« Les lois rencontrent toujours les passions et les préjugés du législateur. Quelquefois elles passent au travers, et s'y teignent quelquefois elles y restent, et s'y incorporent ». Cette phrase du philosophe et un des pères fondateurs de la Constitution française, Montesquieu montre à quel point la notion de loi est prépondérante au sein d’un Etat de droit. Elle représente la volonté générale et régit les comportements des hommes afin d’éviter l’anarchie. Cependant, la loi peut paraitre de prime-abord parfaite. Mais le législateur ne l’est pas. Ce dernier, choisi par le peuple pour le représenter et agir en son nom, peut faire de la loi un instrument de contrôle du pouvoir. C’est pour cela qu’une partie de ce pouvoir législatif est conféré à l’Administration, sous la forme d’ordonnances. Il est donc important de définir ces concepts avant de rappeler le contexte où l’ordonnance est apparu et comment elle a fait l’objet d’une qualification pour le moins imprécise mais tonitruante : La loi administrative.
La notion de loi n’est juridiquement pas dissociable da la notion d’ordre. Faire la loi, c’est ordonner. Au sens formel, c’est une règle de droit écrite, générale, et permanente, adoptée par le Parlement selon la procédure législative et dans le domaine de compétence établis par l’article 34 de la Constitution de 1958. Il apparait donc clair que la loi est du domaine de compétence du Parlement et qu’elle ne doit être ratifié et votée que par ce dernier, sans quoi la volonté générale serait violée. Néanmoins, au sens matériel, c’est une règle de droit édictée, qu’elle soit d’origine parlementaire ou non (règlements, ordonnances, arrêtés, etc…).
Mais pourquoi donc l’Administration use-t-elle d’une partie d’un tel pouvoir ?
L’Administration, subordonnée en son sommet au pouvoir exécutif, est l’organe chargé d’assurer le service public. Au sens formel, il s’agit de la puissance publique. Dans l’étude de ce cas, on entend par « Administration » le Président de la République et le Gouvernement.
De ce fait, il est donc question d’une possibilité d’existence d’une « loi administrative », de sa portée et de ses limites. Il s’agit de mettre en avant les rapports des trois pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) entre eux au sujet de la loi. On ne traite pas du système de législation classique du Parlement mais seulement du système d’ordonnances prévu par la Constitution.
Afin de brièvement rappeler le point de départ historique qui a permis le développement de cette idée de « loi administrative », il faut revenir aux prémices de la Vème République où le Président de la République Charles de Gaulle voulait à tout prix renforcer les compétences et le pouvoir de l’exécutif. Son intention était de contrer le parlementarisme hérité de la IIIème République. A cette époque, on appelait la sphère politique française le « régime des partis ». Les différents partis politiques se disputait le contrôle du Parlement sans se soucier de la volonté générale qui, rappelons le une nouvelle fois, est la qualité essentielle de la loi. Le Parlement était trop puissant et soumettait le pouvoir exécutif qui n’en était qu’un pantin. De Gaulle cerna donc l’urgence de la situation et proposa, après le cuisant échec de la IVème république où il tenta de rationnaliser le parlementarisme exacerbé de l’époque, un projet de Constitution pour la Vème République. Projet promulgué et qui disposait en son article 38 que « le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Une nécessaire restructuration des institutions voit le jour. L’Administration peut désormais légiférer, sous conditions exceptionnelles et approbation du Parlement. Cependant, la brèche fut ouverte pour ce que Yves Gaudemet va appeler plus tard la « loi administrative » ou l’abus de pouvoir de l’Administration et son surpassement de fonction.
Tout l’intérêt du sujet va donc être d’analyser le comportement de l’Administration à travers l’ordonnance pour mettre en exergue son outrepassement de pouvoir quant au fait de légiférer, qui menace l’essence même de la loi qui est de représenter et de matérialiser de façon concrète la volonté générale de la Nation.
Yves Gaudemet considère dans son étude qu’il existe un abus d’usage de l’ordonnance par l’Administration et que l’habilitation et la ratification essentielles de ces ordonnances par le Parlement sont contournées par l’Administration. Il pointe également du doigt la dégradation du vocabulaire et de la justesse juridique rigoureuse au profit du vocabulaire politique. Schématiquement, il considère que les ordonnances sont devenues des « lois administratives » car elles ne souffrent plus d’aucune limite par le Parlement et qu’elles ont la conséquence d’un système normatif cherchant à rallier plutôt qu’à entretenir une réelle justice.
Au regard de la jonction de ces phénomènes juridiques, dans quelle mesure peut-on affirmer que l’apparition d’une « loi administrative » menacant la volonté générale est à nuancer ?
Il est nécessaire de rappeler que le développement de la pratique de l’ordonnance par l’Administration met parfois le corps législatif en marge de l’élaboration de la loi, ce qui constitue une atteinte à la suprématie de la volonté du peuple (I) avant de montrer que ce mécanisme est doté de limites incarnées par le juge et le parlement, sans quoi on nierait la démocratie et l’Etat de droit (II).
