Les critères récents de distinction entre délégation de service public et marchés publics

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Article publié par Yann.

Exposé réalisé par Etienne COURONNE, Johan SCHNEIDER et moi même. Merci à  mes camarades de m'autoriser à  le publier.




La distinction Délégation de Service Public (DSP) et Marchés Publics (MP) est importante dans la mesure o๠elle détermine le droit applicable au contrat en cause. En effet, si le contrat est un marché public le code des marchés publics va s'appliquer, dans le cas contraire les règles seront différentes : il y aura alors une procédure particulière issue de la loi Sapin du 29 janvier 1993 relative à  la prévention de la corruption et à  la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
Il est donc important d'identifier précisément l'existence d'une délégation, pour éviter un contentieux pouvant aller jusqu'à  l'annulation du contrat dans le cas o๠le contrat que la collectivité considère comme une délégation est un marché public, qui répond à  des règles différentes.
Or, la délégation de service n'est pas une notion précisément définie : seuls quelques critères peuvent être dégagés de la jurisprudence administrative. Trois critères sont généralement retenus pour identifier une délégation de service public :
-L'exploitation d'un service public ;
-L'existence d'un contrat entre la collectivité et une entreprise fixant les conditions d'exploitation du service ;
-Le mode rémunération de l'entreprise.
Les deux premiers sont des critères plus anciens. Le dernier est celui qui nous intéresse plus particulièrement, c'est l'élément-clé pour la distinction entre délégation de service et marché public, il a été dégagé plus récemment par la jurisprudence. C'est ce que nous étudierons en deux parties :


{{I Le critère déterminant de la distinction : les modalités de rémunération du délégataire.}}

La rémunération du délégataire est importante car elle détermine le classement du contrat. Elle doit être substantiellement assurée par l'exécution du contrat, ce qui est largement déterminé par la notion de risques.

{A) La rémunération substantielle}

Le contrat doit permettre au cocontractant de se payer par l'exploitation du service. Pour cela, le juge a essayé de limiter l'intervention de financement par les personnes publiques .

1) La rémunération par l'activité du cocontractant est le critère primordial pour la distinction marchés publics et DSP. C'est de lui que découlent la majorité des autres. Il en résulte que tout contrat prévoyant que la rémunération du cocontractant se ferrait par la personne publique contractante est un marché public et non une délégation de service public. C'est l'arrêt du Conseil d'Etat rendu en section du contentieux le 15 avril 1996 Préfet des Bouches du Rhônes qui amorce ce critère:
« Considérant que le contrat litigieux, conclu entre la commune de Lambesc et la société "Silim Environnement" prévoyait que la rémunération du cocontractant serait assurée au moyen d'un prix payé par la commune ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, même incluse dans un contrat conclu après l'entrée en vigueur de la loi du 29 janvier 1993, cette stipulation obligeait à  regarder ledit contrat comme un marché soumis aux règles régissant les marchés publics ».
C'est donc avant tout l'activité du cocontractant qui doit lui permettre de se financer. En effet, dès lors que le cocontractant est entièrement rémunéré par la personne publique, on perd toute notion de délégation. C'est alors un marché public, soumis au CMP.
De plus la C.R.C. dans un arrêt syndicat départemental de l'eau du Morbihan du 4 novembre 1997 précise qu'à  supposer qu'il existe un problème d'applicabilité de la jurisprudence Préfet des Bouches du Rhône, et de la loi du 29 janvier 1993 il faut dans tous les cas appliquer deux grands principes : l'intérêt du bon emploi des deniers publics et l'absence de transparence de la procédure. Ces derniers sont susceptibles d'être considérés comme des grands principes s'appliquant même sans texte. De ce fait, ils peuvent aussi servir à  l'interprétation d'un texte flou ou imprécis.
La CRC Ile de France se réfère directement au conseil d'Etat pour trancher, indiquant explicitement dans son arrêt du 15 octobre 1997 que si le prix n'est pas substantiellement payé par les usagers, il ne peut y avoir de DSP.
Toutefois, il convient de préciser que la jurisprudence ne va pas jusqu'à  interdire toute participation de la personne publique. Il faut trouver le bon dosage qui permet que la personne publique reste un simple facteur dans la gestion du service public et non pas le pilier qui soutient le cocontractant. C'est là  qu'intervient la notion de rémunération substantielle. On va alors exiger que le cocontractant ait son financement substantiellement assuré par son activité.

