IEJ Montesquieu Bordeaux IV
Session 2006
droit aministratif, M. Mirieu de Labarre
durée 3h
Monsieur et Madame X, dont le cabinet auquel vous appartenez est leconseil, ont reçu notification de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Versailles du 2 février 2006. S'ils ont saisi à la lecture du dispositif de la décision rendues qu'ils n'ont pas obtenu satisfaction, ils souhaitent comprendre les motivation de ce rejet et le raisonnement mis en oeuvre par le juge. Ils s'interrogent sur l'opportunité d'introduire un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat.
Toujours inconsolables depuis le décès de leur fils dans des conditions dramatiques à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy, ils s'afforcent de faire toute la vérité. C'est la raison pour laquelle ils se sont en outre constitué partie civile en vue d'établir les fautes pénales respectives du directeur de la maison d'arrêt, du ministre de la justice et de l'Etat. N'ayant eu aucune nouvelle de ce contentieux depuis plusieurs mois, ils souhaitent faire le point sur cette dimension de l'affaire, évaluer leurs chances de succès et appréhender les modalités de la coordination de cette action pénale avec les actions en cours devant les juridictions administratives.
L'avocat, dont vous êtes le collaborateur, vous demande de bien vouloir lui adresser une note permettant de répondre à l'inquiétude de ses clients qu'il reçoit dès demain matin.
Cour Administrative d'Appel de Versailles
N° 04VE02573
Inédit au recueil Lebon
2ème Chambre
Mme LACKMANN, président
Mme Mireille HEERS, rapporteur
M. PELLISSIER, commissaire du gouvernement
DE FELICE, avocat
lecture du jeudi 2 février 2006
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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Vu 1°), l'ordonnance en date du 16 aoà»t 2004, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 1er septembre 2004, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Paris a, en application du décret n°2004-585 du 22 juin 2004 portant création d'une cour administrative d'appel à Versailles et modifiant les articles R. 221-3, R. 221-4, R. 221-7 et R. 221-8 du code de justice administrative, transmis à la Cour administrative d'appel de Versailles le recours présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ;
Vu le recours, sous le n°04VE02573, reçu par télécopie le 20 juillet 2004 et par courrier enregistré le 21 juillet 2004 au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris, par lequel le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°0101135 du 18 mai 2004 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à M. et Mme X une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du décès de leur fils ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme X devant le tribunal administratif ;
Il soutient que pour engager la responsabilité sans faute de l'Etat à raison du décès de M. Jawad X , le tribunal administratif a estimé que l'Etat a fait courir un risque spécial aux personnes incarcérées en plaçant trois détenus dans une cellule de neuf mètres carrés ; que le tribunal ne pouvait, sans erreur de droit, considérer que cette situation procédait d'une méthode dangereuse ; qu'en effet, aucune méthode spécifique au sens de la jurisprudence sur le risque spécial n'a été mise en oeuvre en l'espèce ; que seule la surpopulation de la maison d'arrêt de Bois d'Arcy est à l'origine de l'incarcération de trois jeunes gens dans la même cellule ; que, par ailleurs, la perte de chance de survie retenue par le tribunal administratif ne découle pas directement de l'exécution d'un acte de l'administration ; que les premiers juges n'ont pas défini le risque spécial auquel la victime aurait été exposée ; que rien au dossier ne permet de caractériser la privation d'une chance de survie ni d'établir un lien de causalité entre ce dommage virtuel et le risque précité ; qu'en tout état de cause, la responsabilité de l'administration pénitentiaire dans l'organisation de sa mission de surveillance des détenus doit être subordonnée à l'existence d'une faute lourde ; que les requérants n'établissent nullement que le décès de leur fils soit imputable à un défaut de conception de la maison d'arrêt ; qu'aucune carence ne peut davantage être relevée dans l'organisation des services de nuit ; que les secours ont été apportés dans un délai très bref, ainsi que l'a d'ailleurs relevé la Cour d'appel de Versailles confirmant le jugement du tribunal de grande instance ayant prononcé un non-lieu dans cette affaire ; que les détenus décédés auraient pu être sauvés s'ils étaient restés près de la fenêtre ; qu'aucune faute de surveillance ne peut non plus être retenue dès lors que l'individu qui a provoqué l'incendie ne présentait pas de danger particulier nécessitant des mesures spécifiques de surveillance ; que les matelas étaient conformes à la réglementation ; qu'il arrive que les housses ignifugées qui les équipent soient enlevées par les détenus ;
