Défaut de conformité ou vice caché? (cas pratique)

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Bonsoir,

Je suis en L3 et j'ai un cas pratique à faire en droit des contrats spéciaux. Deux points me posent problème.

1) énoncé: M Pesce exploite un élevage de saumons.Le 2 janvier 2007 il a acheté une pompe à eau séduit par le dépliant publicitaire rédigé de la façon suivante:
"(...)Ce modèle vous éblouira par ses performances exceptionnelles puisqu'il peut filtrer jusqu'à 3000 m cube par heure là où la plupart de nos concurrents ne parviennent pas à dépasser les 1500 m cubes "

Il a immédiatement faxé le bon d'achat. Mais il a été déçu par la machine car un mois après la livraison il lui a bien semblé que le débit de filtrage n'avait rien de très différent de celui que lui procurait son ancienne machine.

Question? Je ne sais pas trop si on est face à un défaut de conformité (la pompe n'est pas conforme aux spécifications contractuelles qui étaient promises), ou face à un vice caché (la pompe ne répond pas à son usage normale, à l'usage pour lequel M Pesce l'a acheté?) J'hésite car je trouve que les deux acceptions se valent, mais je pense plutôt quand même pour le défaut de conformité puisque les qualités fonctionnelles de la pompe faisaient parties du contrat de vente. Qu'en pensez vous?

Autre question:

"Le même homme a acheté auprès d'une société deux bateaux identiques. Mais sur l'un des bateaux il y a des remontées anormales d'eaux. En démontant la coque externe il s'est aperçu que la coque interne était complètement fendue, selon lui ça ne peut être qu'un défaut de composition du plastique. Lors de la vente il avait vu que les coques présentaient de micro fissures mais il ne voit pas comment il aurait pu se douter que ces micro fissures se prolongeaient en interne par des macro fissures."

Je pense ici que l'on est en présence d'un vice caché, cependant l'acheteur peut il agir et surtout avoir gain de cause en sachant que c'est un professionnel (éleveur de saumon, mais non spécialiste des bateaux), et qu'il avait remarqué qu'il y avait déjà des micro fissures sur la coque externe (est ce qu'il n'avait alors pas une obligation de diligence, d'aller vérifier la coque de manière plus approfondie) ??


Merci de votre aide.

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Camille Intervenant

Bonjour,
J'hésite car je trouve que les deux acceptions se valent,

Alors, c'est que vous avez encore à travailler sur ces deux notions, en apparence assez proches, mais bien différentes quand même.
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mais je pense plutôt quand même pour le défaut de conformité puisque les qualités fonctionnelles de la pompe faisaient parties du contrat de vente.

Pour moi, ça ne fait pas un pli. Mais, parce que caractéristique technique clairement mentionnée dans un descriptif technique et caractéristique assez facilement vérifiable.
Mais attention…
un mois après la livraison il lui a bien semblé que le débit de filtrage n'avait rien de très différent de celui que lui procurait son ancienne machine.

Il ne suffit pas d'en avoir seulement l'impression, il faudra le prouver (par expertise contradictoire, par exemple).
Et…
la pompe ne répond pas à son usage normale, à l'usage pour lequel M Pesce l'a acheté

Méfiez-vous de ce genre de formule "réductrice". Il ne suffirait pas à M. Pesce d'affirmer péremptoirement "cette pompe ne répond pas à l'usage normal pour lequel je l'ai achetée" pour avoir automatiquement gain de cause. Il faudrait au moins ajouter "raisonnable" à "usage normal". Sinon, ce serait un peu trop facile...
Voir notamment L211-5 du code de la conso (et environnants !).

Rappel : comme pour le vice caché, le défaut de conformité doit pré-exister au moment de la vente (ou au moins, "couver" sévèrement)(genre joint de culasse déjà en train de fuir et prêt à claquer).



la pompe n'est pas conforme aux spécifications contractuelles qui étaient promises

Sauf si la vérification de la spécification est très complexe. Ça tombe bien, sur une autre file à côté,
http://www.juristudiant.com/forum/droit-civil-la-famille-t16175.html
l'arrêt cité évoque justement le problème :

Attendu
que la société Voiles Gateff fait enfin grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société La Compagnie des Iles du Ponant et à la copropriété du navire Le Ponant une indemnité de 475 771,41 euros,

alors, selon le moyen,
que les juges du fond ayant retenu que les voiles n'étaient pas conformes aux spécifications contractuelles, seule une action fondée sur le défaut de conformité, à l'exclusion de toute action fondée sur la garantie des vices cachés, pouvait être exercée ;

qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 1604 et 1641 du code civil ;

