Bonne nuit à tous.
Ma production de cette nuit concernant le droit du travail - le licenciement pour motif économique.
Commentaire d’arrêt : Cass. soc., 12 juin 2001, Sté Sprague.
Le droit du travail a ceci de paradoxal que cherchant à protéger celui, du salarié et de l’employeur, qui est la partie la plus faible, il doit également s’affirmer comme une technique d’organisation du travail dont on sait qu’il peut par certains aspects, nuire à l’emploi. Le droit spécifique du licenciement collectif – protecteur par essence des salariés – est parfaitement codifié, au travers d’articles particulièrement précis, dont on pourrait penser qu’il ne laisse que peu de place à l’interprétation du juge. Pourtant, les hésitations législatives et les choix récents (lois Borloo) traduisent la difficulté de toute politique en matière de licenciement : faut-il davantage encadrer davantage les licenciements au risque de voir fuir les investissements ou les libéraliser au risque de mécontenter les salariés victimes de plans de sociaux aboutissant nécessairement à un renforcement de la « fracture sociale » ?
L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 12 juin 2001 donne une réponse jurisprudentielle – antérieure aux plus récentes lois sur le licenciement économique de 2002 et 2005 – à cette question.
La société Sprague France est une filiale française du groupe international Vishay Intertechnology. Au mois de juin 1996, la société Sprague France a mis en œuvre une procédure de licenciement économique concernant 225 salariés. Le motif invoqué réside dans les difficultés économiques de la société Sprague France consécutives à 3 phénomènes indépendants de la société : un phénomène conjoncturel de destockage, la baisse des marchés et un phénomène de substitution de certains produits.
Certains salariés ont saisi le Tribunal des Prud’hommes en contestant le bien-fondé de leur licenciement.
La Cour d’appel d’Orléans a rendu, le 21 janvier 1999 une décision en faveur des salariés en disant les licenciements sans cause réelle et sérieuse, en proposant la réintégration des salariés avec le maintien de tous leurs avantages et en condamnant la société au paiement de dommages et intérêts, y compris le remboursement aux ASSEDIC des indemnités versées aux salariés concernés dans la limite de 6 mois d’indemnités de chômage.
La société Sprague France s’est pourvue en cassation.
Le problème qui se posait aux juge de cassation concernait les critères d’évaluation de la santé économique d’une entreprise ayant mis en œuvre une procédure de licenciement collectif et d’autre part l’opposabilité du versement à l’ASSEDIC de la prime de conversion pour les salarié concernés à l’obligation de remboursement à ce dernier de l’indemnité chômage prononcée par le juge d’appel.
Concernant la santé économique d’une entreprise dont l’évaluation conditionne la licéité du licenciement, dans quelle mesure peut-elle prendre en compte des éléments concernant le groupe auquel l’entreprise appartient ? Et dans le cas d’un groupe international ?
La Cour de cassation a rejetté les arguments du pourvoi et confirmé, sur les deux moyens, la décision d’appel. Au motif, pour le premier moyen, que « les difficultés économiques invoquées à l'appui d'un licenciement pour motif économique doivent être appréciées au niveau du groupe ou du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national ».
Et pour le second moyen, que « la sanction de l'article L. 122-14-4, alinéa 2, du Code du travail, institue dans la limite du plafond légal, une peine privée accessoire ».
Cette décision constitue une décision de principe pour le premier motif et nous nous attarderons davantage sur ce point. Afin d’analyser l’apport de cet arrêt, nous étudierons d’abord en quoi le régime du licenciement pour motif économique constitue un moyen de rupture des contrats de travail parfaitement adapté au monde économique (I) avant de voir les effets d’une interprétation large de la notion de difficultés économique (II).
I – Un régime du licenciement pour motif économique : du « sur mesure » pour les entreprises :
La rigueur des textes concernant le licenciement économique semble assurer une bonne protection des salarié et de l’entrerprise (A) même si la tentation est grande, de chaque côté, d’en contourner les règles (B)
A – Une double protection : pour l’entreprise et pour le salarié
Le licenciement pour motif économique est défini, paradoxalement, au Livre 3ème du Code de travail au titre II consacré à l’emploi à l’article L.321-1 qui disposait (dans sa version issue de la loi du 2 août 1989), que « constitue un licenciement économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ». Les articles suivants, profondément caractéristiques de l’inflation législative actuelle, en règlent les conditions d’application.
1 – Les conditions d’application
La première condition posée par l’article précédent est l’indépendance du motif de licenciement à la personne du salarié. La distinction est essentielle : le motif inhérent à la personne est tout ce qui n’est pas motif économique. Ainsi sont exclus les motifs liés à l’incompétence professionnelle du salarié ou à sa personnalité, comme par exemple l’incapacité physique d’une femme de 47 ans, responsable de site, que l’employeur, ayant voulu lui confier la mission de monter des pneus, qu’elle a refusé, a licencié pour motif économique en argumentant des difficultés financières que rencontrait l’entreprise et qui nécessitait une transformation des postes de travail (Cass. soc., 14 novembre 2000, sté Scime groupe Mace c/ Mme Dierx).