2) Cette notion de substantialité est floue. Si la jurisprudence a dégagé cette notion, c'est la loi MURCEF en 2001 qui l'a textuellement imposée. Les juges ont essayés plusieurs méthodes et évoqué de nombreux seuils.
Le plus important est l'arrêt : Conseil d'Etat section du contentieux 30 juin 1999 SMITOM :
«Il ressort des pièces du dossier que la part des recettes autres que celles correspondant au prix payé par le SMITOM devait être d'environ 30 % de l'ensemble des recettes perçues par le cocontractant du SMITOM ; que, dans ces conditions, la rémunération prévue pour le cocontractant du SMITOM était substantiellement assurée par le résultat de l'exploitation du service ; que, dès lors, le contrat envisagé devant être analysé non comme un marché mais comme une délégation de service public».
Par ailleurs la Cour administrative d'appel de Marseille a par deux arrêts du 5 mars 2001 précisé des taux. Ainsi elle estime d'abord:
« qu'il ressort des pièces du dossier que la rémunération prévue pour les cocontractants est composée d'une part, des redevances perçues sur les usagers, et d'autre part, aux termes des stipulations de l'article 5.1 du projet de convention, d'une somme égale à  un "montant forfaitaire annuel de produits d'exploitation pour l'ensemble des services de transports qui font l'objet de la présente convention».
Puis, dans le second arrêt, elle juge :
« qu'il ressort des pièces du dossier que la rémunération prévue pour les cocontractants est composée, d'une part, des redevances perçues sur les usagers, et d'autre part, d'une aide égale, aux termes des stipulations de l'article 4-5 du projet de cahier des charges, à  "90 % de la différence entre le montant des charges actualisées figurant dans l'acte d'engagement et le montant des recettes perçu par l'exploitant pour le lot considéré" ; que, dans ces conditions, le PREFET DU VAR n'est pas fondé à  soutenir que la rémunération prévue, à  ce stade de la procédure, pour le cocontractant du département, n'est pas substantiellement assurée par le résultat de l'exploitation du service ; que dès lors, le contrat envisagé doit être regardé non comme un marché mais comme une délégation de service public».
Cela revient en fait à  soustraire les charges payées aux ressources reçues, on obtient le bénéfice de l'année. Il faut alors prendre 90% de ce bénéfice ce qui correspond à  l'aide versée par la collectivité contractante. Donc une aide inférieure à  90% du bénéfice n'est pas substantielle.
Qui plus est l'arrêt Port-de-Bouc de la CRC PACA du 20 mai 1998 avait précédemment bien insisté sur ce point en indiquant qu'il fallait regarder le chiffre d'affaires et non le résultat d'exploitation pour déterminer les pourcentages.


Ainsi on peut remarquer que les taux seront variables : tout va dépendre du risque lié à  l'activité et de qui le supporte.

{B Les risques}

Afin d'affiner la différenciation entre délégation de service public et marché public, la jurisprudence tant administrative que financière a posé le critère du risque.
Celui-ci peut se définir selon la C.R.C. de Rhône-Alpes, dans son arrêt Commune d'Albertville du 22 aoà»t 2001 comme la situation o๠l'absence, pour le délégataire, de tout risque d'exploitation est contraire aux principes qui régissent les délégations de service public.
Ce critère est apparu parallèlement à  celui de la rémunération substantielle et ceci, dans un premier temps de manière implicite, dans la jurisprudence. En effet, la substantialité de la rémunération ne pouvait être interprétée qu'au vu des risques assumés par le délégataire.
Il est vrai que le juge administratif a jugé que plus l'exploitation est risquée, plus le caractère substantiel de la rémunération doit être interprété avec souplesse. Par exemple il a été décidé par la C.R.C. Ile de France dans son arrêt Commune de Vanves du 10 juin 1997 que la rémunération d'un délégataire assurée à  hauteur de 40 % par des recettes d'exploitation ne pouvait permettre de considérer que l'on était en présence d'une rémunération substantielle et ceci du fait de l'activité et du caractère captif de la clientèle.
A contrario le délégataire n'assumera pas les risques liés à  l'exploitation si les investissements qu'il réalise ne présentent qu'un caractère accessoire dans l'économie du contrat, ceci depuis l'arrêt C.R.C. Ile de France, Commune de Vanves.


