Bonjour.
Voici ma proposition de commentaire groupé d'arrêts concernant le pacte de préférence (droit spécial des contrats)
- chambre mixte du 26 mai 2006
- 3ème chambre civile du 31 janvier 2007
- même chambre du 25 mars 2009
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Au sein de la théorie du droit spécial des contrats, le pacte de préférence est considéré comme une modalité de pourparlers contractuels. Il se définit comme un obligation par laquelle une partie, le promettant s'engage – s'il se décide à contracter ultérieurement – à privilégier l'autre partie ou bénéficiaire comme partenaire dans ce contrat ultérieur. La nature même de cette obligation a posé de nombreux problèmes aux juges, ainsi que la pertinence de la sanction applicable en cas de violation.
Les 3 arrêts récents de la Cour de cassation portent sur le problème de la sanction du non-respect d'un pacte de préférence par le promettant, dans le cas de donation-partage (arrêts de 2006 et 2009) et d'un bail (arrêt de 2007) suivis d'une vente réalisée sans exécution préalable du pacte.
Dans l'arrêt de la chambre mixte du 26 mai 2006, le propriétaire d'un bien immobilier l'a donné en donation-partage, incluant un pacte de préférence. Le nouveau propriétaire l'a donné à son tour en prenant soin de rappeller le pacte de préference au nouveau propriétaire. Le pacte semble avoir été inscrit à la conservation des hypothèques. Pourtant, le donataire a finalement vendu le bien à une société immobilière, sans avoir exécuté le pacte de préférence, c'est-à-dire sans en avoir préalablement proposé la vente au bénéficiaire.
Dans l'arrêt de la 3ème chambre civile du 31 janvier 2007, le pacte de préférence constituait une clause d'un bail immobilier, aux termes de laquelle le propriétaire devait, en cas de décision de vente, le proposer prioritairement à son bailleur. Il a, pourtant, vendu le bien sans exécuter le pacte de préférence.
Dans l'arrêt de la même chambre du 25 mars 2009, le bien immobilier donné en donation-partage avec pacte de préférence, a fait l'objet d'une promesse synallagmatique de vente sans exécution – là encore – du pacte de préférence. Dans ce cas d'espèce, un élément supplémentaire vient s'ajouter : postérieurement à la signature de la promesse de vente, le notaire, prenant tardivement connaissance de l'existence du pacte, en a informé le bénéficiaire entre le moment de la signature de la promesse et celle de la vente définitive.
Dans les 3 cas, les bénéficiaires ont attaqué en justice l'acquéreur du bien. Ils demandaient au juge de prononcer la substitution du bénéficiaire dans les droits de l'acquéreur, c'est-à-dire que le juge transfère les droits de propriété de l'acquéreur au bénéficiaire. Ils demandaient subsidiairement le paiement de dommages et intérêts dans le cas de 2006 et l'annulation préalable de la vente dans l'arrêt de 2007.
En appel, les juges avaient, dans les deux premiers cas, prononcé l'allocation de dommages et intérêts mais rejeté les l'exécution en nature ; ils avaient au contraire procédé à l'annulation de la vente et à la substitution du propriétaire dans le cas de 2009.
La question qui se posait au juge était de fixer définitivement la nature et les conditions de la sanction applicable en cas de non exécution d'un pacte de préférence.
Dans les 3 décisions – dont celle de 2006 de la chambre mixte est un arrêt de principe – les juges suprêmes refusent la substitution du bénéficiaire dans les droits de l'acquéreur ; dans les deux premiers cas par un rejet du pourvoi, et dans le dernier cas par cassation et annulation de la décision d'appel.
L'attendu de principe de 2006 de la Cour de cassation est repris à l'identique dans l'arrêt de 2007, et est à peine adapté aux nécessités syntaxiques dans l'arrêt de 2009 : “si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir”.
Pourtant, cette solution ne paraissait pas évidente à la Cour, qui l'a longuement manipulée avant de la consacrer en chambre mixte, témoin en cela de la difficulté d'appréhension de la nature même du pacte de préférence (I). Au-delà des questions essentielles sur le fond, la mise en oeuvre de cette opposabilité du droit de préférence au tiers acquéreur pose le problème de son applicabilité pratique, signe d'un malaise certain des juges suprêmes quant à la substitution de propriété par voie judiciaire (II).
