Epinal Cas pratique Droit de la famille Mme GARDIN juin 2004

Publié par

DEUG Juridique Année universitaire 2003/2004
1ère année Epinal Droit de la famille
A. Gardin

EPREUVE COLLECTIVE DU JEUDI 22 JANVIER 2004
(Durée : 3 heures)

Document autorisé : Code civil sans annotations personnelles

Paul et Virginie font connaissance chez des amis communs le 10 mars 2001. Très vite, ils s'installent ensemble dans l'appartement du jeune homme. Au début du mois de mai de la même année, Virginie annonce à  son ami qu'elle est enceinte. Le couple décide alors de se marier et la cérémonie est célébrée le 15 juillet 2001.

Après quelques mois de vie conjugale paisible, les relations entre les époux commencent à  se dégrader. Paul a découvert incidemment, dans un livre de Virginie rangé dans la bibliothèque, une lettre d'un certain Mathias, datée du 20 février 2001, contenant des déclarations d'amour passionnées avec des allusions parfois très crues sur leurs rencontres nocturnes. Très jaloux, il questionne sa femme et l'accuse d'avoir poursuivi cette relation bien après le début de leur idylle. Il se déclare même persuadé qu'il n'est pas le père de l'enfant à  naître. En dépit des dénégations de Virginie, les scènes se multiplient et deviennent de plus en plus pénibles. Soucieuse de son état, Virginie finit par quitter le domicile conjugal, début décembre, pour s'installer chez une amie.

Le 13 janvier 2002, la jeune femme accouche d'un petit garçon prénommé Léonard et déclaré à  l'état civil comme l'enfant de Paul et Virginie. Averti de la naissance par une infirmière de la maternité, Paul refuse de voir l'enfant et sa mère et nie catégoriquement sa paternité.

Au mois de juillet 2002, Paul vient vous consulter sur les points suivants :
1. S'il intente une action en justice, le divorce peut-il être prononcé aux torts exclusifs de Virginie ?
2. Que doit-il faire pour n'être aucunement tenu envers l'enfant de celle-ci ?

Finalement, Paul renonce à  intenter une quelconque action en justice. Le couple demeure cependant séparé et Paul n'accorde toujours aucune attention à  Léonard.

Début janvier 2003, Virginie s'installe avec Léonard chez Mathias qui reconnaît l'enfant par déclaration devant l'officier d'état civil.

Au mois de décembre 2003, Virginie quitte Mathias pour retourner au domicile conjugal. Au cours des deux derniers mois, elle a revu à  plusieurs reprises Paul qui se dit toujours très amoureux et enfin prêt à  assumer pleinement sa paternité.

Aujourd'hui, le couple vient vous consulter sur le statut de Léonard : comment le faire bénéficier définitivement du statut d'enfant légitime ?


ELEMENTS DE CORRECTION


I. LES DEMANDES DE PAUL

1) Le divorce

seul forme de divorce envisageable : un divorce pour faute

• La faute de Virginie

Problème juridique : les conditions du divorce pour faute

Règle théorique : art. 242 C. civ. la faute conjugale nécessite la réunion de 4 éléments :
- une violation des devoirs et obligations du mariage
- grave ou renouvelée
- rendant intolérable le maintien de la vie commune.
- un élément moral : l'imputabilité.

Application :
• Adultère : Non, car pas de violation du devoir de fidélité. Paul invoque une relation antérieure au mariage (lettre en date du 20 février 2001, mariage célébré le 15 juillet 2001).
• Abandon du domicile conjugal : violation du devoir de communauté de vie (art. 215), grave et rendant la reprise de la vie commune impossible (dure depuis plus de 7 mois, absence de tout contact entre les époux).

Conclusion : Paul peut invoquer une faute de Virginie au sens de l'art. 242 C. civ. Mais cette faute peut-elle être excusée par le comportement de Paul ?

