Droit à l'enfant ?

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J'ai besoin de vos lumières. Qu'est-ce que le "droit à l'enfant" ?

Il est mentionné dans l'avis du Conseil constitutionnel à propos de la validation de la loi du mariage pour tous et il est résumé ainsi dans son communiqué de presse :

"D'une part, le Conseil a jugé que la loi contestée n'a ni pour objet, ni pour effet de reconnaître aux couples de personnes de même sexe un « droit à l'enfant ».

Sauf qu'en cherchant un peu plus loin, je ne vois pas ni ce qu'il est ni à qui il s'applique.
J'ai pensé à la PMA sauf que rien n'interdit l'adoption plénière de l'enfant du conjoint conçu par PMA à l'étranger. (Article 345-1 du code civil : une seule filiation et un couple marié).
LA GPA ? Elle est interdite pour tous les couples.
J'ai oublié quelque chose ?

Merci

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Bonjour,

En fait le "droit à l'enfant" ne doit pas s'analyser comme le refus de cette prérogative aux couples concernés mais plutôt comme le refus de poser le principe constitutionnel d'un droit à l'enfant qui serait de facto obligatoire et absolu.

Il viendrait alors contraindre les pouvoirs publics et autorités administratives lorsqu'elles se trouveraient confrontés à une demande d'adoption.

D'un point de vue politique, cette position du Conseil est opportune, elle se situe dans la droite ligne de la "politique jurisprudentielle" de la Cour constitutionnelle française. En effet cette dernière a très tôt (16 juillet 1971) affirmé qu'elle n'avait pas le même pouvoir d'appréciation que le législateur. De fait, en refusant de poser le principe du "droit à l'enfant", le Conseil se refuse à influer sur les futurs débats concernant la PMA et la GPA qui surviendront nécessairement.

Enfin, comment pourrait-on avoir "droit à l'enfant" ? Cela signifierait que l'enfant est un droit avant d'être un individu... On le voit, ceci est inconcevable.

Cordialement.

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"Paradoxalement c’est au nombre de ses interdits et non pas de ses permissions que l’on reconnaît une société pervertie. Ainsi une société qui interdit la prostitution avoue son penchant pour la prostitution. Une société qui interdit la drogue avoue son penchant pour la drogue. Une société qui interdit le meurtre avoue son penchant pour le sang.".

http://http://www.juristudiant.com/forum/charte-de-bonne-conduite-a-lire-avant-de-poster-t11.html

Etudiant à l'Université Toulouse I Capitole.

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Merci pour cette réponse claire ! Est-ce que je peux abuser et en poser une autre ?

Le Conseil refuse donc d'influer sur les décisions que prendront les juges en matière d'adoption. Cependant, un juge ne peut que valider l'adoption plénière de l'enfant de la conjointe par l'épouse et ce, même si la PMA est illégale en France pour les couples de femmes. Il n'y aura donc pas de débat sur la PMA puisque des adoptions auront déjà été prononcées (ou disons qu'il sera de pure forme et portera plutôt sur le remboursement ou non par la Sécurité sociale).

Il me semble alors que ce refus de poser le principe constitutionnel d'un droit à l'enfant ne sert à rien... et que la notion de "droit à l'enfant" reste un concept qui n'a pas d'application réelle. De fait, la loi permet l'adoption des enfants nés par PMA. Quant à la GPA, elle est interdite à tous alors pourquoi le Conseil aurait-il fait référence aux seuls couples de même sexe ?

Est-ce qu'il existe d'autres exemples de "concepts" aussi nébuleux ?

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Au plaisir :).

Tout d'abord il me semble que l'absence du principe du droit à l'enfant est valable non seulement pour les couples homosexuels mais aussi pour les couples hétérosexuels.

Ce qui m'amène à penser cela est que si l'on lit le considérant 52 le Conseil affirme :

les couples de personnes de même sexe qui désirent adopter un enfant seront soumis, comme ceux qui sont formés d'un homme et d'une femme, à une procédure destinée à constater leur capacité à accueillir un enfant en vue de son adoption .

On voit donc qu'il réaffirme la primauté de l'intérêt de l'enfant, et la vérification des capacités des parents "candidats" à pouvoir assumer l'enfant.
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"la PMA est illégale en France [...] Il n'y aura donc pas de débat sur la PMA puisque des adoptions auront déjà été prononcées "

Voilà je hache ton texte afin de mettre en exergue un enjeu : en France, des enfants sont adoptés de manière légale mais ont été conçus sur la base d'un procédé qui lui était illégal.