[u:3gqyyom8]I – La consécration attendue bien que critiquable d'un droit de substitution[/u:3gqyyom8]
La nature même du pacte de préférence est difficile à cerner (A), ce qui peut expliquer les hésitations de la jurisprudence à l'heure d'en déterminer les sanctions (B).
A / L'ambigüité sur la nature de ce droit née d'une application trop systématique de l'article 1142 du Code civil
1) une application traditionnelle aveugle de l'article 1142 aux violation des pactes de préférence
La question de la nature du pacte de préférence pose problème, au même titre, d'ailleurs que celle de la promesse de vente, les deux figures entretenant des rapports assez étroits, nous y reviendrons.
Traditionnellement, les juges appliquaient l'article 1142 du Code civil à la résolution des litiges nés de l'inexécution d'un pacte de préférence par le promettant, article au terme duquel “toute obligation de faire ou de ne pas faire se résoud en dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur”. Cette application revenait à refuser une exécution forcée en nature au bénéficiaire d'un pacte de préférence que le promettant avait violé en vendant le bien à un tiers acquéreur en fraude de son droit de préférence, et à préférer une réparation pécuniaire. Que la solution soit incompatible avec le droit qu'a le créancier d'obtenir ce qui lui a été promis, application fondamentale de la force obligatoire des contrats issue de l'article 1134 du Code civil, ne semblait pas déranger les juges. Quel intérêt peut avoir le bénéficiaire à se voir allouer des dommages et intérêts, alors que le bien sur lequel il estimait avoir quelque droit, reste au main d'un tiers-acquéreur en fraude de ce droit ? La question est d'autant plus importante que l'on retrouve la figure des pactes de préférence dans des domaines extrêmement variés, à titre d'illustrations cela peut concerner le transfert préférentiel de propriété de parts sociales à un associé, Cass. com., 7 mars 1989, n°87-17212, « Sté Saigmag » ici, Cass. com., 9 novembre 2010, « Sté Beauté esthétique », n°09-70726, ici, ou la charge d'un notaire, Cass. 1ère civ., 16 juillet 1985, n°84-13745, ici, la vente de biens indivis, Cass. 3ème civ., 4 janvier 1995, n°92-21449 dans plaquette, la vente d'un fonds de commerce : Cass. 1ère civ., 15 novembre 2010, « SA polyclinique La Pergola », n°09-17315, ici, ou le bail de locaux professionnels, Cass. 1ère civ., 30 avril 1997, « Médecins du monde », n°95-17598, ici, Cass. 3ème civ., 10 février 1999, « Mlle Gonnet c/ Mme Morin, SCI 28 et M. Lanouenan », n°95-19217, ici... La solution était systématiquement le rejet des prétentions du bénéficiaire à une substitution et la limitation de la sanction de la violation du pacte de préférence à des réparations pécuniaires.
Pourtant, des auteurs critiquaient l'interprétation jurisprudentielle restrictive de l'article 1142, lui préférant une interprétation plus large, reprise d'ailleurs dans un avant-projet de réforme du droit des obligations ou rapport Catala de septembre 2005. Selon la doctrine majoritaire, l'article 1142 doit être interprété a contrario, comme imposant la réparation en dommages et intérêts uniquement lorsque l'exécution en nature est impossible ou “si la liberté personnelle du débiteur est en jeu” (Pr. D. Gauthier, sous Cass. mixte, 26 mai 2006, D. 2006, p.1861). En dehors de ces situations particulières, rien en peut faire obstacle à ce que le créancier obtienne de son débiteur une exécution en nature de son obligation, y compris par voie d'exécution forcée. Un arrêt de 2007 illustre d'ailleurs cette faculté en ce qui concerne des droits mobiliers : Cass. 1ère civ., 16 janvier 2007, « Sté LGF c/ Sté Michel Lafon », n°06-13983, ici : l'exécution forcée en nature lorsqu'elle est possible, au visa de l'article 1142 C. civ. et concernait dans le cas d'espèces le retrait des livres litigieux du marché et l'interdiction d'en poursuivre la commercialisation.