Le motif économique peut résulter, selon les termes du texte, de deux causes principales qui sont la difficulté économique et la mutation technologique à laquelle la jurisprudence a rajouté la réorganisation de l’entreprise. Toutefois, cette liste ne saurait être exhaustive, la résiliation du droit de bail d’un café par son propriétaire ayant été considérée comme un motif économique (Cass., soc., 16 janvier 2001, société Le Royal Prinemps). Il est à noter que ce licenciement peut avoir pour conséquence aussi bien la suppression de l’emploi que se transformation.
Le texte est de portée large concernant le nombre de salariés pouvant être concernée. Un licenciement économique peut donc parfaitement être individuel. Les textes suivants distinguent des modalités différentes suivant que le licenciement ne concerne qu’un salarié, on parle alors de licenciement individuel pour motif économique, ou plusieurs salariés, on parle alors de licenciement collectif pour motif économique ; il distingue dans ce dernier cas les licenciements concernant moins de 10 salarié sur une période de 30 jours, on parle alors de petite licenciements et ceux concernant plus de 10 salariés, on parle alors de grands licenciements.
La procédure suppose l’information des représentants syndicaux ou à défaut du personnel et subordonne toute la procédure à la mise en place de solutions pour les salariés, avec la priorité au réembauchage, la mise en place d’un plan social et, depuis 2001, d’un plan de conversion. Au terme de l’article L.122-14-2, la lettre de licenciement prononcé pour motif économique « doit énoncer les motifs économiques ou de changement technologique ».
Les régles du licenciement économiques sont donc des régles protectrices des salariés, qui sont informés et que l’entreprise se doit d’accompagne dans une nouvelle vie professionnelle. Mais également protectrices de l’entreprise elle-même qui, soumises à des difficultés économiques réelles, ne dispose plus des moyens de respecter son obligation majeure, à savoir donner du travail à ses salariés. Il est à noter que la Cour de cassation a rappelé qu’aux termes de l’article L.321-1, la situation catastrophique d’une entreprise n’est pas une condition du licenciement pour motif économique (Cass. soc., 9 juillet 1997, sté SDM c/ Mme Rassier).
2 – Les conséquences du licenciement économique
Le salarié licencié pour raison économique a droit à un préavis qui dépend de son ancienneté comme prévu à l’article L.122-6 : suivant les usages de la profession si le salarié justifie d’une ancienneté de services continus inférieure 6 mois, 1 mois de préavis entre 6 mois et 2 ans et 2 mois au-delà, sauf dispositions plus favorables au salarié, issues notamment de convention ou accord de travail.
Il a également droit à l’indemnité minimum de licenciement prévue par l’article L.122-9 et dont le montant est fixé par décret, sachant que, particularité du licenciement pour motif économique, cette indemnité est doublée.
En cas de saisie du tribunal des prud’hommes par un ou plusieus salariés victime de licenciement pour motif économique, il appartient aux juges du fond d’apprécier la réalité des difficultés économiques, comme en dispose l’article L.122-14-3 relatif à l’intime conviction du juge. Il ne doit pas se contenter, par exemple, de la justification d’une baisse du chiffre d’affaires (Cass. soc., 12 décembre 1991, Mlle Bomstein c/ sté SIC). Il va sans dire que la règle de la cause réelle et sérieuse est complètement applicable au licenciement économique. Les salariés licenciés bénéficient également d’une priorité au réembauchage.
Au niveau des sanctions, le même régime que les licenciements pour motif inhérent à la personne est applicable ; il codifié à l’article L.144-14-4. Le juge peut allouer une indemnité qui devra être au minimum de 1 mois de salaire en cas d’illéicité de la procédure et de 6 mois en l’absence de cause réelle et sérieuse, ordonner le respect du délai-congé, la réintégration du salarié s’il le demande ou lui allouer une indemnité d’un minimum de 12 mois de salaire en présence d’un licenciement abusif. Il pourra également accorder des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif ayant causé un péjudice au salarié, notamment à celui qui éprouve des difficultés à retrouver un emploi et éventuellement ordonner la restitution aux ASSEDIC des allocations versées dans la limite de 6 mois de chômage. Concernant ce point, la Cour de cassation, dans l’arrêt Sprague, a confirmé que c’était une obligation pour l’employeur et qu’aucune condition ne pouvait y contrecarrer. Il est intéressant de noter à ce point que le juge a utilisé la formulé « peine privée »… en référence au droit pénal ?
B – Le tentative de contourner les règles :
La portée volontairement générale des textes régissant les conditions de fond du licenciement a amené les juges à faire évoluer la notion de licenciement économique et à connaître des situations de « faux » motif économique.