I/ La substitution de la loi par l’ordonnance : Un outil constitutionnel redoutable aux mains de l’Administration
L’Administration se caractérise depuis 1958 par une volonté de « légiférer » due à la multiplication des ordonnances (A) et s’approprie le système normatif à des fins politiques, à défaut d’un but de justice suprême (B).
A) Une volonté indiscutable de « légiférer » de la part de l’Administration à travers la multiplication des ordonnances
L’Administration dispose d’une volonté de légiférer et ce en plusieurs points. Tout d’abord, le pouvoir exécutif ne veut se plier aux désirs du Parlement, qui pourrait freiner son action. De plus l’article 38 cité plus haut permet à l’Administration de prendre des mesures législatives en adéquation avec l’accord du Parlement. Cependant, l’Administration trouve un détour permettant de légiférer sans pour autant être contrôlé par le Parlement : La ratification implicite. Si le Parlement ratifie une partie déterminante identique au projet d’ordonnance de l’Administration, alors le projet est réputé ratifié. Cette pratique permet de faire passer certaines dispositions au sein des ordonnances que le Parlement n’aurait pas accepté. C’est déjà là l’apparition d’une prémisse de « loi administrative » car le pouvoir exécutif adopte un texte légal qui va s’imposer à tous les citoyens mais dont le Parlement n’aura pas accepté toutes les dispositions. Cette manière d’agir fragilise l’équilibre et la sécurité juridiques.
De plus, depuis que l’Administration peut jouir de cet article 38, une multiplication des ordonnances et une systématisation à leur recours est observable. C’est très simple mais quelque peu pourvu d’une teinte de subtilité. Le gouvernement opère un dessaisissement du Parlement en matière législative avec pour motif « l’exécution de son programme ». Il peut légiférer à travers une ordonnance s’il « précise la finalité des mesures qu’il se propose de prendre et leur domaine d’intervention ». Le gouvernement, qui dispose donc de plus de marge sur son habilitation va multiplier ses ordonnances, qui rappelons le, ont valeur juridique. Par exemple, en 2004 il y avait eu plus d’ordonnances publiées que de lois ratifiées. Cela fait écho avec l’analyse de Gaudemet, qui en 2006, dénonce déjà l’avènement d’une « loi administrative » illégitime car fruit de la volonté d’une Administration et non des représentants de la Nation.
De plus, et pour accentuer l’évolution historique de cet essor de la « loi administrative », l’article 49 alinéa 3 de la Constitution de 1958 apparait comme la plus profonde agression aux valeurs de notre système représentatif. Il dispose que « le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ». Ce fameux 49-3 est l’argument ultime de l’existence d’une législation administrative. Il permet au Gouvernement de faire automatiquement adopter un texte sans l’accord du Parlement et est qualifié par l’opinion publique de tue-démocratie.
L’Administration se distingue donc par une grande volonté de légiférer et d’éviter le contrôle parlementaire. Mais un argument contre pourrait être d’avancer que le Parlement a toujours le contrôle car il peut voter la motion de censure du projet de loi ou simplement de ne pas ratifier le projet d’ordonnance. Cependant, il est important de ne pas oublier que la majorité parlementaire a tendance depuis plusieurs années à être du côté du gouvernement, ce qui confirme d’avantage l’existence d’une « loi administrative » et d’une utilisation du droit à des fins politiques.
B) Une appropriation du système normatif à des fins politiques
Yves Gaudemet le rappelle dans son analyse, l’Administration s’approprie la loi pour un but politique.
Lors de campagnes électorales, la loi est utilisée en guise de promesse et est devenue un outil d’élection au centre des programmes. Elle est donc dénaturée car elle ne suit plus le but de volonté et d’intérêt général mais un but purement destiné à menacer ou se prévaloir d’une chose. Les objectifs de la loi de poser des obligations et garantir des droits n’ont donc pas de sens dans cette utilisation. Il s’agit de s’interroger sur la volonté même d’adopter un tel système et la question de la « légalité » des ordonnances se posent de facto. Cette permission dégage une sorte de paradoxe avec la Constitution et l’organisation des institutions elles-mêmes. Pourquoi autoriser le pouvoir exécutif à légiférer alors que son rôle même est de faire exécuter ? Cela traduit une peur du Parlement et de ce qu’il a pu représenter par le passé sous la IIIème République.
Mais encore, l’article 16 de la Constitution de 1958 dispose que « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel ». Cet article prévoit les pleins pouvoirs au Président de la République en cas de menace contre la Nation. Cela parait être de bon augure. Cependant, il faut analyser la pratique après la théorie.
