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Dissertation : L’application de la loi dans le temps
Attention ce corrigé à été donné par un professeur de la Sorbonne
CORRECTION
DROIT CIVIL
L'entrée en vigueur d'une loi nouvelle correspond à des nécessités politiques, économiques et sociales.
Pour ces raisons, la loi nouvelle est toujours réputée meilleure que la précédente et abroge, même implicitement la loi antérieure régissant le même domaine du droit.
Toutefois, la transition entre la loi nouvelle et la loi ancienne n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre dans la mesure où les titulaires de droit acquis sous l'empire de la loi ancienne ne peuvent se les voir remettre brutalement en cause, dans la mesure où ces mêmes titulaires peuvent se trouver dans le cadre de situations en-cours crées sous l'empire de la loi ancienne et perdurant sous l'empire de la loi nouvelle, dans la mesure où enfin, les bouleversements opérés par la loi nouvelle ne doivent pas être prétexte à reculer la date effective de son application au risque de freiner l'évolution législative nécessaire.
A cette fin, le législateur aménage parfois le passage d'une loi à l'autre par des dispositions transitoires.
Cependant, lorsque la loi nouvelle ne contient aucune disposition transitoire, il appartient au juge, en cas de litige de faire appliquer la loi nouvelle ou au contraire de se prononcer en faveur du maintien de la loi ancienne.
Cette délicate question n'est pour autant pas soumise à l'arbitraire du Juge, lequel doit, s'agissant du domaine d'application de la loi dans le temps, s'en tenir aux termes de l'article 2 du Code Civil selon lequel: « la Loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a pas d'effet rétroactif.» Cet article, inscrit dans le livre préliminaire du Code Civil et intitulé: « de la publication et des effets de la Loi en général » est le seul à régir le domaine d'application de la Loi dans le temps. II ne le fait cependant que de manière très laconique en posant le principe de non rétroactivité de manière implicite dans sa première partie et expresse dans sa seconde partie. Dire qu'une loi ne saurait être rétroactive ne suffit cependant pas à résoudre tous les conflits de loi dans le temps.
C'est pourquoi, après avoir examiné la portée de l'article 2 du Code Civil, il conviendra d'en voir la mise en oeuvre.
I/ Portée de l’article 2 du Code Civil
A première lecture, la portée de l'article 2 paraît simple à saisir, il est vrai que cet article consacre le principe de non-rétroactivité des lois, mais ce n'est pas tout. C'est pourquoi, nous allons voir que la portée de l'article 2 est plus ambiguë qu'il n'y paraît.
En effet; une lecture attentive de cet article en révèle une portée pour le moins complexe car s'il consacre un principe fondamental (I), il laisse sousjacent un conflit non résolu. En outre, il supporte de nombreuses exceptions et n'a ainsi qu'une portée limitée.
A/ Une portée complexe
L'article 2 a une portée complexe car il affirme clairement un principe mais laisse non résolue une partie des problèmes posés par les conflits de loi dans le temps. Le principe fondamental affirmé par l'article 2 est, bien évidemment, celui de la non-rétroactivité des lois. II est manifeste que les rédacteurs du Code Civil ont entendu réagir contre les lois de la Révolution et les désordres engendrés par celles de ces lois qui avaient été rétroactives, telle que la loi du 6 janvier 1794 relative aux successions. On imagine aisément le bouleversement pouvant résulter de la mise en œuvre de dispositions législatives nouvelles déclarées expressément rétroactives et l'insécurité juridique qui peut en résulter, dans la mesure où chacun peut s'attendre à voir remis en cause, d'un jour à l'autre, par l'effet d'une loi nouvelle, les droits qui lui sont aujourd'hui reconnus. Pourtant, si le principe de non rétroactivité des lois consacré par l'article 2, apparaît comme un principe fondamental, garant de la sécurité juridique et des intérêts de chacun, il convient de remarquer que ce principe n'est pas absolu et ce, pour une raison majeure: il n'a pas de valeur constitutionnelle.
