Bonjour
Je partage ici le travail réalisé dans le cadre d'un commentaire d'arrêt en droit commercial :
L'arrêt en question :
CASS 2e civ 23 novembre 2017
Depuis la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, l’obligation bénéficie d’une définition légale. Partant de là, comment se fait-il que ni la doctrine ni la jurisprudence n’aient été saisies des difficultés relatives à la contestation de la qualification de l’obligation ?
Par un arrêt très attendu, notamment des professionnels de l’assurance qui mesuraient déjà la portée catastrophique de l’arrêt, critiqué ici, de la Cour d’appel de Paris du 21 juin 2016 sur de nombreux produits financiers qu’ils proposaient à leurs clients, la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation se penche à son tour sur la définition de l’obligation. Les faits de l’espèce sont les suivants : une personne physique souscrit un contrat d’assurance-vie, mais à la suite d’un arbitrage l’ensemble de la prime est placé sur un autre support. Ce dernier ne satisfait pas le souscripteur qui voit les chances que son capital lui soit remboursé s’amenuiser, et décide d’agir devant les juridictions civiles contre son courtier et la société pour que lui soit attribués des dommages et intérêts sur le fondement du défaut d’information, ainsi que la résolution du contrat d’assurance-vie et le remboursement du capital versé qui en résulte au motif que le support n’était pas éligible à la qualification d’assurance-vie. Un appel est interjeté, coup de tonnerre pour les professionnels commercialisant ce type de produits : la qualification d’obligation suppose le remboursement du nominal à échéance. La société forme un pourvoi devant la haute juridiction.
Un droit au remboursement du nominal découle-t-il du fait que les obligations sont des titres qui pour dans une même émission confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale ?
Pour la première fois, la Cour de Cassation se prononce sur les caractéristiques de l’obligation, au regard des textes combinés des codes de commerce, monétaire et financier et des assurances, pour conclure que seule l’absence de l’une des conditions légales saurait remettre en question la qualification d’obligation ( I ). Allant plus loin, la Cour de Cassation précise les contours de l’obligation en réfutant tour à tour les critères prétoriens plus discrets de la Cour d’appel de Paris, allant jusqu’à donner une solution sur un point qu’aucune des parties ne soulevait ( II ).
I) La définition exclusivement légale de l’obligation
Depuis 1966, la définition de l’obligation fait l’objet d’une codification, en l’absence de jurisprudence jusqu’au présent arrêt, cette dernière ne faisait l’objet d’aucune observation ( A ). Bien évidemment les faits du litige qui nous intéresse nous poussent à nous interroger sur la portée de cette définition légale encore vierge de toute interprétation pour saisir si le juge doit s’y conformer ( B ).
A) La définition commune des codes monétaire et financier et de commerce
De nos jours, la définition de l’obligation se trouve être la même, que l’on se reporte au code de commerce, qui renvoie au code monétaire et financier, ou directement au code monétaire et financier. Par ailleurs avant deux ordonnances début des années 2000, le code monétaire et financier renvoyait lui-même à l’article 284 de la loi n° 66-357 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. Aussi l’emplacement de la codification n’a pas vraiment d’importance sur la définition de la notion. L’article L228-38 du code de commerce dispose : « Comme il est dit à l'article L. 213-5 du code monétaire et financier : "Les obligations sont des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale." ».
De cette définition légale ressortent deux critères : l’obligation est tout d’abord un titre négociable, sa particularité tenant à ce que lors d’une même émission, les mêmes droits de créances soient attribués à une même valeur nominale. Face à l’absence de jurisprudence ou d’interrogations sur les caractéristiques de l’obligation jusqu’à un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 juin 2016, il était possible d’envisager, notamment vu les nombreux montages faisant appel aux obligations, que d’autres critères se cachaient derrière cette qualification riche de situations.
