L3S2 Droit Perpignan – Dissertation : « les pouvoirs de l’employeur en cas de grève ».
Le droit des relations collectives du travail repose sur un constat simple, qui est celui du déséquilibre entre les pouvoirs de l’employeur et la subordination juridique dans laquelle se trouve le salarié. Ce constat, dont l’intensité croît avec le degré de dépendance conjoncturelle des salariés à leur employeur, n’a pourtant pas toujours connu de remèdes appropriés. Bien au contraire, grâce aux lois « Le Chapelier », le législateur de 1791 avait-il purement et simplement interdit les coalitions – certes dans un autre but – mais dont la conséquence a été leur pénalisation dans le Code pénal de 1810 et la persistance dans le temps du caractère pénal ou pour tout le moins opposable des regroupements d’ouvriers.
Les choses ayant changé dès la fin du XIXème siècle, le droit de grève est aujourd’hui constitutionnalisé et le droit syndical consacré et, révolution majeure, depuis la loi du 11 février 1950, la grève ne met dorénavant plus fin au contrat de travail.
Cette caractéristique, essentielle, fait partie des seules dispositions présentes au Code du travail (article L.521-1), avec la prohibition des sanctions contre les grévistes (licenciement, discriminations) : le droit de grève n’a pas pour conséquence de rompre le contrat de travail et par conséquent de laisser le salarié sans ressources, en plus de ne pas, théoriquement, lui occasionner de désagréments.
Dans cette situation, comment peut se matérialiser en cas de grève les pouvoirs classiques de l’employeur, dont le fondement est la situation de subordination juridique dans laquelle se trouve ses employés ?
Cette question peut être analysée au travers de deux pouvoirs fondamentaux de l’employeur : son pouvoir de direction (I) puis son pouvoir disciplinaire (II).
I – Le pouvoir de direction de l’employeur
A – La gestion de l’entreprise en grève
Grève ne signifie pas arrêt de l’entreprise. Les cas où tous les grévistes sont en grève sont rares ; dans la majorité des cas, une minorité des salariés sont grévistes. Noter à ce sujet que le critère de l’unanimité puis de la majorité des grévistes a été abandonné par la jurisprudence (Soc., 21 juin 1967, M. Dupont c/ sté des tréfileries et ateliers du Commercy) ; la seule limité est celle de la pluralité de grévistes (au moins 2) sauf en cas de salarié unique (Soc., 13 novembre 1996) ou de salarié se joignant à un mot d’ordre extérieur à l’entreprise.
En conséquence, nécessité pour l’employeur de continuer à faire tourner l’entreprise, plus pratiquement de minimiser l’impact de l’arrêt collectif du travail sur la production ou la productivité de l’entreprise : l’employeur va tenter de réduire le préjudice qui sera avec certitude causé à l’employeur.
Pour cela, il dispose de 2 moyens principaux : l’organisation du travail et l’expulsion des salariés grévistes.
1 – l’organisation du travail
Remplacement des salariés grévistes possible. Toutefois, la jurisprudence sanctionne le remplacement par des salariés en interim ou en CDD. Une solution fréquemment pratiquée par les employeurs est de remplacer les salariés grévistes par des salariés en CDI ayant les mêmes compétences et avec leur accord, et ces derniers par des interimaires.
Pratique des heures supplémentaires par les salariés non grévistes, mais surcoût pour l’entreprise par la majoration légale et conventionnelle de ces heures. Sanctions discplinaires en cas de refus des salariés.
Récupération des heures non travaillées en cas de force majeure, soumis à l’autorisation de l’inspecteur du travail. Sanction disciplinaire en cas de refus des salariés (art. L.211-2-2 C. travail)
2 – l’expulsion judiciaire
Dans le cas où le mouvement de grève comporte une occupation des locaux, caractérisée par la prise de contrôle de l’entreprise par les grévistes qui refusent de quitter les lieux, l’employeur peut demander en justice l’expulsion des grévistes.
L’expulsion des grévistes obéit à un degré certain d’urgence : il est hors de question pour l’emloyeur d’attendre qu’une décision de justice soit rendue au bout de plusieurs mois de procédure. Il peut par conséquent utiliser une procédure d’urgence, comme la pocédure en référé ou la procédure sur requête.
Sans nécessité d’un avocat, la procédure sur référé permet d’obtenir rapidemnt une ordonnance d’expulsion, éventuellement suivie d’une autorisation préfectorale d’utilisation de la force publique en fonction d’un jugement d’opportunité sur la situation. Dans les faits, la procédure arrivera rarement à ce stade, le juge du TGI préférant temporiser et surseoir à statuer en désignant un expert ou en nommant un conciliateur chargé de convaincre les grévistes de quitter les lieux. De même, l’administration préfectoral rechigne à utiliser la force publique en cas de grève, sauf l’existence de risques importants de trouble à la salubrité, la sécurité et l’ordre public.
B – La fermeture préventive de l’entreprise
1 – le principe du lock-out
Le lock-out, terme d’origine anglo-saxonne, consiste en une fermeture de l’entreprise par l’employeur en prévision ou en présence d’une grève. Le fondement en est la nécessité de protéger l’outil de travail.
Il constitue pourtant également une atteinte forte à la liberté du travail et au droit de grève et n’est même pas prévu par les textes. Pour ces raison, il y a un principe d’illéicité générale d’origine jurisprudentielle du lock-out.