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Vu 2°), l'ordonnance en date du 16 aoà»t 2004, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 1er septembre 2004, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Paris a, en application du décret n°2004-585 du 22 juin 2004 portant création d'une cour administrative d'appel à Versailles et modifiant les articles R. 221-3, R. 221-4, R. 221-7 et R. 221-8 du code de justice administrative, transmis à la Cour administrative d'appel de Versailles la requête présentée pour M. et Mme Salah , demeurant ..., par Me de Felice ;
Vu la requête, sous le n°04VE02965, enregistrée le 9 aoà»t 2004 au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris, par laquelle M. et Mme demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°0101135 du 18 mai 2004 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à leur verser une indemnité de 15 000 euros, qu'ils estiment insuffisante, en réparation du préjudice subi par le décès de leur fils à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy ;
2°) de condamner l'Etat à leur payer une indemnité de 150 000 euros assortie des intérêts à compter de la réception de la demande préalable ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que la responsabilité de l'administration pénitentiaire est engagée en raison d'un cumul de fautes et de dysfonctionnement ; que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en écartant les moyens des requérants relatifs à l'existence de ces fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que le tribunal administratif a, à tort, limité la réparation du dommage à la perte d'une chance de survie de leur fils ; qu'il convient au contraire de réparer l'intégralité du dommage né, pour ses parents et ses frères et soeurs, du décès de celui-ci ; qu'il s'agit d'un préjudice moral et économique dans la mesure o๠il contribuait par son travail à la vie de la famille ; que, par ailleurs, ses ayants droits doivent obtenir réparation du préjudice que lui-même a subi de fait de ses souffrances liées aux brà»lures et à l'asphyxie ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 janvier 2006 :
- le rapport de Mme Heers, président assesseur ;
- les observations de Me de Felice, pour M. et Mme ;
- et les conclusions de M. Pellissier, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les deux requêtes susvisées sont relatives aux conséquences dommageables du même accident ; qu'elles ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur l'origine du décès de M. Jawad X:
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 23 juillet 1996, M. Jawad X, qui se trouvait en détention provisoire à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy et était incarcéré dans la même cellule que deux autres détenus, a été victime d'une intoxication par inhalation des fumées dégagées par la combustion de divers objets enflammés volontairement par un autre occupant de la cellule ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles, après avoir écarté les moyens tirés de l'existence de diverses fautes du service public de l'administration pénitentiaire, a retenu la responsabilité sans faute de l'Etat à raison du risque spécial créé en incarcérant trois jeunes gens dans une cellule de neuf mètres carrés, en méconnaissance de la réglementation concernant l'emprisonnement individuel des détenus de moins de vingt-et-un ans ; qu'il a jugé que l'administration avait ainsi fait courir à M. Jawad X un risque spécial qui l'a privé d'une chance de survie ;
Considérant, toutefois, que le décès trouve son origine directe dans le comportement de M. Hassan Y, qui a allumé l'incendie dans le but de contraindre le surveillant de nuit à changer les détenus de cellule ; qu'ainsi, c'est à tort que le tribunal a retenu que le seul fait d'avoir placé trois personnes dans une même cellule permettait d'imputer directement à l'administration la perte d'une chance de survie pour l'une d'entre elles ; que, par suite, le MINISTRE DE LA JUSTICE est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour engager la responsabilité de l'Etat, les premiers juges ont retenu l'existence d'un lien de causalité direct entre le préjudice et la décision d'incarcérer les trois détenus dans une seule cellule ; qu'il appartient à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens des demandeurs de première instance devant le tribunal administratif ;
