"Par deux arrêts du 13 septembre 2013, la Cour de cassation refuse la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissances d’enfants issus d’une convention de gestation pour autrui conclue par un Français en Inde. Dans l’un des arrêts, elle a par ailleurs admis que la fraude à la loi commise par le père entraînait la nullité de sa reconnaissance.
(...)
En application de l’adage fraus omnia corrumpit, la Cour approuve en outre la cour d’appel qui avait annulé la reconnaissance du père (n° 12-18.315). L’article 336 du code civil dispose en effet que la filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public notamment en cas de fraude à la loi. Contrairement à ce que soutenait le père dans son pourvoi en cassation, cette contestation n’est donc pas soumise à la preuve que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père. Il faut, et il suffit, que la fraude, dont la preuve incombe au ministère public, soit constituée pour que la reconnaissance soit annulée."
Passage tiré du site dalloz actualités
L'article est disponible en entier ici:
http://www.dalloz-actualite.fr/breve/gestation-pour-autrui-transcription-l-etat-civil-et-consequences-sur-filiation
Salut tout le monde,
Suite à la lecture de cet article me viennent des interrogations.
Vue l'annulation de la reconnaissance de l'enfant vis à vis du père en droit français, cela signifie que l'enfant n'est pas français. Aux yeux de la France cet enfant est-il un étranger, en l'occurrence, indien?
Si c'est le cas, quels droits le père français(qui n'est pas reconnu comme tel bien que ce soit celui biologique) peut-il exercer en droit français sur son fils?
Merci de vos éclaircissements, bien que j'ai recherché dans le code civil je n'ai pas trouvé de réponse.
Ceux arrêts ne sont que des rappels des jurisprudences Mennesson (6 avr. 2011) et de l'arrêt d'assemblée du 31 mai 1991.
L'affaire Mennesson, dont l'arrêt du 6 avril n'est que l'épilogue (sauf si les époux saisissent la Cour EDH) a été très relayée, tant par les médias que par les juristes.
La Cour de cassation dit, de façon schématique, "faites ce que vous voulez à l'étranger, notamment une GPA, mais ne nous demandez pas de lui faire produire effet en France".
Partant, la Cour de cassation refuse la transcription de l'acte d'état civil dressé en Inde ou en Californie (Mennesson). Ce refus génère des situations totalement aberrantes dans lesquelles le père biologique ne peut pas établir sa filiation en France à l'égard de ses propres enfants.
Pour la mère - la mère "d'intention" - la question est différente car elle n'est pas de lien biologique avec les enfants. Il en résulte que la mère "d'intention" est juridiquement considérée comme tiers par rapport à ses/ces enfants, et ne bénéficie pas de l'autorité parentale, les enfants sont privés de droit de succession, etc.
Ce sont des dossiers complexes car il faut analyser ces décisions avec le prisme du droit civil, du droit international privé, de la procédure civile (notamment le rôle totalement illogique du procureur de la République) voire des droits fondamentaux, sans occulter les réalités concrètes.
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« Je persiste et je signe ! »
Docteur en droit, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Merci pour cette réponse.
Mais quelle est la situation de l'enfant, sans père reconnu en droit français bien qu'il soit présent auprès de lui, et sans mère présente(à l'étranger, non française)?
Je sais que la réponse n'est pas simple mais si quelqu'un en sait plus... Merci !
Il n'y a pas de réponse. C'est toute l'absurdité de la situation : le père (français) et la mère (française) ne peuvent pas établir un quelconque lien de filiation en France avec leurs enfants alors que tout ce petit monde réside en France.
Pour comprendre la situation réelle de ces gens, je crois qu'il faut avoir ceci en tête : la Cour de cassation prohibe la GPA et ses effets en France car le droit positif l'interdit. Malgré cela, elle ne va pas au bout de sa logique car elle ne devrait pas laisser deux enfants avec deux personnes "juridiquement étrangères". Des poursuites pénales pourraient être organisées (elles n'ont été pour les époux Mennesson mais un non lieu a été déclaré) pour aboutir à la séparation des parents et des enfants, leur placement, etc.
