La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence protectrice des libertés du Conseil d'Etat.
Article écrit par Amaury Desquest, étudiant L3 Droit, Université de Reims Champagne-Ardenne.
Adoptée à la fin d’ un été révolutionnaire, le 26 août 1789, par les députés aux Etats-généraux transformés en Assemblée nationale, au motif que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements », la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fait aujourd’hui encore partie du droit constitutionnel positif. Elle est en effet incluse au bloc de constitutionnalité. Pourtant, l’acquisition de ce statut juridique a été particulièrement difficile, laborieuse, en raison de nombreuses réticences à admettre la valeur juridique de la Déclaration, réticences qui furent notamment jurisprudentielles. Ainsi, le Conseil d’Etat, après avoir d’abord refusé, sous la troisième République, de recevoir les recours fondés sur une violation de la Déclaration des droits de 1789 et préféré passer, sous la quatrième République, par les « principes généraux du droit », création purement prétorienne, s’y réfère directement et couramment de nos jours comme en témoigne une jurisprudence importante.
Consécration française de la philosophie des droits de l’homme, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen forme le préambule de la Constitution des 3-4 septembre 1791. Votée dès août 1789 par l’Assemblée nationale constituante, « sous les auspices de l’être suprême », elle est l’aboutissement de la pensée des Lumières, un compromis entre Montesquieu et Rousseau, où triomphe la foi dans la Raison et le progrès, propagée par la franc maçonnerie au sein des élites du royaume. Ses dix sept articles traduisent la même conception individualiste des droits, qui avait inspiré, en 1776, la Déclaration d’indépendance américaine. Les corps intermédiaires- famille, corporations, états et provinces-, sont ignorés. Les droits et libertés y sont reconnus de manière très abstraite, selon une logique universaliste qui est peu soucieuse de la pratique. Honnie par la contre-révolution et glorifiée par les républicains, la Déclaration de 1789 demeurera toujours, c’est incontestable, un enjeu dans l’histoire constitutionnelle et politique de la France. Elle est rappelée solennellement par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, et le Conseil Constitutionnel a reconnu sa valeur juridique en s’y référant à partir de 1971 pour contrôler la constitutionnalité des lois. Le Conseil d’ Etat, quant à lui, reconnut la valeur juridique du Préambule de la Constitution de 1958, et donc par conséquent de la Déclaration, onze années avant le Conseil Constitutionnel, dans sa décision « Société Eky » du 12 février 1960. Mais la haute juridiction administrative a été très longtemps réticente à reconnaître la valeur juridique de la Déclaration et à faire une application directe de ses principes. Il existe deux constantes dans la jurisprudence du Conseil d’Etat depuis plus de cent trente ans: le souci de s’adapter, en permanence, à l’évolution de la société et à celle des pouvoirs publics; la volonté de développer, toujours plus avant, son contrôle pour une meilleure garantie des droits et libertés des justiciables, face à l’accroissement et à la diversification des pouvoirs des autorités publiques. Ceci est manifeste dans l’énoncé des recours ouverts pour obtenir justice, soit par la reconnaissance d’une illégalité, soit par l’octroi d’une réparation, voire la substitution du juge à l’autorité défaillante ou fautive. Pour le professeur René Chapus, trois types de recours peuvent être pratiqués devant le Conseil d’Etat, et d’ailleurs les juridictions administratives qui lui sont attachées: le contentieux de l’excès de pouvoir ( G. Jèze: « le recours pour excès de pouvoir est l’arme la plus efficace, la plus économique, la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés »); le contentieux de pleine juridiction, dit aussi plein contentieux; le contentieux des poursuites ou contentieux répressif. Il faut ajouter que le Conseil d’Etat peut être saisi, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, sous certaines conditions, d’une QPC lorsque les dispositions législatives qu’on souhaite appliquer au justiciable sont contraires aux droits et libertés que garantit la Constitution. D’ailleurs, le Conseil d’Etat a accepté des QPC qui avait pour fondement la violation de la Déclaration de 1789.