B) Le rejet du remboursement du nominal comme critère de définition
Et c’est justement par des éléments nouveaux ajoutés à la définition de l’obligation que la Cour d’appel de Paris tranche le litige en faveur d’une disqualification de la notion d’obligation, permettant de ce chef la résiliation du produit financier en cause. La Cour invoque à cette fin la nécessaire condition du remboursement du nominal, sous-entendu en plus des intérêts versés. La Cour de Cassation estime bien au contraire que l’obligation n’est pas assortie de la garantie de remboursement du nominal, la seule condition légale faisant mention du nominal ne restreignant la qualification d’obligation qu’à la seule équation suivante : une même valeur nominale doit représenter les mêmes droits de créance. La haute juridiction, par le rejet des conditions extra-légales soulevées par la Cour d’appel, appelle à remarquer que seule l’absence d’une des conditions fixées par le code de commerce permettrait de remettre en cause la nature d’obligation. Ainsi, ne sont pas des obligations, les titres négociables qui lors d’une même émission ne donneraient pas les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale, ou encore des titres non négociables.
La Cour d’appel, pour soutenir son critère prétorien de remboursement du nominal, semble restreindre un peu plus encore la notion d’obligation, ce que la juridiction suprême s’empresse de critiquer.
II) Les timides contours prétoriens de l’obligation
Après avoir rejeté le critère du remboursement de la valeur nominale, la Cour de cassation s’attaque aux autres critères prétoriens dégagés par la juridiction du second degré notamment en ce que la définition qu’elle retient fait appel à la notion d’intérêt et donc d’emprunt obligataire ( B ). La haute juridiction ne laisse d’ailleurs pas la place à une éventuelle ouverture des critères et profite du particularisme des faits pour entériner l’application de la loi pour tous les types d’obligations ( A ).
A) Le refus de particularisme pour l’obligation constitutive d’unité de compte d’assurance-vie
Au visa des articles R131-1 et R332-2 du code des assurances et en combinaison des textes des code de commerce et code monétaire et financier, la Cour de Cassation va plus loin que ce que l’on pouvait attendre d’elle, en faisant le choix de ne pas rendre une solution d’espèce limitée à l’obligation dans le cadre des unités de compte en assurance-vie, mais bien une solution de principe, applicable quelle que soit le type de mécanisme obligataire. Elle affirme alors que si l’obligation est bien l’une des formes que peut prendre une unité de compte en assurance-vie, aucune condition prétorienne spécifique ne doit être reconnue à ce cas, l’obligation ne devant répondre que des critères vus précédemment, quelle que soit sa nature.
B) La volonté de ne pas se limiter à l’emprunt obligataire
Enfin, plus indirectement, la Cour de Cassation nous rappelle que la loi ne conditionne pas l’obligation à la rémunération de la somme investie, une obligation pouvant parfaitement ne pas l’être, ce qui une fois de plus témoigne de la volonté de la juridiction de laisser une marge pour la technique contractuelle et l’innovation des produits financiers.
Dès lors, il paraît clair que l’emprunt obligataire n’est qu’une des formes d’émission d’obligations, qui ne cessent par l’ingéniosité des juristes d’étendre ses possibilités d’usage. Notons par exemple la conclusion de contrats constituant des instruments financiers à terme, en matière de titrisation synthétique, entraînant le transfert du seul risque de crédit associé aux créances avec l’emploi des « credit-linked notes » qui ne sont finalement eux aussi qu’une forme d’obligation née de la pratique.
Dernier exemple, l’obligation est une notion utile aux assureurs-réassureurs désireux de transférer le risque qu’ils pourraient subir du fait d’un événements exceptionnel (confinant souvent à la notion de force majeure). C’est l’utilisation des « obligations catastrophes » (catastrophe bonds ou CAT bonds) : en cas de la survenance du sinistre visé et dans les conditions fixées par le contrat d’émission, les porteurs de l’obligation peuvent perdre tout ou partie de leur nominal et des intérêts, ce qui a pour effet de décharger les compagnies d’assurance ayant émis ces titres.
Articles relatifs :
Qu'est-ce qu'une obligation ? Gilles Endréo, Bulletin Joly Bourse 2016 - n°09 - page 369
Qu'est-ce qu'une obligation (suite et fin) ? Gilles Endréo, Bulletin Joly Bourse 2018 - n°01 - page 47
La qualification d'obligation n'est pas subordonnée à la garantie de
remboursement du nominal du titre, Alain Couret, Bulletin Joly Sociétés 2018 - n°01 - page 37
Précisions sur les caractères essentiels d'une obligation, Jean-Marc Moulin, Revue des sociétés 2018
Dernière modification : 21/11/2019 - par Isidore Beautrelet
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