Conseil d'Etat
statuant
au contentieux
N° 248357
Publié au recueil Lebon
1ERE ET 6EME SOUS-SECTIONS REUNIES
Mme Hagelsteen, président
Mlle Anne Courrèges, rapporteur
M. Devys, commissaire du gouvernement
lecture du lundi 26 septembre 2005
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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Vu la requête, enregistrée le 3 juillet 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'ASSOCIATION COLLECTIF CONTRE L'HANDIPHOBIE, dont le siège est ..., représentée par son président ; l'ASSOCIATION COLLECTIF CONTRE L'HANDIPHOBIE demande au Conseil d'Etat l'annulation du décret n° 2002 779 du 3 mai 2002 pris pour l'application de l'article L. 2123 2 du code de la santé publique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son préambule ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la Déclaration universelle des droits de l'homme ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
Vu le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
Vu le code de la santé publique, notamment son article L. 2123 2 ;
Vu la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Anne Courrèges, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Christophe Devys, Commissaire du gouvernement ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 2123 2, introduit dans le code de la santé publique par l'article 26 de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception : « La ligature des trompes ou des canaux déférents à visée contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne mineure. Elle ne peut être pratiquée sur une personne majeure dont l'altération des facultés mentales constitue un handicap et a justifié son placement sous tutelle ou sous curatelle que lorsqu'il existe une contre indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre efficacement./ L'intervention est subordonnée à une décision du juge des tutelles saisi par la personne concernée, les père et mère ou le représentant légal de la personne concernée./ Le juge se prononce après avoir entendu la personne concernée. Si elle est apte à exprimer sa volonté, son consentement doit être systématiquement recherché et pris en compte après que lui a été donnée une information adaptée à son degré de compréhension. Il ne peut être passé outre à son refus ou à la révocation de son consentement./ Le juge entend les père et mère de la personne concernée ou son représentant légal ainsi que toute personne dont l'audition lui paraît utile./ Il recueille l'avis d'un comité d'experts composé de personnes qualifiées sur le plan médical et de représentants d'associations de personnes handicapées. Ce comité apprécie la justification médicale de l'intervention, ses risques ainsi que ses conséquences normalement prévisibles sur les plans physique et psychologique./ Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article » ;
Considérant, d'autre part, que si, en vertu de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre assure l'exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire sous réserve de la compétence conférée au Président de la République par l'article 13 de la Constitution, et si l'exercice du pouvoir réglementaire comporte, non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, il en va autrement dans le cas o๠le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle ;
Considérant qu'à l'appui de sa demande d'annulation pour excès de pouvoir du décret du 3 mai 2002, pris pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 2123 2 du code de la santé publique, l'association requérante soutient que la loi dont elles sont issues, a été adoptée en méconnaissance des principes posés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des engagements internationaux de la France ;
Considérant, en premier lieu, qu'il n'appartient pas au Conseil d'Etat statuant au contentieux de se prononcer sur la conformité de la loi à la Constitution ;
Considérant, en deuxième lieu, que la seule publication, faite au Journal officiel du 9 février 1949, du texte de la Déclaration universelle des droits de l'homme ne permet pas de ranger cette dernière au nombre des textes diplomatiques qui, ayant été ratifiés et publiés, ont, aux termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, une autorité supérieure à celle de la loi interne ; qu'ainsi, la requérante ne saurait utilement invoquer cette déclaration pour contester la légalité du décret attaqué ;
Considérant, en troisième lieu, que les stipulations de l'article 12 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966 aux termes duquel « les Etats parties (…) reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre » sont dépourvues d'effet direct dans l'ordre juridique interne ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des termes mêmes de l'article L. 2123 2 qu'une stérilisation ne peut être pratiquée sur une personne mineure ; que l'existence d'une contre indication médicale absolue aux méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre efficacement doit être constatée ; que, si la personne est apte à exprimer sa volonté, la stérilisation ne peut lui être imposée ; que les conditions dans lesquelles le juge des tutelles est amené à se prononcer sont définies avec précision ; qu'en particulier, ce juge est tenu d'entendre la personne concernée, ses parents ou son représentant légal et de recueillir l'avis d'un comité d'experts composé de personnes qualifiées sur le plan médical et de représentants d'associations de personnes handicapées, lequel apprécie la justification médicale de l'intervention, ses risques ainsi que ses conséquences normalement prévisibles sur les plans physique et psychologique ; qu'eu égard à l'ensemble des règles et garanties ainsi définies, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions litigieuses de l'article L. 2123 2 du code de la santé publique, dont le décret attaqué permet l'application, auraient pour objet ou pour effet de favoriser la stérilisation non volontaire des personnes handicapées et seraient, dès lors, incompatibles, d'une part, avec le droit de se marier et de fonder une famille reconnu par l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, d'autre part, avec la prohibition des traitements inhumains et dégradants prévue respectivement par les articles 3 de cette convention et 7 de ce pacte, enfin, avec le droit à une vie privée et familiale reconnu par l'article 8 de cette même convention ; que, pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la loi dont le décret attaqué fait application introduirait, au détriment des personnes qu'elle vise, une discrimination contraire aux stipulations des articles 14 de cette convention et 26 de ce pacte doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ASSOCIATION COLLECTIF CONTRE L'HANDIPHOBIE n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'ASSOCIATION COLLECTIF CONTRE L'HANDIPHOBIE est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'ASSOCIATION COLLECTIF CONTRE L'HANDIPHOBIE, au Premier ministre et au ministre de la santé et des solidarités.