Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 28 mars 2006
N° de pourvoi: 05-81706
Publié au bulletin Cassation
M. Cotte, président
Mme Anzani., conseiller rapporteur
M. Davenas., avocat général
Me Capron, SCP Delaporte, Briard et Trichet., avocat(s)
--------------------------------------------------------------------------------
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Josiane,
- Y... Arlette, épouse Z...,
- X... Sylvain, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, chambre correctionnelle, en date du 30 septembre 2004, qui les a déboutés de leur demande après relaxe de Vincent A... DES B... du chef d'homicide involontaire ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 28 février 2006 o๠étaient présents : M. Cotte président, Mme Anzani conseiller rapporteur, MM. Joly, Beyer, Pometan, Mmes Palisse, Guirimand, M. Beauvais, Mme Ract-Madoux conseillers de la chambre, M. Valat, Mme Ménotti conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
Sur le rapport de Mme le conseiller ANZANI, les observations de Me CAPRON, de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur le pourvoi formé par Sylvain X... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
Sur les pourvois formés par Arlette Z... et Josiane X... :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 122-4 et 221-6 du Code pénal, 73, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Vincent A... des B... des fins de la poursuite du chef d'homicide involontaire sur la personne de Yendi X... et a, en conséquence, déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles d'Arlette Y... et de Josiane Y..., épouse X... ;
"aux motifs qu'aux termes de l'article 221-6 du Code pénal, le fait de causer dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire ; que Vincent A... des B... fait valoir qu'aucune responsabilité pénale ne peut être retenue à son encontre au motif qu'il aurait agi en toute légalité dans le cadre de l'article 73 du Code de procédure pénale et que son comportement, loin d'être imprudent, aurait été dicté par l'ordre de la loi ; qu'au surplus, il n'a commis aucune faute, au sens de l'article 221-6 du Code pénal, dès lors que le coup mortel aurait été tiré alors qu'il n'était plus totalement maître du libre maniement de son arme, sous l'effet de la traction opérée par Ronal C... ; que l'article 73 du Code de procédure pénale qui donne au citoyen le pouvoir d'appréhender l'auteur d'un délit flagrant ou celui que les circonstances permettent de considérer comme tel et l'article 122-4 du Code pénal qui considère comme non responsable pénalement une personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par les dispositions législatives et réglementaires, instaurent des causes d'irresponsabilité pénale qui s'étendent aux fautes involontaires commises au cours de l'acte prescrit ou autorisé par la loi, encore faut-il que l'imprudence commise ne soit pas d'une gravité telle qu'elle dépasse ce qui est autorisé pour la défense d'un intérêt légitime ; que le fait, pour la défense, d'invoquer les dispositions de l'article 73 précité ne saurait donc a priori justifier, sans une analyse approfondie des faits de la cause, une action qui s'est soldée par une mort d'homme alors que le texte en question n'autorise que l'appréhension de l'auteur d'un crime ou d'un délit flagrant ; que, s'agissant du coup de feu mortel, Ronal C..., camarade de Yendi X... et passager de la Toyota, a déclaré aux enquêteurs : "voyant le canon du fusil à hauteur du crà¢ne de Yendi je me suis emparé du canon dans le but non pas de lui arracher l'arme mais de diriger le canon vers une autre direction. Etant derrière Yendi, je n'avais pas beaucoup de prise ni de force ; le Monsieur opposait une résistance ; à un moment comme il tirait l'arme à lui, j'ai dà» là¢cher le canon et c'est là que le coup est parti" ; il a ajouté ultérieurement : " je pense sincèrement qu'il n'avait pas l'intention de tirer pour tuer ; il voulait surtout que nous sortions de la voiture " ; que le témoin Jacques André Alain D... a précisé, s'agissant de Vincent Gérard Marie-Joseph A... des B... : " je pense qu'il voulait que les gens s'arrêtent et voir à qui il avait à faire. Il n'avait pas la position de tir envers quelqu'un ; d'après ce que j'ai vu, j'ai été surpris par le coup de feu et je pense qu'il était accidentel " ;