Mais attendu
qu'ayant retenu l'existence de désordres et d'avaries ayant pour origine un défaut de réalisation des voiles qu'il était impossible à la société La Compagnie des Iles du Ponant et à la copropriété du navire Le Ponant de déceler lors de la recette du navire, seule la mesure des voiles ayant permis de mettre en évidence le fait qu'elles étaient trop courtes et non conformes géométriquement pour permettre un fonctionnement normal du navire, la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, a fait l'exacte application de la loi ;

que le moyen ne peut être accueilli ;

Donc, la distinction entre "vice caché" et "défaut de conformité" n'est pas aussi simpliste qu'on le lit souvent par des commentateurs dits "autorisés".
Dans le cas ci-dessus, l'acheteur avait, en fait, "le choix des armes" mais probable que le délai d'action en garantie de conformité était dépassé.

Et rappels : "vice caché" = "vice caché ET rédhibitoire". De plus, "caché" peut vouloir dire "caché même aux yeux du vendeur", donc pas obligatoirement "caché délibérément/frauduleusement par le vendeur".
Et ne pas confondre, bien sûr, panne et vice caché.


Lors de la vente il avait vu que les coques présentaient de micro fissures mais il ne voit pas comment il aurait pu se douter que ces micro fissures se prolongeaient en interne par des macro fissures."

Exact, ici, on est en plein dans le vice caché, selon moi. Le vendeur n'aurait pu s'exonérer que s'il avait dûment signalé ce défaut sur l'acte de cession.



en sachant que c'est un professionnel (éleveur de saumon, mais non spécialiste des bateaux)

Donc, effectivement, pas un "professionnel" au sens des articles sur les vices cachés et pour ce type de matériel, en tant qu'éleveur de saumons.
Il aurait pu l'être si le matériel avait été un matériel spécifique classique pour l'élevage des saumons, il l'aurait été sûrement s'il s'était agi d'acheter le matériel dans le but de le revendre, dans le cadre d'une activité de négoce.


est ce qu'il n'avait alors pas une obligation de diligence, d'aller vérifier la coque de manière plus approfondie ?

Tout dépend de ce que vous appelez "aller vérifier la coque" et "de manière approfondie".


Article 1642 Code civil
Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même.

Ce que les tribunaux traduisent généralement par "un examen visuel précautionneux et attentif, sans démontage mécanique et essai du fonctionnement non moins précautionneux et non moins attentif". C'est-à-dire "raisonnable".
(P.S. : n'est pas considéré comme démontage, le fait d'ouvrir un capot ou un coffre et de soulever la moquette non collée/non clouée pour examiner l'état d'un plancher…)

Par exemple, serait débouté celui qui invoquerait un vice caché au prétexte que le compteur afficherait 1000 heures de fonctionnement (ou 10 000 kms) alors que l'examen ultérieur attentif du manuel d'entretien montre qu'il en a dix fois plus, et qu'en plus l'état apparent du matériel montre à l'évidence son âge approximatif réel.

Les tribunaux n'admettent pas qu'on se comporte en consommateur/acheteur inconscient et irresponsable, contrairement à ce qu'on lit aussi parfois… Mais ne requièrent pas que l'acheteur "lambda" soit un mécanicien ou un électricien chevronné.

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Hors Concours

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Merci pour cette réponse plus que complète, ceci m'aide beaucoup dans la rédaction de mon cas pratique, vous avez mis en lumière certains aspects qui m'avaient échappé.

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Yn Membre VIP

Autre fondement pour le débit de la pompe : le dol. La pompe peut fonctionner correctement mais ne pas pouvoir débiter 3000m3. Donc voir le dol et ses effets.

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« Je persiste et je signe ! »

Docteur en droit, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

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Camille Intervenant

Bonjour,
Mais, on est bien d'accord. La pompe peut fonctionner "parfaitement", en ce sens qu'elle fonctionne bien à son régime nominal, sauf qu'elle est manifestement sous-dimensionnée. Même dans ce cas, on pourra attaquer en garantie de conformité. Et ce, peu importe que le vendeur soit de bonne ou de mauvaise foi.
Le dol va un peu au delà : intention du vendeur de tromper l'acheteur ou plus exactement "de lui faire prendre des vessies pour des lanternes".
Mais petit rappel :

Article 1116
Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé.

Alors que le défaut de conformité est plus facile à prouver : c'est marqué 3000 sur le papelard et on a beau pousser à fond la caisse, on fait à peine 1500, par beau temps et à 25°C, mesurés au double décamètre de précision, devant huissier, peu importe que le vendeur se soit un peu laissé emporter par son enthousiasme technico-commercial ou pas.
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Hors Concours