Sur les fautes invoquées :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 23 juillet 1996, vers 1h20, le surveillant de nuit a été attiré par des interpellations provenant de la cellule o๠M. Jawad X était détenu avec deux autres jeunes gens, qui exigeaient d'être déplacés par crainte d'être exposés à un risque de contagion en raison de la présence, dans la cellule voisine, qui communiquait avec la leur par une fente dans le mur, d'un détenu atteint d'une affection cutanée qu'ils croyaient contagieuse ; que M. Hassan Y, qui avait entassé devant la porte de la cellule les matelas ainsi que d'autres objets, a alors menacé d'y mettre le feu s'il n'était pas changé de cellule ; que, vers 1h25, le surveillant a vu, par l'oeilleton de la porte, que l'intéressé mettait sa menace à exécution ; que, ne disposant pas, conformément aux instructions, des clés des cellules ni du local o๠était entreposé le matériel de lutte contre l'incendie, il a aussitôt téléphoné au gradé de service, alors de repos dans une salle située à l'étage inférieur et dans un bà¢timent distinct, lequel avait les clés du bureau du surveillant d'étage o๠était stocké le matériel de lutte contre l'incendie ; que le gradé de service ayant prévenu les surveillants au repos, est arrivé avec eux sur les lieux de l'incendie cinq ou six minutes après l'appel téléphonique ; que le personnel a maîtrisé l'incendie vers 1h40 ; que le détenu M. Abdella Z a pu alors sortir de la cellule, mais que les deux autres occupants en ont été extraits inanimés ; que leur décès, provoqué par l'inhalation des fumées particulièrement toxiques dégagées par la combustion des matelas en mousse, a été constaté par le SAMU arrivé sur les lieux vers 2h05 ;
Considérant que le danger provoqué par la combustion des matelas en mousse, tant à raison de la nature des fumées dégagées que de l'extrême rapidité de l'embrasement, était connue de l'administration pénitentiaire, de même que la fréquence des incidents provoqués par des détenus enflammant leur matelas ; que l'administration ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que les housses ignifugées, amovibles, les équipant étaient, comme en l'espèce, systématiquement ôtées par les détenus, dès lors qu'il lui appartenait, dans ces conditions, d'équiper l'ensemble des matelas de housses inamovibles en sus des housses amovibles, comme elle le faisait déjà dans les quartiers de sécurité ; que, par ailleurs, la particulière toxicité de la fumée en cause comme la rapidité de la combustion du matériau, d'une part, et l'exiguïté relative de la fenêtre de la cellule, d'autre part, imposaient de prévoir un système adapté de dégagement des fumées, alors qu'il n'est pas contesté que la maison d'arrêt de Bois d'Arcy ne disposait pas même des équipements imposés dans des établissements recevant du public, sous la réserve des aménagements qu'impose la spécificité d'une maison d'arrêt ; qu'enfin, alors même qu'elle était conforme aux instructions, l'impossibilité pour le surveillant de nuit d'accéder rapidement au matériel de lutte contre l'incendie a retardé de cinq minutes au moins la mise en oeuvre des moyens propres à permettre l'ouverture de la cellule totalement enfumée par les objets en feu ;
Considérant qu'il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat est engagée à raison de la perte d'une chance de survie subie par M. Jawad X du fait de cet ensemble de circonstances qui présentent un caractère fautif, sans que le ministre puisse faire valoir que M. Jawad X, qui s'était écarté de la fenêtre pour tenter, avec M. Hassan Y, d'éteindre l'incendie, s'est privé de la possibilité de respirer plus aisément ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme , le tribunal administratif, s'il a estimé que le préjudice dont les demandeurs pouvaient obtenir réparation était constitué par les conséquences dommageables, pour eux, de la perte de chance de survie subie par leur fils, n'en a pas déduit que son évaluation devait se limiter à une part du préjudice global ; qu'il a, au contraire, procédé à une réparation intégrale du préjudice indemnisable et l'a évalué à la somme globale, tous intérêts confondus, de 15 000 euros ;
Considérant que si M. et Mme font valoir que leur fils contribuait par son travail au soutien de la famille, ils ne produisent aucun justificatif du préjudice ainsi allégué ; que, par ailleurs, si les héritiers d'une victime décédée peuvent obtenir réparation des préjudices, même personnels, subis par celle-ci avant son décès et alors même qu'elle est décédée avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, il ne résulte pas de l'instruction que les circonstances du décès de M. Jawad X, qui s'est produit de façon particulièrement rapide, soient de nature à reconnaître l'existence d'un préjudice lié aux souffrances physiques endurées ; qu'enfin, en évaluant à 15 000 euros, tous intérêts confondus, le montant de l'indemnité due à M. et Mme au titre de leur douleur morale et des troubles qu'ils subissent dans leurs conditions d'existence, les premiers juges n'en ont pas fait une évaluation insuffisante ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser une indemnité à M. et Mme et, d'autre part, que les époux ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a limité à 15 000 euros le montant de ladite indemnité ; que, par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions tant du MINISTRE DE LA JUSTICE que des époux tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Dà‰CIDE :
Article 1er : Le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est rejeté.
Article 2 : La requête de M. et Mme est rejetée.