que dans son rapport, l'expert en balistique, désigné dans le cadre de l'information, a noté : " la présence et l'aspect des traces de peinture figurant sur le côté droit de l'arme corroborent parfaitement les déclarations de Vincent Gérard Marie-Joseph A... des B... ainsi que le témoignage de Jacques André Alain D... ; il s'agit manifestement de traces laissées par le frottement du fusil contre le montant ou le cadre de la fenêtre lors de la traction de l'arme vers l'intérieur par ses occupants si ces traces avaient été occasionnées par le démarrage brutal du véhicule, elles auraient, selon toute vraisemblance, été inversées (plus marquées vers l'avant) " ; en ce qui concerne les circonstances du départ du coup de feu, l'expert écrit : " il s'agit manifestement d'un départ accidentel, non volontaire et classique, appelé par les américains : pull back shooting accident " ; que la Cour retiendra des avis et déclarations concordants qui précèdent que le prévenu n'a pas contrôlé l'action ayant abouti au coup de feu mortel dont a été victime Yendi X... et que, par conséquent, en application des dispositions de l'article 121-3 du Code pénal auxquelles renvoie l'article 221-6 visé dans la prévention, il ne peut être considéré que comme un auteur indirect du dommage subi ; dès lors sa responsabilité pénale n'est susceptible d'être engagée que par la démonstration d'une faute caractérisée exposant autrui à un risque grave ou d'une faute de mise en danger délibérée ; la première de ces deux fautes exige la preuve que la personne ne pouvait ignorer le risque auquel elle exposait autrui ; cette preuve n'est pas rapportée puisque ce risque a découlé non pas d'une action initiée et contrôlée par Vincent Gérard Marie-Joseph A... des B..., mais de l'intervention d'un passager de la Toyota qui a saisi l'arme et a exercé sur elle une traction soutenue avant de la relà¢cher soudainement ; la seconde des fautes susmentionnées consiste en la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi, ce qui exclut les obligations générales de même que celles qui ne sont pas prévues soit par une loi soit par un décret ou un arrêté ; or en l'espèce, il n'est pas précisé quelle est l'obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait fait l'objet d'une violation manifeste, ni quel texte de nature législative ou réglementaire la prévoyait ; la circonstance que le prévenu aurait détenu de manière illicite l'arme utilisée le soir des faits a été invoquée comme constituant cette obligation particulière prévue par la loi ou le règlement ; cet argument ne peut cependant être retenu car cette détention n'est pas en rapport direct avec le décès de Yendi X... ;
qu'il apparaît donc que le comportement du prévenu n'a eu pour objet que d'immobiliser les auteurs, même supposés, d'un délit flagrant dans l'attente de l'arrivée des forces de l'ordre qu'il avait demandé de prévenir ; le fait d'avoir poursuivi le véhicule Toyota avec son propre véhicule et de l'avoir dépassé avant de lui barrer le passage puis d'avoir tiré en l'air afin d'intimer l'ordre à ses passagers de demeurer sur place et enfin de diriger son arme vers le véhicule mais sans viser ne saurait constituer, dans les circonstances de l'espèce (il faisait nuit, il était seul et ignorait le nombre et le degré de détermination des individus à qui il avait à faire), un comportement qui soit en inadéquation avec l'autorisation légale de l'article 73 du Code de procédure pénale ; rien ne permet par ailleurs de considérer que le coup de feu qui a suivi ne découle pas exclusivement de l'intervention malencontreuse d'un tiers ; qu'il résulte de ce qui précède qu'aucune faute caractérisée de nature à constituer le délit reproché et qu'aucun excès dans l'exécution permettant de considérer qu'il a outrepassé l'autorisation de l'article 73 précité ne peuvent être retenus à la charge de Vincent Gérard Marie-Jospeh A... des B... ; que celui-ci bénéficie donc des dispositions de l'article 122-4 du Code pénal aux termes duquel n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions légales ou réglementaires " (cf. arrêt attaqué, p. 9 à 12) ;
"alors que, de première part, si, aux termes de l'article 73 du Code de procédure pénale, toute personne est investie du pouvoir d'appréhender l'auteur d'une infraction flagrante et de le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche, l'usage, à cette fin, de la force doit être nécessaire et proportionné aux circonstances de l'arrestation ; qu'en considérant, dès lors, qu'en application des dispositions combinées des articles 122-4 du Code pénal et 73 du Code de procédure pénale, la personne qui fait usage de la force pour procéder à l'appréhension de l'auteur d'une infraction flagrante n'est pas pénalement responsable des fautes involontaires qu'elle commet dans l'exécution de l'acte d'arrestation à la seule condition que l'imprudence commise ne soit pas d'une gravité telle qu'elle dépasse ce qui est autorisé pour la défense d'un intérêt légitime, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"alors que, de deuxième part et en tout état de cause, n'ayant constaté ni que les occupants du véhicule auraient été ou auraient semblé armés ni qu'ils auraient adopté, à l'égard de Vincent A... des