1 – Les difficultés de fixer la notion de licenciement économique
Dans un premier temps, la Cour de cassation a considéré qu’étaient avérées les difficultés économiques d’une entreprise pouvant justifier d’une baisse chiffrée comptablement de son activité : chiffre d’affaires, résultat, ventes, bénéfice… mais à condition que ces fluctuations ne soient pas liées à des évolutions habituelles du marché (Cass. soc., 6 juillet 1999, M. Morel c/ sté SMAF). En revanche, la simple volonté de réaliser des économies n’étais pas suceptible de constituer un motif économique. Ainsi, en n’apportant pas la preuve que la fermeture d’une site de production n’était pas davantage liée à la volonté d’augmenter ses profits, une entreprise n’a pas mis le juge en situation de qualifier le licenciement pour motif économique (Cass. soc., 17 octobre 2007, sté fromageries Picon). La jurisprudence s’est donc chargée de définir ce motif économique, et elle s’est demandé si la sauvegarde de la compétitivié d’une entreprise ou d’un secteur n’était pas une motif de licenciement économique. Dans un arrêt de principe du 1er avril 1992 (Mme Madrelle c/ sté Renval), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’une modification du contrat de travail décidée dans l’intérêt de l’entreprise pouvait être constitutif d’un motif économique. Cette interprétation extrêmement large de la notion a obligé la Cour suprême à rectifier son point de vue en conditionnant le recours à la notion de compétitivité de l’entreprise à l’intérêt de l’entreprise, à l’exclusion de celui des seuls actionnaires (Cass., 5 avril 1995, sté TRW Repa et Videocolor, supra). Elle a ainsi pu écarter le motif économique au motif que les suppressions envisagées étaient susceptibles de privilégier les profits au détriment des emplois (Cass., 1er décembre 1999, sté Miko c/ Mme Schaffer).
2 – Le « faux » motif économique
On voit donc la tentation qu’il y a à utiliser, de part et d’autre, le moyen du licenciement économique : de la part de l’employeur qui y trouve la légitimisation de son développement économique à l’étranger par exemple, et le salarié qui voit à la fois une meilleure indemnisation financière et un accompagnement vers son avenir professionnel. Dans l’arrêt Mme Madrelle, supra, la salariée avait été considérée comme démissionnaire pour avoir refusé une modification de son contrat de travail et la Cour d’appel avait requalifié la démission en licenciement pour motif économique.
Pourant, l’arrêt Sprague contient une donnée différente de tous les cas précités : c’est le recours à une partie tierce au contrat de travail.
II – L’interprétation large de la notion de difficultés économiques :
La décision de la Cour de cassation viole le principe fondamental de l’effet des contrats (A) et cet attendu peut paraître inquiétant (B).
A – La décision de la Cour de cassation autorise la violation du droit des obligations
1 – La violation de l’article 1162 du Code civil
L’article 1162 du Code civil dispose que « les contrats n’ont effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans les cas prévues par l’article 1121 » relatif à la sipulation pour autrui.
Bien que droit spécial dont on sait qu’il déroge au général, le droit du travail reste tout de même un droit contractuel, qui devrait par conséquent être limité à régler les obligations entre les parties.
Or, on le voit, la Cour de cassation fait explicitement référence à une partie tierce au contrat, la société mère, dont le siège social est à l’étranger. Le juge dit explicitement que « les difficultés économiques […] doivent être appréciées au niveau du groupe ou du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise ». Cette décision n’est pas isolée, puisque le même jour, la même formation a décidé que le motif économique n’était pas applicable au licenciement d’un salarié dont l’employeur indique sur sa lettre de licenciement qu’il est du à la fermeture en France d’une activité en difficulté au niveau mondial. Les juges ont retenu que l’activité n’était pas en difficulté partout dans le monde et a condamné l’employeur à une indemnité de 425.000 F pour licenciement abusif (Cass. soc., 12 juin 2001, sté SG Warburg c/ M. Charon).
2 – Une violation fondée sur la protection des salariés
Par cet arrêt, la Cour de cassation a donné une leçon au législateur, en favorisant délibérément la protection des salariés. Peu importe désormais que l’entreprise ait des difficultés financièrement localement, il sera toujours possible de rechercher si elle dispose de secours, y compris au niveau mondial pour refuser le motif économique de licenciement.
B – Un attendu de principe de la Cour de cassation inquiétant
1 – L’absence d’explications de cet attendu
Il est intéressant de noter que dans aucun des 2 cas pré-cités, la Cour de cassation n’ait jugé bon de donner des explications à sa décision. Ainsi, elle considère comme normal que la société mère d’une filiale, détentrice d’une obligation sur cette dernière, au travers soit d’un contrat commercial, soit de la prise d’actions ou de parts de société, puisse financièrement « venir au secours » d’une société en difficulté financière et que ceci incluse le maintien de l’emploi. S’il est vrai que les résultats financiers d’une filiale sont importants pour la société mère, il paraît peu probable que les déboires d’un chef d’entreprise avec ses salariés puisse intéresser, de près ou de loin, un groupe d’actionnaires de Wall Street !
2 – les difficultés prévisibles de l’application du régime du licenciement pour motif économique
Comment vont réagir les entreprises, de plus en plus mondialisées et bénéficiaires de droits financiers et de pouvoirs complètement entremêlés ? Vont-elles encore renforcer l’opacification de leurs structuration, rendant ainsi plus difficile le travail du juge pour saisir … il est 2h30 du mat’, je suis super naze.
Bonne nuit tout le monde.