L'arrêt de 2006 innove, dans le sens où il ne s'appuye pas sur l'article 1142 pour fonder sa décision, ce que la doctrine de l'époque avait salué. En revanche, l'article n'aide pas à éclairer la nature du droit contenu dans le droit de préférence, ce qui aurait permis de mieux en cerner la portée générale.
2) la nature contestée du droit inclus dans le pacte de préférence
On l'a vu en introduction, le pacte de préférence impose au promettant de rechercher à contracter avec le bénéficiaire en préférence à tout autre cocontractant. Le Pr. D. Houtcieff considère qu'il y a là un pacte peu contraignant ( http://www.dimitri-houtcieff.fr ; ici)
Il y a classiquement 3 types d'obligations dans le code civil : l'obligation de donner (article 1136), celle de faire et de ne pas faire (1142). On l'a vu, privilégier la nature d'obligation de faire se heurte à l'interprétation traditionnelle de la Cour de cassation de la sanction de son inexécution ; d'autre part, elle avait clairement rejeté la nature d'obligation de donner dans une décision lapidaire concernant un pacte de préférence conclu pour un emplacement dans une gallerie marchande. Le bénéficiaire, insatisfait de l'emplacement qui lui avait alloué alors que celui qu'il convoîtait avait été alloué à un tiers, assigne le promettant pour demander l'annulation du bail. La Cour de cassation considère que l'article 1143 autorisant le créancier à demander la destruction de ce qui a été fait par contravention à une obligation, n'est pas applicable au pacte de préférence qui met une obligation de faire à charge du débiteur, Cass. 3ème civ., 10 juillet 2002, « société du Havre », n°00-13669, ici. Pourtant, force est de constater que cette décision n'aide pas davantage à analyse la nature du pacte de préférence. Dans ce cas d'espèce en effet, l'article 1143, invoquée par le bénéficiaire, pouvait parfaitement trouver à s'appliquer, à condition d'envisager une destruction “symbolique” d'un contrat de bail, c'est-à-dire tout simplement son annulation !
En fait, toute la substilité de l'analyse du pacte de préférence tient dans le fait que chaque partie essaye de défendre un contenu qui lui est propre des mêmes types d'obligation.
Ainsi, à une obligation de faire limitée à “faire une proposition de vente” au bénéficiaire défendue par le promettant, s'oppose la vision du bénéficiaire d'une obligation de faire allant jusqu'à celle de contracter la vente avec lui à l'exclusion de tout tiers. Dans cette seconde vision, la ressemblance avec la promesse de vente est grande et peut entraîner une confusion certaine, puisque l'on sait que la promesse de vente vaut vente, ainsi que le rappelle l'arrêt de 2009. On se demande alors si le pacte de préférence n'est pas un erzats de promesse de vente fondée sur une vente qui n'est même pas envisagée et dont les modalités pratiques – et notamment le prix – non seulement ne sont pas précisées puisqu'ils ne sont pas une condition de validité du pacte, Cass. 3ème civ., 15 janvier 2003, n°01-03700 dans plaquette, mais en plus sont laissées à la totale discrétion du propriétaire.
De même, lorsque le promettant a intérêt à défendre une obligation “de ne pas faire” limitée à celle de ne pas contracter “définitivement” avec un tiers avant d'avoir exécuté le pacte, le bénéficiaire, lui, défend purement et simplement une obligation de ne pas contracter avec un autre que lui.
Enfin, l'analyse comparée de l'obligation de donner est encore plus criante : pour le promettant, c'est une obligation de donner préférence au bénéficiaire, mais qui ne peut aucunement emporter un quelconque tranfert automatique de propriété !
Selon le Pr. Y. Gautier, sous Cass. 10 juillet 2002, RTDC 2003 p.107, “tout avant-contrat met en cause le facere[...] le dare […] et le non facere” : réduire le pacte de préférence à l'un seulement de ces types d'obligations revient à en limiter la portée. Difficile dans ces conditions d'être persuadé de la justesse de la sanction à appliquer au cas de violation des pactes de préférence.