Si du point de vue des conséquences sur la situation existante, le retentissement sera peut-être limité (à voir avec les civiliste), il y a quand même un enjeu politique et moral : "doit-on continuer à accepter que des enfants conçus illégalement qui plus est à partir d'un procédé contraire aux valeurs de la République (principe d'indisponibilité du corps humain)soient adoptés légalement sur le territoire ?".

Car accepté les conséquences d'un procédé illégal, revient à encourager le recours à ce procédé, faute d'alternatives pour certains. Peut-on accepté cet état de fait, a fortiori pour des règles qui intéressent l'ordre public ? Il est évident que débat il y aura, et ce sera un débat de première importance !


la notion de "droit à l'enfant" reste un concept qui n'a pas d'application réelle. De fait, la loi permet l'adoption des enfants nés par PMA.

Il me semble que si, ce principe constitutionnel de "non droit à l'enfant" (a contrario) aura une application concrète. Car il ne peut se limiter aux enfants conçus par GPA. Cela touche l'adoption en général quelque soit le sexe des conjoints.

De plus même s'il s'agissait d'une décision concernant le droit des couples homosexuel, l'on peut se dire, si le Conseil constitutionnel aurait reconnu un droit à l'enfant pour les couples homosexuels, ne l'aurait-il pas a fortiori reconnu pour les couples hétérosexuels ?

Si le Conseil constitutionnel aurait reconnu le droit à l'enfant, cela aurait eu un impact sans précédent dans le droit de la famille. Combien d'individus s'en seraient prévalus lors d'un divorce concernant la garde des enfants ? Ou bien lors d'une adoption non plénière quand on sait aujourd'hui le parcours du combattant que doit surmonter une personne voulant adopter... L'impact est donc important puisque "l'intérêt de l'enfant" devant primer est bel et bien confirmé à travers ce principe constitutionnel.

Quant à la GPA, elle est interdite à tous alors pourquoi le Conseil aurait-il fait référence aux seuls couples de même sexe ?

Comme je te le disais, selon moi, la GPA est interdite actuellement donc il me semble que c'est en prévision des débats futurs... Le "non droit à l'enfant" devant s'appliquer à tous, l'opposition ou la majorité ne pourront alléguer ce principe constitutionnel du droit à l'enfant à leur appuie...

Cordialement.

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"Paradoxalement c’est au nombre de ses interdits et non pas de ses permissions que l’on reconnaît une société pervertie. Ainsi une société qui interdit la prostitution avoue son penchant pour la prostitution. Une société qui interdit la drogue avoue son penchant pour la drogue. Une société qui interdit le meurtre avoue son penchant pour le sang.".

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Etudiant à l'Université Toulouse I Capitole.

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Yn Membre VIP

Elisefanny, le droit est rempli de concepts nébuleux (la vie privée, les "droits à", l'abus, la bonne foi, ...).

Pour faciliter la présentation des "droits", on opère souvent une typologie simple :

- Les droits de première génération : la déclaration de 1789, c'est une liste de droits fondamentaux qui structurent la société (liberté d'aller et venir, d'expression, de conscience, etc.)

- La deuxième génération qui est constituée par la critique marxiste et les critiques du marxisme

- La troisième génération, les "droits à" qui constituent des revendications communautaires, souvent impulsées par les lobbies qui sont caractérisés par leur contradiction : les étrangers revendiquent le droit à l'égalité... mais aussi le droit à la différence, les homosexuels souhaitent la suppression des fichiers qui les désignent en tant que tels mais réclament par ailleurs le droit au mariage (qui n'est rien d'autre qu'un fichier qui met lumière leur orientation sexuelle), ...

Le droit à l'enfant constituent l'un de ces "droits à" ou droits-créances dont l'inverse est le droit à l'avortement (le droit à l'enfant oui, mais l'enfant parfait).

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« Je persiste et je signe ! »

Docteur en droit, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

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Oui, d'ailleurs un auteur affirmait que les droits fondamentaux perdraient de leur substance si l'on continuait à en invoquer la création à tout-va.

Car plutôt que de régir les grands principes de la société ils deviendraient des prérogatives constitutionnellement garanties pour protéger les intérêts particuliers... à méditer :).

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"Paradoxalement c’est au nombre de ses interdits et non pas de ses permissions que l’on reconnaît une société pervertie. Ainsi une société qui interdit la prostitution avoue son penchant pour la prostitution. Une société qui interdit la drogue avoue son penchant pour la drogue. Une société qui interdit le meurtre avoue son penchant pour le sang.".

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Allez, je vais couper les cheveux en 8 !