Pourtant, la famille Mennesson est toujours réunie et se comporte comme n'importe quelle famille lambda.
C'est un presque un cas d'école tant la situation juridique et la situation réelle sont contradictoires. Pour éviter de telles conséquences - très hypothétiques convenons-en - les parents devraient retourner vivre en Inde ou en Californie selon les espèces.
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Docteur en droit, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
A la suite de cette discussion, où vous écrivez :
La Cour de cassation dit, de façon schématique, "faites ce que vous voulez à l'étranger, notamment une GPA, mais ne nous demandez pas de lui faire produire effet en France",
que pensez-vous de la décision du tribunal de grande instance de Lille qui a autorisé, en octobre, la première adoption plénière pour l'épouse de la mère de deux enfants nés d'un donneur anonyme ? On a clairement affaire à une PMA or la PMA reste illégale en France pour les couples de même sexe et pour les femmes célibataires.
Est-ce que la cour de cassation pourrait casser la décision du tribunal ?
Et si elle ne le fait pas, cette décision du tribunal de Lille qui "produit effet en France" d'une pratique illégale, pourra-t-elle faire jurisprudence contre les arrêts de cette cour sur la GPA ?
Bonjour,
Est-ce que la cour de cassation pourrait casser la décision du tribunal ?
A mon humble avis, non, en tout cas pas pour le motif :
mère de deux enfants nés d'un donneur anonyme ? On a clairement affaire à une PMA or la PMA reste illégale en France
Pour deux raisons.
La première, c'est que les conséquences d'une PMA et d'une GPA ne sont pas du tout les mêmes. La procréation est peut-être illicite en France, mais la gestation se déroule normalement et la mère accouche bel et bien. Elle est donc bien, au sens du droit français, la "vraie" mère. Elle peut tranquillement les déclarer comme ses enfants sans encourir les foudres de la justice pour ce motif, ce qui n'est pas du tout le cas de la GPA où, là, il y a bien substitution de la "vraie" mère par une "fausse", au sens du droit français toujours.
La deuxième, c'est qu'ici, le tribunal n'est saisi que d'une demande d'adoption, pas d'un litige sur la filiation. Il n'a donc pas le droit de s'auto-saisir si à l'occasion de cette affaire, il découvre une infraction "annexe" (*). Et il ne doit statuer que sur le dossier qu'on lui soumet : une demande d'adoption. Or, comme la mère déclarée des enfants est, actuellement et jusqu'à preuve du contraire, la mère au sens du droit français, le tribunal ne pourra pas baser sa décision sur une motivation contraire.
(De plus, je doute qu'au moment de la déclaration de naissance en mairie de ses enfants, la mère ait fait porter la mention "Père : Donneur de sperme anonyme"...)
(*) Relu le code pénal en diagonale, mais il me semble que les articles concernés ne visent que les professionnels de santé qui auraient pratiqués une PMA illégale, pas les parents bénéficiaires de l'opération.
"L'avantage" d'une PMA, c'est qu'elle peut passer totalement inaperçue si elle a été pratiquée à l'étranger et que les intéressé(e)s ne le crient pas sur les toits...
Merci pour cet éclairage !
Le TGI de Lille ne pouvait pas s'y opposer puis qu'il n'y a qu'une filiation et que les femmes sont mariées. Et en effet, elles n'ont pas crié sur les toits qu'elles avaient fait pratiquer une PMA à l'étranger.
Toutefois, on voit que la loi sur la mariage pour tous ouvre sur la reconnaissance explicite de la PMA comme moyen de donner des enfants à un couple de femmes. Or cela semble en contradiction avec ce fameux "droit à l'enfant" que rejette le Conseil constitutionnel sans qu'on comprenne vraiment à quoi il fait référence.
Je cite :
"D'une part, le Conseil a jugé que la loi contestée n'a ni pour objet, ni pour effet de reconnaître aux couples de personnes de même sexe un « droit à l'enfant ». (décision du 17 mai 2013)
Le premier critère d'un TGI pour valider une adoption plénière reste l'intérêt de l'enfant mais cet intérêt de l'enfant n'est pas défini dans le cadre d'un couple de même sexe.