B / la difficulté de détermination de la sanction pertinente à la violation du pacte de préférence
1) l'émergence progressive de solutions manquant de limpidité
A l'heure de préciser la sanction retenue par les juges relativement à la violation d'un pacte de préférence, on se perd complètement dans les méandres jurisprudentiels. 3 types de sanctions semblent être indiqués, sans que l'on sache bien s'il existe une gradation entre eux, ni s'ils se caractérisent par une quelconque autonomie.
Les dommages et intérêts reviennent régulièrement, on l'a vu, et bénéficient d'ailleurs d'une préférence de la part des juges, même si cela ne permet pas de satisfaire les prétentions du demandeur, alors même qu'il a gagné à l'instance ! Il est à ce sujet instructif de remarquer que les arrêts de 2006 et 2007 sont rendus sur pourvoi en cassation des gagnants en appel, c'est-à-dire des bénéficiaires à qui ont été alloués des dommages et intérêts en réparation de préjudices causés par la faute du promettant et du tiers-acquéreur ! Plus instructif encore, le fait que quelques mois après la décision de la chambre mixte, la 3ème chambre civile (qui avait participé à la décision de 2006, au même titre que la 1ère chambre civile, et les chambres sociale et commerciale), a rendu une décision dans la même affaire, mais sur pourvoi cette fois-ci, des perdants en appel, c'est-à-dire le promettant, le tiers-acquéreur et le notaire (Cass. 1ère civ., 11 juillet 2006, n°03-18528, ici)! N'est-ce pas surprenant que toutes les parties à une affaire se pourvoient en cassation et encore davantage que, malgré la connexité évidente des affaires, les juges n'aient pas jugé bon de les réunir ?
Mais les parties demandent également et de manière assez confuse, l'annulation de la vente et la substitution dans les droits du tiers-acquéreur. Lorsque la Cour de cassation refuse l'exécution en nature, elle semble intégrer dans cette expression à la fois la substitution, ce qui paraît normal, la substitution du bénéficiaires dans les droits du tiers-acquéreur étant la réalisation en nature par excellence d'un litige portant sur un droit immobilier, mais elle y intègre aussi l'annulation, ce qui est plus étonnant. En effet, pourquoi se priver de l'efficacité d'une remise des parties en l'état dans lequel elles étaient avant l'acte litigieux, c'est-à-dire l'acte de vente, ce qui aurait pour intérêt de contraindre les parties à respecter l'ordre du scenario ? On en comprend pas non plus si l'annulation doit précéder la substitution, ni si les deux sanctions ont leur autonomie propre, auquel cas il serait possible d'envisager une annulation sans substitution.
En 1989, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait opté pour une solution somme toute assez classique, basée sur la recherche d'une collusion frauduleuse entre le promettant et le tiers-acquéreur. Cass. com., 7 mars 1989, n°87-17212, « Sté Saigmag » ici qui casse un arrêt d'appel ayant substitué la propriété de parts sociales, au motif que la collusion frauduleuse n'était pas démontrée. Dans cette solution, les juges retiennent que c'est la fraude des droits du bénéficiaire qui est exigée pour admettre la substitution. Toutefois, elle fait reposer la responsabilité de la violation du pacte de préférence à la fois sur le promettant, ce qui peut paraître a priori juste, puisqu'il est le mieux placé pour connaître l'existence de sa propre obligation et pour ne pas agir en fraude des droits du bénéficiaire, et également du tiers-acquéreur, alors que celui-ci n'est pas partie au contrat qui a été violé ! Cette solution a été reprise en 1997, dans un arrêt Cass. 1ère civ., 30 avril 1997, « Médecins du monde », n°95-17598, ici ; encore une fois, la Cour de cassation admet que la substitution du bénéficiaire d'un pacte de préférence dans les droits de l'acquéreur soit conditionnée à la constatation d'une fraude. Ce qui est étonnant dans ce cas, c'est que les juges du fond avaient, contrairement à l'arrêt de 1989, parfaitement qualifié la fraude, mais la Cour applique alors inopinément l'article 1142 pour limiter la sanction aux seuls dommages et intérêts ; on peut déduire de cette solution l'entêtement des juges suprêmes de refuser de procéder à une substitution des droits de propriété.