{{II L'influence des critères sur la qualification des contrats}}


{A L'absence des critères entraîne l'application du CMP}

1 l'influence du critère de la rémunération sur la qualification du contrat.

Les critères que Johan et Yann ont présentés sont déterminants dans la qualification du contrat. En effet, les juges administratifs et financiers ne s'estiment pas liés par la définition textuelle revendiquée. Ils vont rechercher dans les faits si les textes s'accordent avec les faits. Ainsi un contrat, qualifié de DSP, mais qui ne répondrait pas aux critères de la DSP sera requalifié par le juge.

Ainsi dans l'arrêt SOBEA du 14 octobre 1988, le Conseil d'Etat juge que « la rémunération du cocontractant du syndicat prévu au dit contrat ne comporte pas de redevance perçue sur les usagers et constitue un prix versé par le syndicat ; qu'il ne peut dès lors s'agir d'un contrat d'affermage ni d'une concession ; que la conclusion de ce contrat était donc soumise au respect des règles fixées par le code des marchés publics. »
Si on détaille ce considérant, le CE vérifie si les conditions jurisprudentielles de la DSP sont bien remplies. (« la rémunération du cocontractant du syndicat prévue au dit contrat ne comporte pas de redevance perçue sur les usagers ») Ensuite, face à  ce constat il en tire les conséquences qui s'imposent : « il ne peut dès lors s'agir d'un contrat d'affermage ni d'une concession » ni de toute autre DSP. Le juge va donc logiquement soumettre ces contrats au Code des marchés publics et à  ses règles plus contraignantes.

On distingue habituellement 4 formes de DSP :
La concession (la plus fréquente) « La concession est un contrat qui charge un particulier (ou une société) d'exécuter un ouvrage public ou d'assurer un service public, à  ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie d'intérêt, et que l'on rémunère en lui confiant l'exploitation de l'ouvrage public ou l'exécution du service public avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de l'ouvrage ou sur ceux qui bénéficient du service public » CE 30 mars 1916 Compagnie d'éclairage de Bordeaux. L. p 125
L'affermage « mode de gestion par lequel une personne publique confie par contrat, à  un fermier, la gestion d'un service public, à  ses risques et profits, grà¢ce à  des ouvrages qu'elle lui remet moyennant le versement d'une contrepartie, prélevée sur les ressources provenant de l'exploitation du service » O. Raymundie.
La gérance : « La gérance est un mode de gestion par lequel la collectivité publique confie à  un gérant le soin de gérer un service public pour le compte de la collectivité moyennant une rémunération forfaitaire sans intéressement au résultat » O. Raymundie.
La régie intéressée : « La régie intéressée est le mode de gestion par lequel la collectivité va confier à  une personne, le régisseur, la gestion d'un service public qui assure le contact avec les usagers, exécute les travaux mais qui agit pour le compte de la collectivité moyennant une rémunération forfaitaire, versée par la personne publique au régisseur et indexée sur le chiffre d'affaires réalisé » M. Waline La Notion de régie intéressée, RDP 1948, p. 345 s.
Cette dernière forme de la régie intéressée est tantôt une délégation de service public, tantôt un marché public. L'arrêt Port-de-Bouc rendu par la CRC de PACA 19 juin 2000 en constitue une illustration intéressante. En l'espèce, la Cour vérifie en premier lieu que le contrat qui lui est soumis est bien une délégation de service public. (« La Chambre a examiné les clauses du contrat et a constaté qu'il s'agissait d'un contrat de régie intéressée »). Dans un deuxième temps elle rappelle le principe brillamment exposé par Johan et Yann du critère de la rémunération du cocontractant. Elle en déduit a contrario conformément à  l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 avril 1996 que « Les dispositions de la Loi du 29 janvier 1993, relative à  la prévention de la corruption et à  la transparence de la vie économique et des procédures publiques […] n'ont pas eu pour objet et ne sauraient être interprétées comme ayant pour effet de faire échapper au respect des règles régissant les marchés publics, tout ou partie des contrats dans lesquels la rémunération du cocontractant de l'administration n'est pas substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation. ».

Dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 avril 1999 COMMUNE DE GUILHERAND-GRANGES, le juge administratif vérifie des contrats de gérance et considère que « quelle que soit la qualification choisie par les parties », la rémunération « constitue un prix versé par la commune » et donc ces contrats sont soumis au respect des règles fixées par le Code des marchés publics.

Dans l'arrêt COMMUNAUTE URBAINE D'ALENCON la CRC de Basse Normandie, là  encore, ne se contente pas de constater que « l'affermage est un contrat de Droit administratif entrant dans la catégorie des délégations de Service public », mais vérifie que le délégataire « assumera une partie des risques liés à  l'exploitation du service » avant seulement de juger que la convention en cause constitue une DSP.

A contrario, dans l'arrêt SYNDICAT DEPARTEMENTAL D'ELIMINATION DES DECHETS MENAGERS DE LA HAUTE-MARNE, la CRC de Champagne-Ardenne ne se contente pas rappeler qu'« en premier lieu un bail emphytéotique ne constitue pas une délégation de service public ». Elle va ensuite vérifier que « pour l'essentiel, la rémunération du syndicat proviendra du versement d'un prix par l'administration. ». Ce n'est que devant la réponse positive à  laquelle elle aboutit, que la CRC va en déduire l'absence de DSP.

2 Les cas o๠le critère de la rémunération ne permet pas la qualification en DSP.

Dans certains cas néanmoins, la Chambre préfère une « solution plus radicale » comme dans l'arrêt de la CRC de Champagne Ardennes du 19 septembre 2000 « SOCIETE DECAUX » ou elle suit le Conseil d'Etat (Avis, section de l'intérieur n° 327449 du 14 octobre 1980) qui considérait que « les contrats dits de « mobilier urbain » constituent une variété de marchés publics de prestations de service ». Dans ce cas bien précis, la CRC s'abstient de rechercher le critère de la rémunération, et retient dans tous les cas la qualification de marché public.
Dans le même sens, le Conseil d'Etat a pu juger le 8 février 1999 (PREFET DES BOUCHES DU RHONE C/ COMMUNE DE LA CIOTAT n°150931) qu'un contrat qui ne confie pas au cocontractant l'exploitation ou la gestion d'un ouvrage public ne saurait être qualifié de délégation de service public. Il sera donc automatiquement, quelles que soient les modalités de rémunération, un MP. De même, dans l'arrêt SIVU VITTEL-CONTREXEVILLE du 27 avril 2001, la CRC de Lorraine relève que toute mission de maîtrise d'Å“uvre doit faire l'objet d'un marché public, soumis à  des obligations de publicité et de mise en concurrence.


{B Une vision pragmatique de la logique qui entraîne la qualification en DSP}


1 L'application des règles de la DSP à  un contrat initialement qualifié de MP

Dans l'arrêt SYNDICAT INTERCOMMUNAL DE LA HAUTE VALLEE DE L'HUVEAUNE du 03 décembre 1997, la CRC de PACA était saisie d'un contrat innomé. La difficulté en l'espèce provenait de ce que la perception de la rémunération du cocontractant se faisait sur l'usager de manière indirecte (par le biais de factures mises en recouvrement par les cocontractants). Le juge financier a constaté qu'« en réalité la SEM se rémunère sur les résultats de l'exploitation du service […] la redevance ne transitant même pas par les budgets communaux. » En conséquence de quoi, le juge financier conclu à  une DSP.

2 La reconnaissance d'une délégation de Service Public sans que tous les critères ne soient reconnus

La CRC d'Alsace aura même été le 09 aoà»t 2002 jusqu'à  reconnaître une DSP alors même que tous les critères n'étaient pas réunis dans l'arrêt GEISPOLSHEIM . Elle constate que la commune ne désirait pas gérer les activités litigieuses en régie et que la DSP présentait des avantages appréciables en terme de contrôle et de transparence. Elle constate aussi que la solution alternative (en l'espèce, un marché de prestation de service) présente de gros défauts pour la mairie. Elle conclu donc qu'une délégation de service public parait pour la chambre constituer une formalisation plus sécurisante, même si elle relève que toutes les caractéristiques de la DSP ne sont pas réunies en ce cas précis, notamment du fait que le délégataire, en raison de l'existence de subvention d'équilibre versées par la commune, n'assure pas une part du risque d'exploitation.