaque nouvelle offre, le promettant est tenu de proposer la conclusion du contrat en priorité au bénéficiaire.
Conclusion
- M. Boirson n’a pas respecté son obligation issue du pacte de préférence, en proposant à tiers la conclusion du contrat à de nouvelles conditions.
- sa responsabilité contractuelle est donc engagée vis-à-vis de son cocontractant PHARMAPLUS.
§ 2. LA CLAUSE PENALE
L’étendue de la responsabilité de M. Boirson en cas d’inexécution de son obligation a été prévue contractuellement par l’insertion d’une clause pénale dans le pacte de préférence.
Définition de la clause pénale : clause par laquelle les parties évaluent par avance et forfaitairement l’indemnité due en cas d’inexécution d’une obligation.
L’absence de préjudice
M. Boirson pense ne pas être tenu des dommages et intérêts prévus par la clause en l’absence de préjudice subi par la société PHARMAPLUS. À tort…
- la preuve d’un préjudice subi par le créancier de l’obligation inexécutée n’est pas une condition d’application de la clause pénale
- la seule condition de mise en œuvre de la clause est la preuve de l’inexécution contractuelle (cf. Civ. 3e, 12 janvier 1994)
Le pouvoir de révision du juge
On peut mentionner que le juge dispose d’un pouvoir de révision des clauses pénales lorsque celles-ci sont manifestement excessives ou dérisoires (art. 1152 al. 2).
En l’espèce, la clause pénale semble particulièrement sévère, surtout en considération du fait qu’il s’agit d’un contrat unilatéral. Quoiqu’il en soit, ce déséquilibre contractuel ne peut être appréhendé par le mécanisme de révision des clauses pénales. En effet, le juge ne doit tenir compte que d’un seul critère pour savoir si la clause présente un caractère excessif : celui de la disproportion manifeste entre l’importance du préjudice subi et le montant fixé par la clause (Com. 11 février 1997).
Si le juge venait à confirmer l’appréciation du préjudice de PHARMAPLUS faite par M. Boirson (à savoir l’absence de préjudice), il serait alors tout à fait fondé réviser la clause, compte tenu de son montant très élevé.
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M2 - DJCE de Nancy
CRFPA de Versailles