Depuis la Constitution du 22 Frimaire an VIII, il n'a en effet plus été consacré par aucune constitution alors qu'auparavant, la Constitution de l'an III, en son article 14, proclamait: « aucune loi, ni criminelle, ni civile, ne peut avoir d'effet rétroactif ».
Si l'article 2, consacre le principe de non-rétroactivité, principe qui n'est que relatif en ce qu'il n'a pas de valeur constitutionnelle, en ce qu'il énonce clairement: « la Loi n'a pas d'effet rétroactif » il est cependant plus complexe qu'il n'y paraît puisqu'il précise aussi: « la Loi ne dispose que pour l'avenir ».
On pourrait cependant penser que les rédacteurs aient, sur ce point encore, entendu affirmer la non-rétroactivité des lois. Cependant, si cela était, cette seule phrase aurait suffit, ils n'auraient pas jugé utile de préciser: « elle n'a pas d'effet rétroactif ». On ne peut donc se contenter d'affirmer qu'elle ne fait que corroborer le principe qui suit.
D'ailleurs, même si cela était, l'article 2 serait incomplet. En effet, n'oublions pas que ce texte est le seul qui ait vocation à régir les conflits de lois dans le temps. La première partie de cet article vient, alors quelque peu l'obscurcir. Ainsi, dire que la Loi ne peut s'appliquer rétroactivement ne suffit nullement à déterminer à partir de quand elle doit s'appliquer. Ceci est pourtant bien le problème crucial soulevé par l'application de la Loi dans le temps. Ainsi, cette précision, « a Loi ne dispose que pour l'avenir », ne saurait être interprété comme signifiant uniquement qu'elle ne saurait régir le passé, donc ne saurait être rétroactive mais dire qu'elle ne dispose que pour l'avenir reste bien insuffisant.
Par ailleurs, outre cette portée complexe, l'article 2 se voit assigner une portée limitée.
B/ Une portée limitée
L'article 2 n'a qu'une portée limitée en ce qu'il supporte des exceptions, exceptions qui cependant peuvent être rétroactives. La première exception tient au fait que l'article 2 du Code civil n'est qu'une loi ordinaire. Une loi postérieure pourrait donc l'abroger ou la modifier. Par ailleurs, en matière civile, seul le Juge est lié par le principe de non rétroactivité et non le législateur qui peut expressément déclarer une loi rétroactive.
Certaines lois sont, en outre, expressément rétroactives de par leur nature. Ainsi, des lois pénales plus douces, c'est à dire des lois pénales supprimant une infraction ou diminuant la peine encourue. La rétroactivité des lois pénales a d'ailleurs une valeur constitutionnelle, ainsi que l'a affirmé le Conseil constitutionnel par une décision rendue au mois de janvier 1981. Cette rétroactivité s'applique même si la loi nouvelle entre en vigueur alors que l'infraction a déjà été jugée et que la décision rendue est toujours susceptible d'une voie de recours. Si la loi pénale plus douce est toujours rétroactive, la loi pénale plus sévère ne l'est cependant jamais, sauf en ce qui concerne les crimes contre l'humanité. Sont aussi rétroactives par nature les lois interprétatives par lesquelles le législateur, précisant sa volonté édicte une nouvelle loi faisant corps avec l'ancienne et ayant donc la même sphère d'application.
Le caractère exceptionnel de la rétroactivité des lois justifie alors que celles-ci soient strictement contrôlées. En effet, saisis de déterminer le domaine d'application des lois, les Juges exigeront expressément la volonté du législateur pour les déclarer rétroactives afin d'éviter la rétroactivité abusive d'une loi. Le pouvoir des Juges ne s'arrête cependant pas là puisque, compte tenu des insuffisances de l'article 2, c'est à la doctrine en premier lieu, à la jurisprudence ensuite, qu'est revenue la tâche de préciser la portée de cet article.
II/ La mise en œuvre de l’article 2
Les solutions jurisprudentielles actuelles trouvent, pour l'essentiel, leur fondement dans deux conceptions doctrinales.