B..., une attitude agressive ou dangereuse ni qu'ils auraient, après le coup de feu en l'air tiré par Vincent A... des B..., opposé une quelconque résistance à l'ordre qu'il leur avait donné de demeurer sur place, la cour d'appel n'a pas caractérisé que l'appréhension des occupants du véhicule nécessitait que Vincent A... des B... usà¢t de la force à l'égard des passagers de l'automobile en dirigeant vers eux son fusil chargé et en l'approchant de la portière du véhicule ; que, dès lors, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors que, de troisième part, l'usage par un simple citoyen d'une arme à feu aux fins d'appréhender l'auteur d'une infraction flagrante n'est proportionné aux circonstances de l'arrestation que lorsqu'il constitue, en l'état de ces circonstances, l'unique moyen de procéder, sans danger pour son auteur ou pour des tiers, à cette arrestation ; que, n'ayant constaté ni que les occupants du véhicule auraient été ou auraient semblé armés ni qu'ils auraient adopté, à l'égard de Vincent A... des B..., une attitude agressive ou dangereuse ni qu'ils auraient, après le coup de feu en l'air tiré par Vincent A... des B..., opposé une quelconque résistance à l'ordre qu'il leur avait donné de demeurer sur place, la cour d'appel n'a pas caractérisé que Vincent A... des B... n'avait eu d'autre choix, pour procéder, sans danger pour sa personne ou pour celle de tiers, à l'arrestation des occupants du véhicule, que de diriger vers eux son fusil chargé et de l'approcher de la portière du véhicule ; que, pour cette raison également, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors que, de quatrième part, dès lors qu'elle a relevé que Vincent A... des B... avait approché son fusil chargé de la portière du véhicule et l'avait dirigé vers ses occupants et dès lors qu'il était constant qu'ainsi que l'avait relevé l'expert en balistique désigné dans le cadre de l'information judiciaire, le coup de feu mortel qui a atteint Yendi X... eà»t été impossible si Vincent A... des B... n'avait pas omis d'actionner le système de sécurité de son arme et n'avait pas gardé son doigt sur la queue de la détente, la cour d'appel ne pouvait considérer ni que la preuve que Vincent A... des B... eà»t exposé les passagers de l'automobile à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer n'était pas rapportée ni que Vincent A... des B... n'avait pas commis une faute caractérisée au sens de l'article 121-3 du Code pénal ni que rien ne permettait de retenir que le coup de feu mortel ne découlait pas exclusivement de l'intervention malencontreuse d'un tiers" ;
Et sur le même moyen relevé d'office au profit de Sylvain X... ;
Vu les articles 73 du Code de procédure pénale et 122-4 du Code pénal ;
Attendu que, si, selon ces textes, toute personne a qualité pour appréhender l'auteur présumé d'une infraction flagrante et le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche, l'usage de la force, à cette fin, doit être nécessaire et proportionné aux conditions de l'arrestation ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'ayant surpris des cambrioleurs, vers une heure du matin, dans sa propriété, Vincent A... des B... est parti à leur poursuite en voiture, après avoir fait aviser la gendarmerie et s'être muni d'un fusil à balles de caoutchouc ; qu'ayant immobilisé le véhicule des fuyards sur le chemin privé menant à son domicile, il a tiré un coup de feu en l'air ; qu'il a ensuite approché son arme de la portière du conducteur et qu'un second coup de feu est parti alors que le passager arrière s'était emparé du canon de l'arme ; que le conducteur, atteint à la tête, est décédé des suites de ses blessures ;
Attendu que Vincent A... Des B... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire ; qu'il a été relaxé ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que le comportement du prévenu n'a eu pour objet que d'immobiliser les auteurs, même supposés, d'un délit flagrant dans l'attente de l'arrivée des forces de l'ordre qu'il avait demandé de prévenir et que rien ne permet de considérer que le coup de feu qui a mortellement atteint le passager de la voiture des malfaiteurs ne découle pas exclusivement de l'intervention malheureuse d'un tiers ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le fait d'approcher de la portière d'un véhicule occupé un fusil armé, avec le doigt sur la queue de détente, était absolument nécessaire en l'état des circonstances de l'espèce, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'o๠il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France en date du 30 septembre 2004, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Basse-Terre, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mars deux mille six ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;