La Cour de cassation a ensuite affiné son analyse en introduisant en 1999 pour la première fois ce qui fait tout l'intérêt de la solution de la chambre mixte de 2006, à savoir la connaissance par le tiers-acquéreur de l'intention du bénéficiaire de faire jouer son droit de préférence. Cass. 3ème civ., 10 février 1999, « Mlle Gonnet c/ Mme Morin, SCI 28 et M. Lanouenan », n°95-19217, ici : un propriétaire avait loué à bail commercial un local avec un pacte de préférence à 2 professionnels dont l'un a cédé son bail avec l'accord du propriétaire. L'autre professionnel a ultérieurement constitué une SCI et a racheté le local sans demander exécuter le pacte de préférence. La cessionnaire a assigné le propriétaire, la SCI et son colocataire en annulation de la vente et allocation de dommages et intérêts. La Cour d'appel avait fait droit à la demande au motif d'une collusion frauduleuse entre la propriétaire et le colocataire constitué sous forme de SCI. La Cour de cassation casse la décision au motif que la Cour d'appel aurait dû, au besoin d'office, rechercher si la requérante aurait eu l'intention de faire jouer le pacte de préférence.
2) l'avènement de la double condition de 2006
L'arrêt de 2006 marque certainement un revirement, la constitution exceptionnelle de la Cour ainsi que la construction de la formule utilisée semblent en tout cas le montrer.
D'abord parce que les juges admettent, de manière limpide, l'exécution en nature comme sanction envisageable de la violation d'un pacte de préférence. La référence à l'article 1142 disparaît complètement du dispositif de l'arrêt, et cela est confirmé dans l'arrêt de 2007 qui reprend la formule de 2006 à l'identique. On peut par conséquent supposer qu'à partir de mai 2006, une obligation contenue dans un pacte de préférence se résout aussi en nature, quelle que soit l'analyse retenue de la nature du pacte de préférence. C'est peut être le premier regret de l'arrêt, que de ne pas avoir aidé à cette analyse que le Pr. D. Mainguy, dans une note sous l'arrêt de 2006 (D. 2006 p.2638), considère comme la première entrée pour analyser les répercussions de la décision.
Les juges admettent indifféremment l'annulation et la substitution, en la subordonnant à la qualification par les juges du fond de deux critères cumulatifs qui sont d'une part la connaissance par le tiers-acquéreur de l'existence du pacte de préférence et sa connaissance de l'intention du bénéficiaire de faire valoir ses droits.
Ensuite, parce que les juges optent clairement pour faire reposer la sanction de la violation du pacte de préférence par le promettant sur la qualification de la mauvaise foi du tiers-acquéreur, le seul qui n'est pas partie au pacte de préférence ; ils écartent ainsi un quelconque effet de la mauvaise foi du promettant et par là-même l'influence d'une collusion frauduleuse, solution traditionnelle depuis 1989.
Pourtant, la portée de l'arrêt n'est pas immédiatement visible, car dans les cas d'espèce, la substitution, qui constitue véritablement le point sensible des arrêts, le marqueur de la volonté du juge de toucher à ce qu'il y a de plus sacré au sein du droit des contrats, l'alinéa 1er de l'article 1134 et la force obligatoire des contrats, en même qu'elle constituerait un évolution vers un certain caractère “préemptable” du droit contenu dans le pacte de préférence, comme le soutenait d'ailleurs le requérant dans l'arrêt de 2006, cette substitution, donc, n'est pas opérée. Finalement, la distinction entre l'application du 1142 et cette nouvelle expression, n'aboutit... à rien. Ni dans l'arrêt de 2007. Et elle aboutit même à annuler la décision de substitution opérée par les juges du fond dans l'arrêt de 2009.
Ce que laisse entrevoir, en revanche, l'arrêt de 2006, ce sont les difficultés de mise en oeuvre de cette nouvelle jurisprudence.
[u:3gqyyom8]II – La difficulté de mise en oeuvre de la jurisprudence de 2006[/u:3gqyyom8]
Les principales difficultés entr'aperçues par la doctrine dès 2006 concernait les incertitudes concernant la double preuve nécessaire (A). L'espèce de 2009 indique un tout autre type de difficulté, lié à la pratique des pactes de préférence (B)
A / Les incertitudes concernant la preuve
L'arrêt de 2006 subordonne l'annulation et la substitution à la preuve de 2 connaissances différentes par le tiers-acquéreur : celle de l'existence du pacte et celle de la volonté du bénéficiaire de s'en prévaloir. Cette preuve est à la charge du bénéficiaire.