En particulier, le juge sanctionne des lock-out concomittant à la grève de nature à empêcher le déroulement normal de la grève (Soc., 30 septembre 2005, sté Atofina où les salariés, faisant gréve 4 heures par jour se sont vus privés de travail les 4 autres heures en raison de la fermeture de l’entreprise).
Il sanctionnera systématiquement les lock-out dont la raison d’être est de sanctionner les salariés ayant participé à un grève (Soc., 13 novembre 1968, Sté Talmier et fils, 29 juillet 1975, Air France).
2 – les conditions de validité du lock-out
Pourtant, dans certains conditions, la fermeture préventive de l’entreprise peut être considérée comme licite :
- en cas de force majeure, événement irresistible, imprévisible et extérieur,
- en cas de grève irrégulière, l’employeur est autoisé à évoquer l’exception d’inexécution des contrats de travail : il peut suspendre ses propres engagements contractuels résultant du contrat de travail (cf. Soc., 26 novembre 1959).
- en cas de risque à la sécurité des employés et de l’outil de production (Soc., 2 décembre 1964, M. Coupri et autres : risques importants dus aux circonstance « désordonnées et insolites » dans lesquelle la grève était menée).
- enfin, la jurisprudence conditionne la validité du lock-out à la preuve d’un risque insurmontable encouru par l’entreprise : Soc., 16 juillet 1987, Sté Sorefi.
II – Le pouvoir discplinaire de l’employeur
A – La sanction des grévistes
1 – Les conditions de la sanction en cas de grève
L’article L.521-1 du Code du travail dispose d’un principe général de maintien du contrat de travail en cas de grève. Toutefois, ce principe ne trouve à s’appliquer qu’en cas de grève licite. Ce qui conduit à s’interroger sur les critères d’illéicité d’une grève avant d’en analyser les incidences sur les contrats de travail.
a / les critères d’illéicité d’une grève :
La grève peut être illicite en raison de ses conditions.
La grève constitue une cessation collective, volontaire et motivée du travail :
- tout mouvement collectif qui aura pour conséquence de réduire la cadence de travail ou d’en réduire l’efficacité sans cessation effective (grève perlée, grève du zèle) ne caractérise pas une grève, même si le rythme adopté par les salariés reste en dessus de la minima conventionnes (Soc., 5 mars 1983, sté Dunlop).
- le désir de faire grève peut faire défaut, comme dans le cas de l’attribution forcée par les salariés d’un disposition étrangère à leur contrat de travail (Soc., 21 juin 1989, IBM France pour le refus de travailler 3 samedi d’affilée).
- la cessation de travail non motivée par des revendications professionnelles, exposées à l’employeur au plus tard en début de grève n’est pas une grève (Soc., 10 juin 1971, sté péageoise de piquage : l’arrêt collectif en raison d’une défaillance du système de chauffage).
La grève peut également être illicite en raison de ses modalités.
- la grève de solidarité externe est illicite si elle ne concerne pas les salariés de l’entreprise ou si la grève principale est elle-même illicite,
- la grève déraisonnable, caractérisée par le fait que les revendications des salariés ne peuvent pas être satisfaites par l’employeur est illicite,
b / les critères de la grève abusive :
L’abus de l’atteinte portée à la liberté du travail, à la productivité, à la propriété, aux personnes ou aux biens est caractéristique d’une grève illicite.
D’une manière générale, la grève ayant pour objectif de porter un préjudice le plus important possible à la société, par le choix du moment ou de la durée est abusive.
2 – Les sanctions de la grève illicite ou abusive
Pas application du statut protecteur du gréviste : application du droit commun du travail : la participation à une grève illicite constitue une absence non autorisée du salarié à son poste de travail : l’employeur peut procéder a licenciement des salariés grévistes pour faute lourdre sans indemnité ni préavis. Il doit en revanche respecter la procédure de licenciement applicable aux salariés protégés ; il doit demander en particulier l’autorisation de l’inspecteur du travail.
B – Les responsabilités en cas de grève
1 – La responsabilité des grévistes
Lorsque la participation à une grève, licite ou non, s’est accompagnée dommages portés à la société, la responsabilité civile délictuelle peut être recherchée auprès des salariés contre lesquels la preuve de sa participation peut être apportée, à condition de respecter les règles de preuve du droit commun des obligations (faute + préjudice + lien de causalité). La responsabilité peut également être recherchée in solidum en l’absence de preuves individuelles de la participation aux faits préjudiciables. Cette action lui est également ouverte pour couvrir les frais occasionnés par le paiement des salaires des non grévistes dans l’impossibilité d’assurer correctement leur travail ou ayant fait des heures supplémentaires… ou encore pour le préjudice moral lié à la déterioration de l’outil de travail…
2 – La responsabilité des tiers
L’employeur peut également rechercher la responsabilité de tiers :
- la responsabilité du syndicat : provocation à des actions étrangères au droit de grève… Cette action n’est possible que sur le fondement des responsabilités civiles personnelles et du fait des choses ; en revanche, impossibiltié d’action en responsabilité civile délictuelle du fait d’autrui : le syndicat n’est jamais responsable des agissements de ses adhérents (Soc., 17 juillet 1990, sté générale sucrière de Marseille).
- la responsabilité de l’Etat est ouverte en cas de défaillance ou de carence importante des pouvoirs publics. Elle est soumise au droit commun des obligations : faute + préjudice + lien de causalité.