Bonjour. Voici ma proposition de commentaire de l'arrêt Cass. com. 3 novembre 1993, « banque de placement et de crédit monégasque c/ greffier du tribunal de commerce de Grasse et autres », n°91-20226 concernant le secret professionnel et la communication de divers documents dans le cadre du règlement amiable (aujourd'hui conciliation).
Merci de me dire ce que vous en pensez !
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L'accord amiable (aujourd'hui conciliation) est une procédure préventive judiciaire et volontaire de résolution de difficultés des entreprises qui vise à obtenir l'accord des principaux créanciers du débiteur lui accordant des facilités, en général des remises de dettes ou des délais de paiement. La réussite de la procédure, tant d'un point de vue pratique que d'efficacité, dépend de la personnalité de l'intervenant central qu'est le conciliateur, nommé par le président du tribunal. C'est lui qui doit convaincre les créanciers que le plan qu'il leur propose, sur la base d'informations transmises par le débiteur et par le président du tribunal, a de fortes chances d'aboutir. C'est dire si son expertise est importante, puisque c'est de la pertinence de cette dernière que surgira l'accord de chaque créancier ; l'exécution de l'accord amiable devrait aboutir à assurer la continuité de l'exploitation de l'entreprise débitrice, au profit du débiteur, certes, mais également de ses créanciers. Lorsque ce n'est pas le cas, ces derniers peuvent être tentés de rechercher la responsabilité du conciliateur.
Dans l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 novembre 1993, « banque de placement et de crédit monégasque c/ greffier du tribunal de commerce de Grasse et autres », n°91-20226, un règlement amiable a été homologué. A la période à laquelle l'accord prenait fin, un établissement bancaire a consenti des concours à la société, mais celle-ci a été ultérieurement mise en redressement judiciaire. La banque, envisageant de rechercher la responsabilité du conciliateur dont l'acion avait permis la poursuite de l'activité de la société dont la situation aurait été, selon elle, irrémédiablement compromise, a obtenu du président du tribunal de commerce la remise par son greffier d'une copie du rapport établi par le conciliateur et du « plan de conciliation ». Toutefois, le greffier a refusé de lui remettre les documents.
La banque a assigné le greffier en référé afin de se voir remettre les documents sous astreinte. Le juge des référés a fait droit à sa demande et a rejeté la demande reconventionnelle du greffier tendant à la rétractation de la décision du président du tribunal de commerce. Sur appel du greffier, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé l'ordonnance de référé, rétracté la décision du président du tribunal de commerce et prononcé une condamnation pécuniaire contre la banque sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La banque s'est pourvue en cassation.
La question de droit qui se posait aux juges suprêmes était de savoir si un créancier dans une procédure de redressement judiciaire pouvait obtenir en justice la remise sous astreinte du rapport de conciliation élaboré dans un règlement amiable antérieur auquel il n'était pas lui-même partie en vue d'engager la responsabilité du conciliateur.
La Cour rejette le pourvoi au double visa du décret de 1985 et de la loi de 1984. Elle affirme dans un premier attendu que la Cour d'appel a fait une exacte application des textes en se fondant sur l'obligation au secret professionnel du greffier qui est justifié à refuser de délivrer le rapport de conciliation et étend à toute information et tout document relatifs à la procédure de règlement amiable l'interdiction de remettre l'accord de conciliation. Dans un second attendu, elle affirme qu'il ne résulte d'aucune disposition législative que la fin de la procédure de règlement amiable mettrait fin à l'obligation de secret professionnel auquel sont tenues les parties.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation interprète de manière très stricte l'obligation au secret professionnel (I) en même temps qu'elle étend très largement le champ d'application des conditions de remise de l'accord amiable et de l'expertise du décret de 1985 (II).
[u:28zr80dc]I – Une stricte interprétation de l'obligation au secret professionnel dans un règlement amiable[/u:28zr80dc]
La Cour de cassation retient le champ d'application légal de l'obligation au secret professionnel (A) et refuse de l'appliquer à un créancier d'une procédure collective ultérieure au règlement amiable (B).
A / Le champ d'application légal du secret professionnel
Le secret professionnel semble être un élément nécessaire dans le cadre d'une procédure collective préventive. En effet, la réussite d'une procédure visant à éviter la liquidation d'une entreprise nécessite la confiance de ses principaux créanciers. Ce secret professionnel fait partie intégrante de la confidentialité des procédures, dans le sens où il s'applique justement aux intervenants qui connaissent l'existence d'une procédure délicate pour l'entreprise. Il permet de garantir la confidentialité en interdisant à ceux qui détiennent l'information de la divulguer.
1) L'application à un nombre limité de personnes
L'article 38 de la loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des entreprises dispose que « toute personne qui est appelée au règlement amiable ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue au secret professionnel ». Cet article opère une distinction entre d'une part les personnes appelées à la procédure et celles qui en ont eu connaissance par leurs fonctions.