1) Une probatio diabolica
La première des deux preuves ne soulève pas de difficultés particulières, car il s'agit d'un élément objectif, la preuve que le tiers-acquéreur a été informé de l'existence du pacte. Dans le cas d'espèces, le pacte avait fait l'objet d'une publicité, la société immobilière était un professionnel rompu aux affaires immobilières et le pacte de préférence avait été rappellé lors de la seconde donation, ce qui sous-entend que, malgré le temps passé entre la rédaction du pacte de préférence et la signature du contrat de vente (28 ans), la SCI devait être informée de l'existence du pacte. Cela est d'ailleurs confirmé par l'arrêt rendu par la 3ème chambre civile sur la même affaire, quelques mois plus tard.
En revanche, rien n'est moins sûr concernant la seconde condition, la preuve de la connaissance par le tiers-acquéreur de la volonté du bénéficiaire du pacte de s'en prévaloir ! Il s'agit d'une preuve complètement psychologique, susceptible de ne s'appuyer sur aucun élément matériel et que le Pr. P.Y. Gautier qualifie de probatio diabolica (D.2006, p.1861). On imagine mal comment le bénéficiaire aurait pu, pendant toutes ces longues années, maintenir fermement sa volonté d'acquérir le bien alors même que la vente n'était même pas envisagée, ni le prix déterminé ! L'étonnant à ce sujet, dans l'arrêt de 2006, c'est que les juges n'ont pas privilégié la présomption : la connaissance du pacte par le tiers-acquéreur pouvait très bien laisser supposer qu'il présumait la volonté du bénéficiaire de s'en prévaloir, puisque ce dernier est – contrairement au tiers-acquéreur justement – partie au contrat de pacte ! Pourquoi ne pas avoir tout simplement considéré que la volonté du bénéficiaire du pacte de s'en prévaloir était le “droit commun” et mettre ainsi à la charge du tiers-acquéreur le soin de prouver le contraire ? D'ailleurs, dans l'arrêt de 2006, il est instructif de constater que la contestation de la vente a été formulée 7 ans après la vente, ce qui montre bien qu'en matière de droits de préférence inclus dans des successions immobilières, le temps et l'oubli ne peuvent protéger efficacement le bénéficiaire, d'autant que, le pacte de préférence étant un droit personnel (Cass. 1ère civ., 16 juillet 1985, n°84-13745, ici , Cass. 3ème civ., 4 janvier 1995, n°92-21449 dans plaquette), il n'est pas susceptible d'être transmis aux héritiers : 35 ans, c'est la moitié d'une vie ; c'est ce qui sépare un actif bénéficiaire d'un pacte, d'un retraité peut-être atteint par les affres de la vie !
Une illustration de la difficulté de cette preuve est apportée par un arrêt Cass. 3ème civ., 14 février 2007, « SCI Serp Pharmacie du lion c/ SARL SELARL », n°05-21814, ici : l'acquéreur d'un bien qui a acheté à l'héritier d'un bailleur ayant consenti un pacte de préférence à son locataire ayant cédé l'intégralité de ses droits par acte authentique à un tiers, peut se voir opposer ce pacte lorsqu'il est constaté qu'il en avait connaissance, ainsi que celle de l'intention du locataire de s'en prévaloir. La Cour d'appel qui annule la vente justifie sa décision. Dans cette décision, ce qui emporte l'admission de l'annulation (et non pas de la substitution), c'est le fait que le bénéficiaire “n'avaient cessé de manifester leur volonté de maintenir leurs obligations et droits contenus dans le contrat de bail initial quand bien même le bail avait été renouvelé”.