Ainsi, ne pas avoir connaissance de l'identité de son père biologique est-il dans son intérêt ?
(il y a là un choix volontaire de la mère qui aurait pu faire pratiquer la PMA dans un pays où les donneurs ne sont pas anonymes)
On sent qu'il s'agit, pour l'Etat, de régulariser les situations existentes mais quid quand des femmes se marieront pour ensuite décider d'avoir un enfant par le biais d'une PMA avec donneur anonyme ?
En fait, ce qui m'intrigue au-delà de l'incohérence des lois (celle de bioéthique qui interdit la PMA pour les couples de même sexe, celle du mariage pour tous qui permet l'adoption dans un couple de femmes à la suite d'une PMA et ce mystérieux "droit à l'enfant" que nul n'a défini), c'est qu'on reste dans une situation de vide législatif (ce qui est un comble avec deux lois en application sur le même sujet :)).
que pensez-vous de la décision du tribunal de grande instance de Lille qui a autorisé, en octobre, la première adoption plénière pour l'épouse de la mère de deux enfants nés d'un donneur anonyme ? On a clairement affaire à une PMA or la PMA reste illégale en France pour les couples de même sexe et pour les femmes célibataires
Je n'ai pas lu l'arrêt du TGI, mais je crois que GPA et PMA ne peuvent être assimilées : la GPA remet en cause l'adage "la mère est toujours certaine" (mater semper certa est...) alors que la PMA constitue une simple aide à la conception.
La situation a un peu évolué depuis le 13 septembre 2013 car la Cour de cassation se fonde maintenant sur la fraude - "la fraude corrompt tout" - pour refuser tout effet à une GPA réalisée à l'étranger alors qu'elle convoquait avant l'exception d'ordre public. Même si le résultat est identique, le fondement juridique est, selon moi, plus approprié : la conception de l'ordre public est variable en DIP (arrêt Rivière) et la Cour de cassation se privait des subtilités qu'elle avait elle-même créées.
Quelques décrets sont tombés dans lesquels la situation des enfants nés d'une GPA est favorisée, on quitte un peu la "zone de non-droit" de l'arrêt Mennesson pour une situation, toujours boîteuse, mais plus satisfaisante.
L'incohérence législative provient de l'incohérence même des fameux "droits à". Autrement dit, à vouloir systématiquement consacrer des droits individuels, on crée des conflits de droits par essence contradictoires. Le droit à l'enfant (dans des conditions parfois douteuses) et l'intérêt de l'enfant constituent un bel exemple.
A propos de la loi du mariage pour tous, je crois que le pire n'est pas là : vantée par tous les politiques comme une "grande loi d'égalité entre les sexes", elle consacre (rien n'est définitif) une grande distinction entre les couples de femmes (PMA autorisée) et les couples d'hommes (impossibilité pratique de la PMA). Or, si on met tout cela en tension avec le fameux "droit à l'enfant", la donne se complique rapidement.
Bref, à voir pour les évolutions futures, on risque de ne pas s'ennuyer.
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« Je persiste et je signe ! »
Docteur en droit, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Bonsoir,
Le premier critère d'un TGI pour valider une adoption plénière reste l'intérêt de l'enfant mais cet intérêt de l'enfant n'est pas défini dans le cadre d'un couple de même sexe.
Ainsi, ne pas avoir connaissance de l'identité de son père biologique est-il dans son intérêt ?
(il y a là un choix volontaire de la mère qui aurait pu faire pratiquer la PMA dans un pays où les donneurs ne sont pas anonymes)
Sauf que, là, vous confondez un peu le droit et la morale.
D'abord, il n'est pas indispensable d'aller se faire pratiquer une PMA discrète en suivant les traces de Gérard Depardieu (vu son embonpoint, on pourrait d'ailleurs se demander s'il n'a pas expérimenté une nouvelle technique…), c'est-à-dire à Bruxelles, pour exercer ce même "choix volontaire".