Concernant les premières, il s'agit de l'ensemble des créanciers du débiteur qui ont été appelées à la procédure. L'utilisation du verbe « appeler » permet d'englober tous les créanciers, même ceux qui n'ont pas répondu à la procédure en refusant de conclure un accord de remise de dettes ou de délais de paiement. Ces derniers, même s'ils ne peuvent connaître les conditions exactes du plan de conciliation, disposent de l'information selon laquelle une procédure préventive a été demandée par le débiteur ; cette information, même lacunaire, est sensible, car de sa divulgation peut dépendre l'engagement dans les conditions habituelles d'autres créanciers.
Concernant les secondes, il s'agit du conciliateur mais également du président du tribunal ainsi que les juges lorsque le règlement amiable a été homologué, ainsi que de toutes les personnes travaillent effectivement au sein du tribunal et ayant eu accès au dossier. Cela englobe par conséquent les greffiers du tribunal.
2) La pénalisation de la violation du secret professionnel
Cette obligation au secret professionnel revêt une importance capitale pour le législateur qui a fait de son non-respect une infraction pénale. L'article 38 de la loi de 1984 renvoie expressément à l'article 378 de l'ancien code pénal relative au secret professionnel des médecins et autres professionnels de la santé. Le non-respect du secret professionnel dans le cas de la procédure amiable était donc puni d'une peine de 6 mois d'emprisonnement et d'une amende de 500 à 15.000 F. Il faut toutefois noter qu'à cette obligation au secret professionnel sanctionnée pénalement a été substituée, depuis 2005 par une obligation de confidentialité sanctionnée civilement.
B / L'inapplicabilité du secret professionnel à un tiers partie d'une procédure collective postérieure
Par une digression étonnante, la Cour d'appel semble avoir fait application de ces dispositions au banquier, alors-même qu'il est établi qu'il n'était pas créancier dans le règlement amiable. L'astuce des avocats du banquier réside dans la tentative de détournement de cette disposition au profit du banquier, ce que rejette très clairement la Cour de cassation.
1 – La tentative d'applicabilité à une partie dans une procédure postérieure
Le banquier n'était pas partie au règlement amiable. En effet, le soutien financier qu'il a accordé au débiteur date de la période à laquelle prenait fin l'exécution des contrats, en décembre 1989, soit plus de 2 ans après l'homologation du règlement amiable. Pourtant, on peut aisément comprendre qu'il souhaite obtenir communication de ces documents, puisqu'ils constituent pour lui un moyen de preuve à l'appui d'une future action en responsabilité contre le conciliateur, puisqu'il faut rappeler que c'est le point de départ du litige.
Pourtant, la Cour d'appel semble avoir appliquer cette disposition au banquier, au prix d'un raisonnement perverti. Elle ne semble pas avoir dénié au banquier le droit de se faire remettre les documents convoités au motif de l'obligation professionnelle pesant sur leur détenteur, c'est-à-dire le greffier du tribunal, mais plutôt lui avoir refusé le droit de détenir ses documents au motif d'une nécessité de confidentialité, en reliant celle-ci à l'obligation de secret professionnel. La Cour d'appel ne fonde pas sa décision sur l'interdiction faite au greffier de remettre les documents, mais sur l'interdiction faite au banquier de les détenir ! Ce faisant, elle applique assez maladroitement l'obligation au secret professionnel au banquier, pourtant tiers au règlement amiable.
S'engouffrant dans cette brêche, les avocats du banquier ont fourbé leurs armes et dans le deuxième branche du moyen de cassation, ils rappellent à juste titre que le banquier n'ayant pas été appelée au règlement amiable et n'en ayant pas eu connaissance par ses fonctions, n'est pas tenu au secret professionnel et peut à ce titre disposer des informations.
Dans une troisième branche, le banquier faisait également valoir que l'obligation au secret professionnel était caduc en raison de la fin de la procédure de règlement amiable.
2 – Le rejet par la Cour de cassation
La Cour de cassation rejette ce raisonnement et on ne peut que l'approuver. Le problème n'est pas de déterminer si la banque peut ou non détenir les documents en vertu du fait qu'elle n'est pas tenue au secret professionnelle, mais bien de déterminer si la personne qui détient effectivement ces informations peut les lui remettre ! Il paraît difficile d'affirmer un « droit » – tel est le terme employé par la Cour de cassation dans son premier attendu – à un tiers à une procédure de règlement amiable à « prendre connaissance » d'informations si celui qui les détient ne peut les divulguer ! La Cour de cassation fait donc reposer l'obligation au secret professionnel sur le greffier qui est parfaitement justifié à refuser leur communication à quiconque.
Dans le second attendu, elle affirme l'indifférence de la fin de la procédure de règlement amiable sur l'obligation des parties au secret professionnel ; cette obligation au secret professionnel n'a pas de durée de caducité et ne peut servir à fonder une dérogation permettant à un tiers d'engager la responsabilité du conciliateur.
[u:28zr80dc]II – Une interprétation large des conditions de remise des documents élaborés dans un règlement amiable[/u:28zr80dc]
Il peut être dérogé dans certains cas au secret professionnel auquel sont tenues les personnes appelées à la procédure et les personnes en ayant eu connaissance par leurs fonctions ; certains documents peuvent être remise à certaines personnes bien identifiées (A). La Cour de cassation a dû se prononcer sur l'extention à d'autres documents que ceux mentionnés dans le texte (B).