2) La négation de l'influence des autres parties à la vente
Il est rageant de constater qu'un juge refuse l'exécution en nature d'un contrat alors que tous les éléments de fait concourrent à laisser imaginer que ce contrat a été l'objet d'une non-exécution des plus négligentes de la part des partenaires. Ainsi, dans l'arrêt Cass. 1ère civ., 11 juillet 2006, n°03-18528, ici : arrêt rendu dans le même affaire que l'arrêt de mai 2006, mais sur assignations du tiers acquéreur, du propriétaire et du notaire, la chambre civile relève tout à la fois la faute du propriétaire qui n'avait pas proposé la vente au bénéficiaire, celle du notaire qui, parfaitement informé de l'existence du pacte n'a pas cru bon d'en informer les parties ni les inciter à respecter les droits du bénéficiaire, et enfin la faute de négligence du tiers-acquéreur qui, en tant que professionnel de l'immobilier, était censé connaître l'existence du pacte en raison à la fois de la publicité et son statut de professionnel. Tout semblait converger vers une exécution en nature du pacte de préférence, à tout le moins en une annulation de la vente et une remise des parties en l'état antérieur. Mais la Cour de cassation décide plutôt de ne faire reposer aucune charge de la preuve sur les autres parties. Les faits de 2006 sont très proches d'une collusion frauduleuse, il semble peu probable que la société immobilière n'eût pas été informé de l'existence du pacte, alors pourquoi cet entêtement à refuser au moins une annulation ?
B / une modalité surprenante d'application de la jurisprudence de 2006 en cas de signature d'une promesse de vente
L'arrêt de 2009 est intéressant en ce qu'il constate un pacte de préférence dont les parties à une vente ont eu connaissance après la signature d'une promesse synallagmatique de vente.
En effet, le notaire s'était rendu compte, après la signature de la promesse de vente de l'existence d'un pacte de préférence et en avait informé le bénéficiaire, qui n'avait pas répondu avant la réitération de la vente par acte authentique. Les juges du fond avaient opéré à la substitution, en considérant que si la promesse de vente avait été signé en méconnaissance du pacte, le fait pour le notaire d'avoir postérieurement signifié la vente au bénéficiaire supposait l'accord des parties et l'existence de leur mauvaise foi au moment de la signature de la vente, ce qui est la condition suffisante et nécessaire. La Cour de cassation annule la substitution opérée par les juges du fond en se fondant sur l'efficacité d'une promesse de vente, et que par conséquent, l'absence de connaissance de l'existence du pacte au moment de cette dernière exclut l'application de la jurisprudence de 2006 et la substitution. Cette solution est conforme au principe que la promesse synallagmatique de vente vaut vente, car elle comporte bien deux engagements, l'un d'acheter et l'autre de vendre, ce qui est le fondement de tous les contrats de vente.
On peut toutefois se demander comment le bénéficiaire floué pourra s'en sortir si une simple promesse de vente dont il n'a peut être même pas connaissance et qui ne l'engage pas, peut entraîner le refus de l'exécution forcée. Il est évident qu'afin de pouvoir mettre en oeuvre le pacte, le propriétaire doit disposer d'une offre d'achat à un prix qui déterminera le prix auquel il proposera le bien au bénéficiaire. En effet, le risque est trop important pour lui, de faire une proposition trop basse à un bénéficiaire qui, soit l'acceptera à son profit, mais au détriment de celui du propriétaire, soit à un prix sur lequel il ne disposera d'aucune marge de négociation, puisqu'il ne peut, après renonciation du bénéficiaire, le proposer à un prix plus bas que la proposition faite au bénéficiaire, même si, au bénéfice du futur acquéreur, la Cour retient une interprétation somme toute étonnante de la notion d'identicité de prix : Cass. 3ème civ., 29 janvier 2003, n°01-03707 dans plaquette : doit être cassée la décision de la Cour d'appel qui, constatant que la vente d'un bien immobilier à un tiers a été faite au même prix que celui proposé au bénéficiaire d'un pacte de préférence, annule la vente peu important qu'en raison de l'évolution du marché immobilier dans la région et des conditions économiques, la cession ait eu lieu à des conditions beaucoup plus avantageuses que celles contenues dans l'offre faite aux bénéficiaires. Cette offre d'achat, il la recherchera naturellement sous la forme d'une promesse de vente, passée par acte authentique, ce qui constitue la seule garantie pour lui de pouvoir vendre le bien à un prix satisfaisant. Ce faisant, il constituera ainsi un acte qui empêchera le jeu de la jurisprudence de 2006, ainsi que l'a proclamé le juge de 2009. Il y a là un cercle vicieux qu'il sera assez malaisé de contourner.