A/ Les conceptions doctrinales
Au lendemain de la rédaction du Code civil, une première théorie doctrinale s'est imposée pour déterminer la théorie de cet article: il s'agit de la théorie des droits acquis. La théorie des droits acquis, encore appelée théorie subjectiviste, trouve son fondement dans l'idée selon laquelle les droits subjectifs reconnus aux individus doivent se trouver à l'abri de tous les changements législatifs pouvant intervenir. Elle distingue donc parmi les droits subjectifs, les droits acquis pour une personne, c'est à dire ceux existant dans son patrimoine au jour de l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle et les simples expectatives. Cette théorie, ayant pris essence dans les écrits de MERLIN de DOUAI, reprise par les interprètes du Code Civil au 19ème siècle, devait cependant rapidement encourir la critique dans la mesure où, non seulement il n'est pas toujours aisé de distinguer entre les droits acquis et les simples expectatives, dans la mesure donc où elle a des contours incertains, mais aussi dans la mesure où elle freinait toute évolution législative. Une nouvelle théorie s'est donc imposée: il s'agit de la théorie du Doyen ROUBER.
Cette théorie trouva sa source dans les écrits d'un auteur allemand, SAVIGNY. Elle fut développée en France par ROUBER, en 1929, dans sa thèse intitulée « Les conflits de loi dans le temps. » Cette théorie ne se fonde plus sur les droits en cause mais sur les situations juridiques. Elle distingue alors entre les lois relatives à la Constitution ou à l'extinction d'une situation juridique des lois relatives à leurs effets et dégage trois solutions possibles, un principe, qui est celui de l'application immédiate de la loi nouvelle et deux exceptions qui sont la rétroactivité de la loi nouvelle et la survie de la loi ancienne. S'il faut reprocher à cette théorie de ne pas suffisamment prendre en compte les situations en cours de constitution, elle a cependant largement été reprise par la jurisprudence actuelle.
B/ Les solutions jurisprudentielles
Au regard des principes tels qu'actuellement dégagés par la jurisprudence, la solution des conflits de loi dans le temps suppose résolue une double alternative: la loi est-elle ou non rétroactive et dans cette dernière hypothèse, a t-elle une application immédiate ou bien y a t-il survie de la loi ancienne. Etant entendu que la non rétroactivité reste le principe, il importera donc, si le législateur n'a pas expressément prévu la rétroactivité de la loi nouvelle, de déterminer si elle est d'application immédiate ou si la loi ancienne doit continuer à s'appliquer. L'abondance de la jurisprudence en la matière a ainsi permis de dégager des critères fixant le domaine d'application de l'effet immédiat de la loi nouvelle et celui de la survie de la loi ancienne. En premier lieu, il est bien évident que tous les actes juridiques tous les faits qui ont donné lieu à des situations constituées et éteintes au moment de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ne sauraient être remis en cause par cette loi qui, dans le cas contraire sera rétroactive. Par contre, si une situation juridique n'est pas encore constituée au moment de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ces modalités seront soumises aux modalités prévues par cette loi. Ces deux hypothèses sont donc simples: ou bien la situation juridique a été entièrement constituée et a produit tous ses effets jusqu'à extinction, sous l'empire de la loi ancienne, et aucune remise en cause ne sera possible, ou bien elle ne l'était pas encore et alors elle sera soumise à la loi nouvelle. Cependant, il reste à déterminer quelle sera la loi applicable dans les situations intermédiaires, c'est à dire lorsqu'une situation juridique est en cours de constitution ou d'extinction au moment de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.
Une distinction importante doit alors être opérée entre les situations légales et les situations contractuelles. Lorsque la loi nouvelle concerne une situation légale, elle sera toujours d'application immédiate, alors qu'en matière contractuelle l'application de la loi nouvelle ne concernera que les contrats non encore conclus puisque le principe sera celui de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle. Cette solution s'impose en effet dans le souci de respecter la volonté des parties, lesquelles ont conclu sous l'empire d'une loi et sont donc en droit d'attendre de voir leur situation régie conformément à cette loi pour que soit respecté le principe de l'autonomie de la volonté. Toutefois ce principe supporte des exceptions lorsque la loi nouvelle atteint un intérêt d'ordre public particulièrement impérieux.[/color]