Dans le considérant 52, le Conseil parle d'adoption par "un couple" ce qui correspond à l'adoption d'un enfant abandonné. Qu'il affirme que les couples de personnes de même sexe devront passer par les mêmes procédures d'agrément reste curieux. La loi n'est-elle pas la même pour tous ? Est-ce que sans cette réserve du Conseil, les couples de même sexe auraient pu exiger qu'on leur fournisse un enfant au nom d'un droit à l'enfant qui serait "supérieur" à celui d'un couple hétéro ?

Le considérant 52 est très instructif car jamais il ne parle de l'adoption de l'enfant du conjoint même dans le cas d'une PMA pratiquée à l'étranger. Je vois 3 explications possibles :

1) l'insémination artificielle avec donneur anonyme n'étant pas autorisée en France pour les lesbiennes, le Conseil considère que ces enfants sont en dehors du champ d'application de la loi dont il devait juger la constitutionnalité.
2) Les membres du Conseil ne savent pas que les lesbiennes ont depuis des années recours à ces IAD en Belgique et en Espagne et que des milliers d'enfants sont déjà nés ainsi. La lecture des journaux ou des forums féminins les en auraient instruit !
3) Le Conseil sait qu'on ne peut pas interdire les adoptions plénières qui se feront dans le respect de l'article 345-1. Il admet la logique de la loi telle que souhaitée par le législateur : la PMA est un moyen de fonder la famille que le mariage a reconnu. Il ne mentionne donc pas l'adoption,par l'épouse, de l'enfant du conjoint car elle se tient en dehors de ses compétences : elle n'est pas anticonstitutionnelle.

Je penche pour la 3 (mais la 2 est peut-être valable pour la partie masculine des membres du Conseil) !

Son refus d'un droit à l'enfant serait donc limité à la GPA dans l'optique d'un débat à venir ? Mais en nombre, elle concerne davantage les couples de sexe différent et en plus, le Conseil ne mentionne que l'accueil d'un enfant par un couple, ce qui n'est pas le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint né par GPA par l'autre personne du couple.

Nébuleux, ce droit à l'enfant le devient de plus en plus. Ou alors c'est le premier concept de quatrième génération : pour contrer le "droit à", le Conseil crée le concept de "non-droit à" et il le fait nébuleusement pour s'opposer au tout aussi vague "droit à l'enfant" :)

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Bonsoir EliseFanny,

Pour ma part j'avais interprété le "droit à l'enfant" au sens large, transcendant la décision en elle même et libérant un principe général. D'où la direction de mon argumentaire. Si on l'appréhende en un sens réduit en effet son impact l'est tout autant.

Après qu'il précise que les couples homos doivent passer par les mêmes procédures que les couples hétéros, je pense que ce n'est pas un problème en soi. Le principe d'égalité devant la loi autorise à ce que devant des situations différentes la loi appliquée soit différente, et qu'on peut l'appliquer à ce cas. Le Conseil constitutionnel aurait alors pu affirmer que "les couples homosexuels pourront adopter des enfants dans les conditions prévues par la loi" : porte ouverte à un blocage de fait pour les homosexuels.

Donc le Conseil contraint le législateur sur ce point : les couples homosexuels sont considérés comme des couples "normaux". Quand on connait l'hostilité de certains courants politiques, c'est une bonne nouvelle que le Conseil ait statué en ce sens.

Je pense avec toi que le Conseil ne mentionne pas l'adoption de l'enfant né sous PMA car il appartient à la Volonté Générale représentée et l'exécutif de faire bouger les choses.

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"Paradoxalement c’est au nombre de ses interdits et non pas de ses permissions que l’on reconnaît une société pervertie. Ainsi une société qui interdit la prostitution avoue son penchant pour la prostitution. Une société qui interdit la drogue avoue son penchant pour la drogue. Une société qui interdit le meurtre avoue son penchant pour le sang.".

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Etudiant à l'Université Toulouse I Capitole.

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En tout cas, on ne peut pas dire que l'avis énoncé par le Conseil constitutionnel soit limpide. Tu vois, on est obligé de chercher des interprétations à ses déclarations et j'en viens à douter de sa connaissance des pratiques des femmes françaises en "mal d'enfant".

Et si le Conseil n'était pas informé des PMA pratiquées "très largement en Espagne et en Belgique" comme l'écrit pourtant le rapport Binet ?
Si sa réserve concernait les seules adoptions connues par lui, soit les traditionnelles et peu fréquentes adoptions de pupilles de la nation et d'enfants à l'international ?

On peut regretter que les débats du Conseil n'aient pas été diffusés. Le droit à l'enfant méritait mieux que des mentions sibyllines qu'il faut triturer dans tous les sens pour non pas éclaircir les choses, mais au contraire, ne plus rien comprendre ! Une vraie pythie, ce Conseil :)