Sous la troisième République, Le Conseil d’Etat partageait cette position, refusant systématiquement de s’appuyer sur la Déclaration, ce qui ne l’empêchait pas cependant de créer des principes généraux du droit dont le contenu est largement inspiré de la Déclaration de 1789. Dans le Préambule de la Constitution de 1946, le peuple français réaffirme les principes de 1789. Le Préambule de la Constitution de 1958 procède par renvoi au Préambule de 1946 et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il proclame « l’attachement du peuple français aux droits de l’homme…tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 ». On aurait pu penser que cette référence à deux textes constitutionnels était symbolique. Mais, malgré la controverse, le Conseil constitutionnel, dans sa décision « Liberté d’association » du 16 juillet 1971, dont le visa explicite ( « Vu la Constitution et notamment son Préambule »), a reconnu la valeur juridique du Préambule, et donc, par ricochet, celle du Préambule de 1946 et de la déclaration de 1789. A vrai dire, on peut considérer que le Conseil d’Etat avait déjà ouvert la voie sous la quatrième, à travers la construction des PGD et acceptant, dès 1950, de censurer certaines décisions administratives, qui ne trouvaient pas leur force juridique dans une loi, sur le fondement de la Déclaration.
Au regard de sa jurisprudence contemporaine en matière de protection des libertés, comment le Conseil d’Etat a-t-il appliqué la déclaration des droits de l’homme et du citoyen?
A vrai dire, on peut aisément relever deux modes d’application des principes de la Déclaration par le Conseil d’Etat. Il convient d’envisager l’application indirecte des principes posés par la Déclaration dans la jurisprudence protectrice des libertés du Conseil d’Etat (I), avant d’étudier l’application directe de la Déclaration (II).
I. Une application indirecte des principes de la Déclaration par le Conseil d’Etat.
Il faut remarquer la réserve, la réticence du Conseil d’Etat à admettre la valeur juridique de la Déclaration et donc à l’appliquer. Le Conseil a en effet systématiquement refusé, sous la troisième République, de recevoir les recours fondés sur une violation de la déclaration des droits de 1789 (A) préférant passer, sous la quatrième République, par le détour des principes généraux du droit, au lieu de se référer directement à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (B).
A. Le refus systématique du Conseil d’Etat de recevoir les recours fondés sur une violation de la Déclaration.
Il faut savoir que le droit positif de la troisième République refuse de considérer la déclaration de 1789 comme un texte de droit positif. La troisième République invoquera pourtant ardemment les principes de 1789 et les Républicains ne manqueront pas de proclamer leur attachement aux « immortels principes de 1789 » auxquels ils refuseront expressément la moindre valeur juridique. La Chambre des députés, appuyée en cela par la Ligue des droits de l’Homme, refusera tout net de conférer une valeur constitutionnelle à la Déclaration. Cette position était partagée par le Conseil d’Etat, déniant toute valeur juridique à la Déclaration, ce qui se retrouve d’ailleurs dans sa jurisprudence. Le Conseil refusait alors de manière systématique de de recevoir les recours fondés sur la violation de la Déclaration.
Il faut ici citer deux arrêts illustratifs de cette position de la haute juridiction administrative. Ainsi, dans l’arrêt « Roubeau », du 9 mai 1943, le Conseil d’Etat a refusé d’annuler des dérogations accordées par un maire à un règlement sanitaire municipal qui limitait la hauteur des constructions, dérogations que le requérant contestait en invoquant le principe d’égalité devant la loi, inscrit à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais, nous le verrons, il s’appuiera sur la Déclaration pour dégager, à travers cette décision, le principe général d’égalité devant la loi, qui a depuis reçu des applications multiples. Le Conseil d’Etat refusera encore de recevoir un recours fondé sur la violation de la Déclaration, dans un arrêt du 4 février 1944, « Guieysse », étendant cependant le principe général d’égalité dégagé un an plus tôt, à l’égalité devant l’impôt.
A vrai dire, il est possible d’apporter une explication assez simple à ce refus obstiné du Conseil d’ Etat: c’est que le juge administratif, et a fortiori le Conseil d’Etat, étaient, encore à cette époque, associés aux privilèges accordés à l’administration en raison de son action au service de l’intérêt général. Mais, droit du privilège de l’administration, le droit administratif s’est peu à peu débarrassé de cette caractéristique. Au contraire, il s’affirme de plus en plus comme le droit de l’équilibre, soucieux de protéger les droits et libertés des administrés.