• L'excuse de la faute de Virginie par celle de Paul

Problème juridique : le mécanisme de l'excuse
Règle théorique : art. 245, al. 1 C. civ :
Pour pouvoir excuser la faute du défendeur, celle du demandeur doit remplir 3 conditions :
- elle doit répondre aux exigences de l'art. 242 ;
- elle doit être antérieure à  la faute du défendeur et présenter un lien de causalité ;
- elle doit être de même importance (mais pas forcément de même nature).

En l'espèce, Virginie pourra tenter de prouver que sont départ du domicile conjugal peut être excusé par le comportement de Paul, afin d'obtenir le rejet de la demande en divorce formée par ce dernier. Les 3 conditions sont-elles remplies ?
- faute au sens de l'art. 242 : oui, scènes violentes de Paul (devoir d'assistance entendu au sens large : art. 212), risque pour sa grossesse ;
- antériorité : oui, les scènes ont conduit au départ de Virginie ;
- faute de nature différente mais de même importance.
Virginie a de fortes chances de voir sa faute excusée par celle de Paul. Le divorce ne pourra pas être prononcé aux torts exclusifs de Virginie

2) L'entretien de Léonard

• Statut de Léonard

* La présomption de paternité a-t-elle vocation à  s'appliquer ?

Problème juridique : la paternité du mari de la mère

Règle théorique : art. 312 : enfant conçu pendant le mariage/art. 314 : enfant né pendant le mariage mais conçu avant.

Application : mère célibataire au temps de la conception (PLC du 13 mars 2001 au 13 juillet 2001) mais mariée lors de la naissance

Conclusion : La présomption de paternité a vocation à  s'appliquer sur le fondement de l'article 314.

* La présomption de paternité peut-elle être écartée ?

Pas sur 313 car conception de l'enfant avant le mariage.

Pas sur 313-1 car enfant inscrit à  l'état civil avec indication du nom du mari.

Conclusion : La présomption de paternité ne peut être écartée. Léonard a le statut d'enfant légitime de Paul et Virginie en application de l'art. 314. Son statut est établi par le titre (art. 319).

• Actions en contestation possibles

Problème juridique : la contestation de la filiation légitime

3 actions envisageables car Léonard n'a pas la PE d'enfant légitime (art. 311-1/311-2 Paul n'a jamais vu l'enfant)

• désaveu sur simple dénégation
art. 314 al. 3
mais 2 fins de non recevoir :
- connaissance de la grossesse avant le mariage
- comportement du mari après la naissance
En l'espèce, Paul connaissait la grossesse de Virginie avant le mariage. L'action est irrecevable.

• désaveu de droit commun
art. 312 (cf. 314, al. 3)
mais délai d'action prévu par l'art. 316 : 6 mois depuis la naissance : 13 janvier + 6 mois = 13 juillet 2002. Paul vient vous voir au mois de juillet 2002. 2 cas de figure :
- il vient avant le 13 juillet : l'action est toujours ouverte. Paul devra prouver sa non paternité par tout moyen (ici modes de preuve médicaux)
- il vient après le 13 juillet : délai expiré. L'action est fermée

• action en contestation de paternité légitime
art. 322, al. 2 a contrario (jp)
preuve de la non paternité
délai d'action : 30 ans

II. LES DEMANDES DE PAUL ET VIRGINIE

Léonard est l'enfant légitime de Paul et Virginie en application de l'art. 314
Mais reconnaissance de Léonard par Mathias (art. 335)

Problème juridique : la validité de la reconnaissance d'un enfant légitime

Règle théorique : art. 334-9 interprété a contrario (jp)
Reconnaissance valable si pas de PE d'enfant légitime

Application : Paul ne s'est jamais occupé de Léonard. Elle n'a pas la PE d'enfant légitime.

Conclusion : existence d'un conflit de filiation. 2 pères prétendus : Mathias et Paul.

Règle théorique : art. 311-12 : filiation la plus vraisemblable. Si pas d'éléments suffisants, les juges tiennent compte de la PE.

Ici, Mathias a élevé l'enfant pendant près d'un an alors que Paul commence seulement à  s'y intéresser.

Conclusion : Seule possibilité pour faire trancher le conflit en faveur de Paul : demander un examen comparé des sangs.