Dernière mise à jour par Mathou le 21/06/2008.
Article publié par Yann.
La clause de non-concurrence est classiquement définie comme étant la « clause d'un contrat par laquelle une des parties s'interdit, dans certaines limites de temps et de lieu, d'exercer une activité professionnelle déterminée susceptible de faire concurrence à l'autre partie ».(1)
Le problème est que le législateur, s'il a parfois fait référence à cette clause, cela ne concerne que des situations particulières (comme par exemple l'article L 134-14 C.com. pour les agents commerciaux). Il n'a pas défini expressément les conditions générales de validité de celle-ci. C'est la jurisprudence qui a dà» intervenir pour palier à cette carence.
Mais il est nécessaire de distinguer ici deux domaines dans lesquels les conditions posées par la Haute juridiction ne sont pas les mêmes, et ce en raison de la finalité de ce type de clause et des atteintes qu'elle peut porter aux libertés.
{{1/ En droit du travail(2) :}}
Les conditions de validité de la clause de non-concurrence, dans le domaine de la relation de travail, sont aujourd'hui bien établies. Celles-ci ont été posées par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans trois arrêts du 10 juillet 2002(3).
Désormais, pour être licite, la clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, doit être limitée dans le temps et dans l'espace (4), doit tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié et doit comporter pour l'employeur l'obligation de verser au salarié une contrepartie financière.
L'exigence de la double limitation dans le temps et dans l'espace n'appelle pas de remarque particulière. Le non respect de cette condition entraînera la nullité de la clause.
La conséquence est la même, s'agissant de l'obligation faite à l'employeur de verser une contrepartie financière au salarié(5), lorsque celle-ci fait défaut.
La Cour de cassation a précisé, quelle que soit la qualification contractuelle donnée par les parties, que cette somme devait s'analyser comme « une indemnité compensatrice de salaire dont l'action en paiement se prescrit par cinq ans » (Cass. soc. 26 septembre 2002, D.aff. 2003, p.905). Elle a donc le caractère de salaire et sera alors soumise à cotisations (Cass. Soc. 6 juillet 2000, RJS 9-10/00, n° 993) et entrera dans l'assiette de calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés (Cass. Soc. 28 novembre 2001, RJS 2/02, n° 175).
Concrètement, il devra s'agir d'une somme d'argent d'un montant déterminé ou constitué par un pourcentage du salaire perçu par le salarié lorsqu'il était en activité dans l'entreprise, cette seconde solution étant la plus fréquemment utilisée en pratique. Ne peuvent désormais plus remplir cette condition ni la simple formation professionnelle dispensée au salarié, ni les avantages qui lui auraient été octroyés pendant la durée de son contrat de travail, comme cela fut admis auparavant(6).
En outre, cette contrepartie financière n'a pas le caractère d'une clause pénale, les juges du fond n'ont donc pas compétence pour la modifier à la hausse ou à la baisse, sur le fondement de l'art. 1152 du c.civ. (7).
Quant aux deux conditions qui imposent à la clause de non concurrence d'être à la fois indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et de tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié, elles soulèvent plus de difficultés en raison non seulement du caractère imprécis et aléatoire de ces notions, mais également du fait de leur antinomie.
Les juges du fond auront pour tà¢che d'envisager un double rapport de proportionnalité :
- dans un premier temps, il sera nécessaire de vérifier que l'interdiction issue de la clause soit proportionnelle à l'intérêt légitime de l'entreprise, à défaut de quoi ils pourront décider qu'elle « n'est pas proportionnée à l'objet du contrat et prononcer son annulation »( 8 )
- dans un second temps, ils devront contrôler la proportionnalité entre cet intérêt légitime et la sauvegarde de la liberté professionnelle du salarié, autrement dit s'assurer de l'équilibre contractuel du contrat
Mais quid lorsque l'interdiction de concurrence n'est pas excessive eu égard à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, alors que dans le même temps elle entraîne l'anéantissement de la liberté professionnelle du salarié ?
C'est dans un arrêt du 18 septembre 2002 que la chambre sociale de la Cour de cassation a répondu, en affirmant la suprématie du maintien de la liberté du travail sur les autres conditions de validité de la clause de non concurrence. Elle a en effet décidé que, dans cette situation, les juges devaient faire prévaloir la liberté économique du débiteur de la clause, et qu'ils avaient pour ce faire la possibilité de réduire le champ d'application de celle-ci (à noter donc qu'il n'y a pas ici annulation de la clause, mais seulement modification). Elle instaure ainsi par cette décision une « hiérarchie des conditions de validité de la clause de non-concurrence en droit du travail »(9).
{{2/ En droit des sociétés(10) :}}
On retrouve les clauses de non-concurrence dans toutes les activités économiques : dans les relations entre commerçants (un vendeur de fonds de commerce qui se voit imposer une obligation de non rétablissement au profit du cessionnaire), ou bien à l'encontre d'un professionnel libéral qui cède sa clientèle (il sera également tenu de ne pas se rétablir, dans certaines limites), etc… En matière de droit des sociétés plus particulièrement, elle sera, la plupart du temps, imposée par les statuts à l'associé(11) ou bien à l'ancien dirigeant.