Ainsi, si le Conseil d’Etat a donc refusé constamment de recevoir les recours fondés sur une violation des principes de la DDHC, cela ne veut pas dire pour autant que le Conseil d’Etat n’appliquait pas la Déclaration de 1789. Il l’appliquait, d’une certaine manière, indirectement, en découvrant les principes généraux du droit, dont certains ont un lien avec la Déclaration.
B. Le détour par les « principes généraux du droit ».
Les principes généraux du droit (ou PGD) peuvent être définis, à la manière de Guy Braibant, comme des « principes qui s’appliquent même sans texte, qui sont dégagés par la jurisprudence et qui correspondent à un certain état de la civilisation ». A la libération, le Conseil d’ Etat, par ses arrêts emblématiques des 5 mai 1944, « Veuve Trompier-Gravier » et 26 octobre 1945, « Aramu », a « découvert », dans l’esprit des lois ou dans l’air du temps, des principes généraux du droit destinés à pallier l’absence de textes précis susceptibles de fonder ses décisions, réduisant ainsi la marge de pouvoir discrétionnaire de l’administration et renforçant la protection des justiciables, même si beaucoup de ces principes auraient pu trouver leur source dans le Préambule de 1946 ou, à travers lui, la Déclaration de 1789.
Ainsi, le Conseil d’Etat, sous la Quatrième République, a préféré invoquer les PGD sans se référer à la Déclaration des droits de 1789, afin de conserver à leur égard une plus grande souplesse d’utilisation. Mais, comme l’écrivait Marcel Waline en 1958: « Pourquoi invoquer, comme Antigone, les principes non écrits du droit, lorsque ces principes sont écrits noir sur blanc dans le plus élevé de nos textes, la Constitution? ». Or, sous la quatrième République, la DDHC est intégré au Préambule de 1946.
Déjà, dans l’arrêt « Roubeau » (précité), la Haute juridiction administrative refuse de viser la déclaration de 1789 tout en énonçant que le principe d’ égalité devant la loi est un principe général du droit. Jèze estimait, en commentant cette décision, que les dispositions de cette déclaration constituent « un idéal à réaliser », mais n’ont pas, en soi, valeur de droit positif. Mais d’autres PGD dégagés par le Conseil d’Etat ont un lien avec les principes proclamés par la Déclaration de 1789. Le Conseil d’Etat va implicitement puisé dans la Déclaration une partie de ses principes généraux du droit: liberté de conscience, égal accès aux emplois publics (CE, 28 mai 1954, Barel) , droits de la défense. Dans l’arrêt « Barel », le sieur Barel, candidat au concours d’entrée à l’ENA organisé en 1953, fut surpris de ne point trouver son nom sur la liste, établie par le ministre compétent, des personnes autorisées à concourir. L’administration ne s’expliqua pas vraiment sur les motifs de cette exclusion, même lorsqu’elle en fut « sommée » par le Conseil d’Etat lui-même. Ce dernier procéda à l’annulation de la mesure, jugeant que l’administration, ne saurait, sans méconnaître le principe de l’égalité d’accès de tous les français aux emplois et fonctions publics, inscrit dans la DDHC, écarter quelqu’un de la liste des candidats en se fondant exclusivement sur ses opinions politiques.
Quid de la valeur normative des PGD? On a pu déduire de l’arrêt du Conseil d’Etat « Syndicat général des ingénieurs-conseils » rendu le 26 juin 1959, que les PGD avaient une valeur « infra-législative et supra-décrétale » pour reprendre l’expression de R. Chapus, puisqu’ils s’imposent au pouvoir règlementaire, même autonome de l’article 37 de la Constitution, et nécessitent donc une loi pour être surmontés. Ajoutons enfin que le Conseil d’Etat ne s’est pas toujours appuyé sur la déclaration des droits de l’homme et du citoyen pour dégager les PGD. Il en est ainsi des principes généraux de la deuxième génération, qui sont des principes à caractère économique ou social, que le Conseil d’Etat a dégagé à partir du début des années 1970.
Le Conseil d’Etat s’est finalement résolu, dès 1950, à appliquer directement la Déclaration pour s’y référer désormais couramment, ainsi qu’en témoigne une jurisprudence particulièrement abondante.
II. Une application directe des principes posés par la Déclaration par le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat a accepté de contrôler la légalité de décisions administratives sur le fondement de la Déclaration des droits de 1789, et n’a d’ailleurs pas hésité à en censurer (A). Désormais, le Conseil d’Etat s’y réfère directement régulièrement ainsi qu’en témoigne une jurisprudence importante, de même d’ailleurs, on peut le dire, que la Cour de Cassation (B).