Une dame, et c'est très fréquent - peut-être même de plus en plus fréquent - célibataire de son état, en France, peut très bien recourir à une technique beaucoup plus classique, celle utilisée depuis des temps immémoriaux, celle qui ne demande aucun intermédiaire, donc sauf circonstances particulièrement exceptionnelles, en toute connaissance de l'identité du père géniteur, et accoucher de ses œuvres en déclarant aux services de l'Etat que le père de l'enfant est et reste inconnu.
Pas besoin de PMA pour ça et ce genre de situation n'est pas l'apanage des mères homos.
Ensuite, un tribunal ne peut pas entrer dans vos considérations "hors sujet", vu par un juge. Lui ne peut statuer que sur le cas qu'on lui présente : L'enfant est né de mère connue et de père inconnu. Point. Est-il mieux, pour lui, qu'il n'ait qu'un seul parent ou plutôt qu'il en ait deux, quitte à ce que ce soient deux mères (ou deux pères) ?
Et peu importe de savoir qu'il serait mieux, pour lui, de connaitre son vrai père puisque le tribunal ne peut pas forcer la mère à dire ce qu'elle sait peut-être, ou qu'elle ne sait peut-être pas.
En d'autres termes, le problème d'un juge n'est pas de savoir ce qui serait "le mieux" pour l'enfant, mais ce qui serait "mieux" (ou plus mal) dans sa situation actuelle.
Encore moins de statuer au motif que : "Etant donné qu'il serait beaucoup mieux pour cet enfant de connaitre son vrai père et que nous ne pouvons quand même pas entériner un choix malheureux de la mère aux temps jadis, la demande d'adoption par madame Tartempion, ci-devant conjointe de madame Michu, qui n'est pas son vrai père, d'autant plus que c'est une dame, est rejetée. Affaire classée et affaire suivante !!!"
Par contre, la Cour de cassation pourra peut-être y trouver à redire, mais pour d'autres motifs tirés de l'exégèse attentive des articles du code civil sur l'adoption plénière. Peut-être.
A suivre donc, si le proc du coin décide de ne pas en rester là.
Le TGI de Lille n'avait en effet rien à redire sur cette demande d'adoption plénière : un père inconnu, un couple marié. Il applique la loi.
Je ne critique donc pas sa décision (comment un simple particulier "juriste intéressé" pourrait-il critiquer la décision d'un TGI !).
Je suis juste étonnée de la coexistence de deux lois qui me semblent contradictoires : celle de bioéthique qui interdit la PMA pour les femmes homosexuelles et les célibataires (essentiellement pour le motif que créer un enfant sans père n'est pas dans l'intérêt de l'enfant) et celle du "mariage pour tous" qui ouvre à l'adoption plénière d'enfants nés d'une PMA.
L'arbitre en la matière pourrait être le Conseil constitutionnel mais son "droit à l'enfant" reste une notion non définie.
L'explication de Yn, deux réponses plus haut, m'a paru très juste :
L'incohérence législative provient de l'incohérence même des fameux "droits à". Autrement dit, à vouloir systématiquement consacrer des droits individuels, on crée des conflits de droits par essence contradictoires. Le droit à l'enfant (dans des conditions parfois douteuses) et l'intérêt de l'enfant constituent un bel exemple.
Il suffit de lire l'arrêt. Quand la Cour indique "par ces motifs, CASSE et ANNULE...", la réponse me semble évidente.
D'ailleurs, attention, tu mélanges des notions élémentaires : un arrêt de cassation ne détaille jamais le pourvoi (les motifs) car la Cour de cassation, toujours très pédago, expose la solution de la cour d'appel pour ensuite la censurer. Pour schématiser, elle valide les prétentions du pourvoi.
A l'inverse, dans un arrêt de rejet, la Cour va exposer les motifs pour mieux les rejeter et valide donc la solution donnée par la cour d'appel.
Je t'invite à relire tes premiers TD de droit civil.
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Tu auras forcément l'autre formule "par ces motifs : casse et annule".
Consulte un ouvrage de méthodologie.
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