Mais en ce domaine, la jurisprudence n'a pas encore défini les conditions de validité de cette clause avec autant de netteté qu'en droit du travail, en raison notamment de l'atteinte qu'elle peut porter au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.
Elle a néanmoins posé des jalons, afin d'éviter toute distorsion entre l'objectif poursuivi par celle-ci et les droits du débiteur de l'obligation de non-concurrence qui doivent être préservés.
Ainsi, la clause de non-concurrence ne doit pas, en premier lieu, porter atteinte au droit du débiteur de cette obligation d'exercer son activité professionnelle. Elle « ne peut que restreindre, et non supprimer, sa liberté d'action »(12).
Cela suppose qu'elle soit limitée non seulement dans le temps et dans l'espace (le non respect de cette condition pouvant alors entraîner une limitation de son champ d'application ou bien son annulation, voire celle du contrat qui la contient), mais aussi quant à son objet (elle ne doit pas empêcher l'intéressé d'exercer une activité conforme à sa qualification et à ses connaissances, ou plus généralement d'exercer « toute activité salariée ou de gestion »(13) ).
La clause de non-concurrence doit, en second lieu, être justifiée par la nécessité de protéger les intérêts de son bénéficiaire. Autrement dit, la restriction (temporelle et spatiale) qu'elle apporte à la liberté de rétablissement de celui qui en est tenu doit s'ajuster « à la fonction qu'elle remplit »(14). Le juge a donc là encore la tà¢che de contrôler la proportionnalité entre les intérêts du débiteur et ceux du créancier de l'obligation de non-concurrence.
En résumé, l'interdiction doit avoir pour objectif non de limiter arbitrairement la liberté de l'associé ou du dirigeant, mais de protéger les intérêts légitimes des autres associés ou ceux de la société.
On notera enfin qu'à l'heure actuelle, en droit des sociétés, la jurisprudence n'a pas érigé l'existence d'une contrepartie financière en condition de validité de la clause de non-concurrence. Seules celles évoquées précédemment suffisent aujourd'hui à lui assurer pleine efficacité…
{{Mise à jour :
La stipulation d'une indemnité compensatrice au profit du salarié est désormais exigée, suite à un revirement de la Cour de cassation par trois arrêts de la chambre sociale du 10/07/2002 ( pourvoi n°00-45135 ; n°00-45387 et n°99-43334 ).}}
____________________________________
(1) Lexique des Termes Juridiques, éd. Dalloz
(2) voir D.aff. 2003, p.902 et s.
(3) Cass. soc. 10 juillet 2002 , D. 2002 p.2269 ; D. 2002 Jur. p.2491 note Yves Serra ; D. 2002, sommaires commentés p.3111, obs. J. Pélissier
(4) auparavant , cette double limitation n'était qu'alternative : la clause devait être simplement limitée soit dans le temps, soit dans l'espace ( Cass. soc. 29 mai 1991, RJS 1991 n°836 )
(5) ce qui n'était pas imposé avant cet arrêt : l'employeur ne peut être condamné à verser au salarié une contrepartie financière à la clause de non-concurrence lorsque cela n'est prévu ni par le contrat de travail, ni par une convention collective ou un accord collectif d'entreprise ( Cass. Soc. 11 juillet 2001 [non publié], à consulter sur le site Internet www.legifrance.gouv.fr )
(6) Cass. soc. 21 octobre 1960, JCP 1960, II, n°11886
(7) Cass. soc . 26 mai 1988, D. 1989 Somm. 265, obs. Y. Serra
En revanche, la clause prévoyant une indemnité en cas de non respect de la clause de non-concurrence étant une clause pénale, les juges peuvent user de la faculté que leur reconnaît l'art. 1152 al. 2 ( Cass. soc. 5 juin 1996, Bull. civ. V, n° 226 )
( 8 ) Cass. com. 12 mars 2002 [non publié] : en l'espèce, la clause de non-concurrence annulée prévoyait l' interdiction à un franchisé de collaborer directement ou indirectement à un commerce de même nature sur le territoire de la Communauté européenne pendant une durée de deux ans ( à consulter sur le site Internet précité note 5 )
(9) Cass. soc. 18 septembre 2002, note Yves Serra , D. 2002, Jur. p. 3229
(10) voir Yves Guyon, Droit des affaires :Tome1-Droit commercial général et Sociétés, 12e édition 2003, part. n°857 et s.
(11) lorsqu'il joue un rôle actif dans la société soit en raison de la forme de celle-ci ( dans les sociétés professionnelles par exemple ), soit en raison de sa situation particulière ( associé qui a fait un apport en industrie, associé majoritaire d'une Sarl …), ou bien lorsqu'il a cédé ses droits sociaux ( obligation de non-concurrence au profit du cessionnaire incluse dans le contrat de cession )
(12) Yves Guyon, ouvrage précité n°859 p.929
(13) Cass . com. 24 juin 1997, RJDA 12/97, n°1457 p.1001
(14) Cass. com. 4 mai 1993, Bull. civ. IV, n° 172 ; JCP 1993, II, 22111, note C. Boutard-Labarde