A. Le contrôle de légalité de décisions administratives sur le fondement de la Déclaration.
Le Préambule de 1946 se compose d’une déclaration préliminaire, qui affirme solennellement que des droits inaliénables et sacrés sont attachés à la nature humaine, et de trois parties, respectivement consacrées au rappel des principes de 1789, à l’énumération des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et à l’énoncé des principes particulièrement nécessaires à notre temps. En réaffirmant tout d’abord les droits et les libertés de l’homme et du citoyen, consacrés par la Déclaration des Droits de 1789, le Préambule incorpore cette Déclaration à la Constitution et lui donne, ce faisant, la même valeur qu’elle.
Le juge judiciaire, dans une décision rendue par un juge du fond, a été le premier à reconnaître la juridicité de la Déclaration, par le vecteur de son intégration au Préambule de 1946. Le tribunal civil de la Seine, par un jugement du 22 février 1947, a en effet annulé le testament d’une grand-mère qui déshéritait sa petite-fille si elle épousait un juif, en s’appuyant directement sur l’article 6 de la Déclaration de 1789 qui pose le principe de l’égalité devant la loi de tous les citoyens « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Mais jusqu’ au début des années 1950, le Conseil d’Etat est resté très réticent à appliquer directement la Déclaration des droits de 1789, déniant au Préambule de 1946 toute valeur juridique et refusant donc de reconnaître celle de la Déclaration (d’où le recours au PGD). Cette position de la haute juridiction administrative a été clairement exprimée dans un avis du 23 avril 1947, dont la formule utilisée est très explicite : « ce préambule, dit le Conseil, substitué à la Déclaration des Droits figurant dans le premier projet de Constitution n’a pas de valeur légale positive ».
Cependant, par la suite, ce refus persistant du Conseil à admettre la valeur juridique du Préambule de 1946 et, par conséquent, celle de la Déclaration, va progressivement disparaître. Ainsi, intervenant en formation contentieuse, le Conseil d’Etat va procéder en deux temps. Dans l’arrêt « Dehaene », rendu en Assemblée le 7 juillet 1950, le Conseil d’Etat applique directement le Préambule: « Considérant qu’en indiquant dans le Préambule de la Constitution que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le règlementent », l’Assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte ». Ensuite, le Conseil d’Etat a accepté finalement de contrôler la légalité d’actes administratifs en s’appuyant sur la Déclaration de 1789 elle-même.
Le Conseil d’Etat n’a dès lors pas hésité à censurer des décisions administratives qui ne trouvaient pas leur force juridique dans la loi, sur le fondement de la Déclaration. On peut dès lors considérer que le Conseil d’Etat reconnaissait déjà la valeur juridique de la Déclaration. Avec l’arrêt « Amicale des Annamites de Paris » rendu par l’Assemblée plénière le 11 juillet 1956, le Conseil d’Etat se fonde sur la liberté d’association, proclamée par la DDHC, voyant en elle un PFRLR, pour annuler l’arrêté du 30 avril 1953 pris par le ministre de l’intérieur constatant la nullité de l’association déclarée des Annamites de Paris, dont les dirigeants et les membres étaient des ressortissants vietnamiens. C’est d’ailleurs cette même liberté d’association qui sera élevé au rang de PFRLR par le Conseil constitutionnel dans sa décision « liberté d’association » du 16 juillet 1971. Mais ce n’est qu’en 1957 que le Conseil d’Etat, avec l’arrêt « Condamine » (07/06/1957) pour la première fois, accepta d’examiner au fond un moyen d’excès de pouvoir tiré de la violation des articles 8, 9 et 10 de la Déclaration, lui reconnaissant ainsi, de façon explicite, une valeur juridique supérieure aux actes de l’administration.
Le Conseil d’Etat se réfère aujourd’hui directement de plus en plus volontiers à la Déclaration.