A / Le conditions de remise de certains documents
Une interdiction totale de divulguer les informations de la procédure amiable aurait des conséquences néfastes, aussi le législateur a-t-il prévu des dérogations dans le décret de 1985. Ces dérogations concernant 2 documents particuliers : l'accord de conciliation et le rapport d'expertise.
1) Les conditions de communication de l'accord de conciliation et du rapport d'expertise
L'article 39 du décret du 1er mars 1985 pris pour application de la loi de 1984 dispose qu'« en dehors de l'autorité judiciaire à qui l'accord et le rapport d'expertise peuvent être fournis, l'accord ne peut être communiqué qu'aux parties, et le rapport d'expertise qu'au débiteur ». Cet article nécessite que l'on définisse clairement les documents dont s'agit.
Par « accord », il faut entendre « accord amiable ». Il s'agit de la somme de tous les accords bilatéraux passés avec les créanciers qui se sont engagés. C'est cet accord qui va être soumis au président du tribunal pour constatation ou au tribunal pour homologation. Il est donc une pièce maîtresse de la procédure de règlement amiable, dans le sens où il fait foi de l'engagement des créanciers et du débiteur. La constatation ou l'homologation lui donnent une force juridique supplémentaire.
Par « rapport d'expertise », il faut entendre le rapport demandé par le président du tribunal de commerce et faisant un état des lieux de la situation économique et financière de l'entreprise en difficulté. Ce rapport, comme son nom l'indique, contient de nombreuses informations sensibles de l'exploitation de l'entreprise.
2) L'intérêt ciblé de la communication de ces documents
La volonté de transparence du législateur est clairement visible dans cet article. Le rapport d'expertise, auquel ne participe pas le débiteur – hormis en communiquant des informations – peut lui être fourni, ce qui semble être le gage de la réussite d'une procédure volontaire de sa part. L'accord amiable peut être fourni aux parties (le débiteur et les créanciers ayant signé l'accord), ce qui permet à chacun de s'assurer de l'engagement des autres créanciers, en vertu du principe selon lequel chaque créancier, même s'il décide seul de la portée de son engagement, ne s'engagera pas s'il n'est pas certain que d'autres créanciers accepteront également de faire les efforts suffisants pour que l'accord, finalement devenu collectif, soit efficace.
Quant à la communication aux services judiciaires, elle participe de la facilitation du travail habituel d'investigation.
B / L'extension jurisprudentielle à toute information et tout document
Le raisonnement du banquier tient largement à une subtilité de langage, qui nécessite que soit opérée une distinction entre accord amiable et rapport de conciliation.
1) La distinction entre accord et rapport de conciliation
Il faut rappeler que le banquier avait demandé et obtenu du président du tribunal de commerce l'autorisation – qui ne constitue absolument pas un jugement – puis du juge des référés, de se faire communiquer par le greffier le « rapport établi par le conciliateur » et le « plan de conciliation ». En appel, il semble que seul la terminologie « rapport de conciliation » ait été utilisée. Voilà donc le problème sémantique posé. Que sont donc ces divers documents ? Il faut remarquer que ni la Cour d'appel, ni la Cour de cassation ne définissent ces termes.
En revanche, ce flou est exploité par les avocats du banquier puisque, aux termes de leur raisonnement, la Cour d'appel qui, pour refuser la communication du rapport de conciliation, oppose à la requête les limites à la communication de l'accord et du rapport d'expertise, fait une fausse application du texte, puisqu'elle l'applique à un document ne figurant pas dans la liste des documents dont la communication est restreinte ! En effet, rapport de conciliation, accord et rapport d'expertise sont trois expressions différentes ! Il apparaît clairement que le banquier essaye de se faire communiquer n'importe quel document qui a pu être établi par le conciliateur pendant sa mission, et il est vraisemblable que le nombre de rapports établis dans une procédure collective et permettant a posteriori d'évaluer le degré de responsabilité du conciliateur dans l'échec de la procédure est important. A cet effet, le banquier défend une interprétation restrictive du texte du décret.
2) L'extension jurisprudentielle
La Cour de cassation rejette le moyen, et encore une fois, cela paraît opportun.
Elle affirme clairement que « l'obligation au secret qui pèse ainsi sur le greffier s'étend à tous les documents relatifs au règlement amiable dont il a connaissance par ses fonctions ». La Cour de cassation stoppe heureusement les velléités sémantiques du banquier. Certes, le texte du décret de 1985 mentionne un nombre limité de documents dont la communication est restreinte, mais la Cour de cassation ne s'arrête pas à cette liste et, au prix d'une interprétation extensive du texte du décret, considére que tous les documents établis par le conciliateur à l'occasion de la procédure sont des accessoires aux deux documents principaux – rapport d'expertise qui pose en quelque sorte la situation sur laquelle le conciliateur va devoir élaborer son plan de règlement et accord amiable, synthèse des accords bilatéraux acceptés par les parties et présenté au président du tribunal ou au juge.
merci et du courage
mais je voulais comprendre ou je dirai même je voulais savoir en quoi consiste le caractère confidentiel du règlement préventif?