B. Une référence directe à la Déclaration désormais courante.
Le Préambule de 1958 proclame « l’attachement du peuple français aux droits de l’homme…tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 ».- technique du renvoi. Pour une partie de la doctrine, cette rédaction ne conduisait à conférer valeur constitutionnelle qu’à celles des dispositions de la Déclaration relatives aux « droits de l’homme », mais également suggéré que cela n’impliquait de n’accorder valeur constitutionnelle à la Déclaration que dans la mesure ou ses dispositions, anciennes et parfois obsolètes, auraient été « confirmées » en 1946 ( et, a fortiori, de ne pas lui accorder si celles - ci sont contredites par un principe ultérieur) ou, du moins, d’interpréter le texte de 1789 « à la lumière » des compléments apportés en 1946 et en 1958. Mais les juges, ordinaires ou constitutionnels, ont rejeté cette thèse « progressiste » et appliqué de plus en plus volontiers les droits proclamés dans la Déclaration.
Au début de la cinquième République, le Conseil d’Etat va rendre une décision remarquée. Dans la décision « Syndicat général des Ingénieurs-Conseils », le syndicat général des ingénieurs-conseils contestait un décret qui accordait diverses prérogatives aux seuls architectes. Ce décret était pris en vertu des pouvoirs conférés outre - mer au gouvernement par un senatus-consulte du 3 mai 1954. Pour annuler ce décret, le Conseil d’Etat va dire que le président du Conseil des ministres avait l’obligation, en le prenant, « de respecter…les principes généraux du droit qui, résultant notamment du préambule de la Constitution, s’imposent à toute autorité règlementaire même en l’absence de dispositions législatives ». Par là, le Conseil d’Etat rendait une très grande décision, tant pour la théorie des principes généraux du droit que pour la soumission des actes administratifs à ces principes. Moins d’un an plus tard, le Conseil d’Etat a reconnu explicitement la valeur juridique du Préambule de 1958 et des textes auxquels il renvoie, donc de la DDHC, dans sa décision « Société Eky » du 12 février 1960. Il se réfère aujourd’hui directement à la déclaration de plus en plus volontiers. Citons quelques décisions assez illustratives. Avec les arrêts « Peltier » ( 08 février 1987) , ou « Plante » ( 04 mai 1988) rendus à propos de refus de délivrance de passeport, le Conseil d’Etat fonde la liberté de quitter le territoire national non pas sur des textes internationaux pourtant clairs, mais sur la Déclaration de 1789.
Le Conseil d’Etat a eu aussi à se prononcer, à l’occasion de l’arrêt « Dame Buret » du 7 décembre 1987, à propos de l’égalité des sexes dans la fonction publique. Ainsi, méconnaît l’article 6 de la DDHC le refus du directeur d’autoriser une enseignante à exercer dans une maison d’arrêt, au motif, jugé entaché d’erreur de droit par le Conseil d’Etat, qu’une femme éprouverait des difficultés à assurer la discipline dans des établissements pénitentiaires. Aussi, les arrêts du TA d’ Orléans du 20 mai 1994 et du CE du 14 mars 1994, « Melles Neslinur et Zehranur Yilmaz », se fondent sur l’article 10 de la Déclaration pour annuler l’exclusion d’une école publique de deux élèves pour port du foulard islamique. Ou encore le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 15 janvier 1999 « Sabaty », considère que la décision du ministre du Travail refusant de modifier la liste des formations ayant droit à l’allocation reclassement, annexée à la Convention des Etat-Unedic, n’est contraire à aucune disposition de la Déclaration de 1789 ou du préambule de 1946. Enfin, le Conseil d’Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel une QPC en date du 14 avril 2010, dans laquelle les requérants soutenaient, notamment au regard de l’article 4 de la DDHC, qui fonde le principe de responsabilité, donc de la réparation d’un dommage causé à autrui, l’inconstitutionnalité des dispositions introduites à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles par le I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Ces dispositions interdisent à quiconque de « se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » et limitent l’engagement de la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé du fait de la naissance d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse aux préjudices des seuls parents et si « une faute caractérisée » peut être identifiée.
Ainsi, au regard de l’évolution de l’attitude du Conseil d’Etat, on peut voir que le Conseil d’Etat a ainsi réalisé, pour reprendre une expression du professeur R. Chapus, la « jonction » du droit administratif et du droit constitutionnel. En effet, le Conseil d’Etat fait directement application des principes constitutionnels de la Déclaration des droits de 1789 et utilise beaucoup moins les Principes généraux du droit traditionnels.
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Lauréat de la région champagne Ardennes du concours lycéen de plaidoiries pour la défense des droits de l'homme (en 2005,8e édition, mémorial de Caen).