Effectivement, l’arrêt Rubin de Servens du Conseil d’Etat en date du 2 mars 1962, rappelle aux requérants que le juge administratif n’était pas compétent afin d’annuler le recours à l’article 16 par Charles de Gaulle car il s’agit d’une mesure législative et que les actes pris pendant son recours sont des actes législatifs. En l’espèce, de Gaulle avait invoqué l’article 16 de la Constitution afin de mettre fin au Putsch d’Alger en 1961. Les requérants estimaient qu’il n’y avait aucune menace grave à l’encontre de la Nation. Le plus important est que de Gaulle a continué à recourir à l’article 16 jusqu’au 29 septembre 1961 alors que le putsch a été maté en avril 1961. Ce qui pose la question du respect de la Constitution par l’Administration d’une part, et qui montre avec évidence et fermeté l’existence non seulement, mais l’activité intense de la « loi administrative ».
Cette « loi administrative » se fait au détriment de l’appropriation des normes supérieures à des fins politiques. Elle met en danger la démocratie républicaine, ce dont se rendent compte le législateur et le juge, qui use de tout leur pouvoir afin de la contenir.
II/ Les pouvoirs législatif et judiciaire : Limites à la « loi administrative »
Le projet d’ordonnance de l’Administration soumis à un accord décisif du Parlement (A) et surveillé de près par l’attention du juge en cas d’abus (B) montrent qu’il existe bel et bien une limite à l’émergence d’une « loi administrative ».
A) Un projet d’ordonnance soumis en amont et en aval au Parlement
Un projet d’ordonnance de l’Administration nécessite obligatoirement une habilitation du Parlement. C’est-à-dire que cette dernière octroie la capacité légale à l’Administration de produire un acte à valeur de loi. Ce système se pose comme une limite à la notion de « loi administrative » en ce que ce dernier permet à l’Administration de faire une partie de la loi sous le contrôle du Parlement toutefois. Cette mesure sonne comme une autorisation d’entrer dans son domaine par le pouvoir législatif.
De plus, il est nécessaire que le projet d’ordonnance soit ratifié par le Parlement sans quoi il ne serait qu’un acte réglementaire devant être conforme à la loi, le privant ainsi de son originalité normative et limitant la portée qu’il aurait eu.
La décision Canal, Robin et Godot du Conseil d’Etat en date du 19 octobre 1962, annule une ordonnance prise par le Président de la République dans laquelle il institue une cour militaire de justice, s’appuyant sur la réponse positive du peuple quant à l’adoption de l’accord d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie et donnant le droit au Président de la République de prendre par ordonnance des mesures législatives ou réglementaires pour l’application de ces accords. Le Conseil d’Etat se base considère qu’il était donné une habilitation au Président de la République pour prendre exceptionnellement des mesures qui relèvent du domaine de la loi et qu’il ne lui ait pas donné le pouvoir d’exercer lui-même le pouvoir législatif. L’habilitation lui accordant d’instituer une cour militaire de justice, elle ne lui accordait cependant pas de porter atteinte aux principes du droit pénal.
Cette décision met en lumière les efforts du juge et du Parlement afin de limiter ce qui était à l’époque des « décrets-lois ». Elle rappelle que le l’Administration doit agir dans le domaine de la loi précisée par le Parlement et qu’elle ne peut y déroger.
La ratification implicite abordée plus tôt n’est en réalité observable qu’en cas de passivité du Parlement ou d’accord de ce dernier sur le principe général du projet d’ordonnance. Cela traduit un contrôle continue du Parlement sur la procédure car même en cas de « loi administrative » ce dernier l’aurait au moins partiellement accepté. Il parait rare qu’une telle loi passe en étant en totale contradiction avec le Parlement, qui dispose d’un droit de motion de censure. La « loi administrative » n’est au final qu’une notion dont les termes rigides effrayent les amateurs de politique mais ne dégage pas de danger réel à l’encontre de la volonté du peuple.
Cependant, la « loi administrative » peut être le fruit d’une majorité présidentielle au Parlement. Il parait logique que si le parti du Président de la République domine le Parlement, ce dernier suivra lors des votes de ratification et le risque parait être un foisonnement de « lois administratives ». Dans ce cas de figure, il est difficile pour le Parlement d’imposer une limite à ce phénomène. Le juge reste le seul capable de réellement contenir ce rouage qui, tacitement, rejette la démocratie telle que la Loi fondamentale la consacre en France.
B) Le juge : Garant de la préservation de l’Etat de droit face aux potentielles ingérences de l’Administration dans le domaine de la loi
Le juge protège les Principes Généraux du Droit et les Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République lorsque l’Administration « légifère ».
Par exemple, le Conseil d’Etat dans l’arrêt Fédération régionale ovine du Sud-est du 30 juin 2003, considère que le Gouvernement peut prendre des mesures du domaine de la loi par ordonnance, mais que cette dernière doit obligatoirement être ratifiée par le Parlement.
De plus, dans l’arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier du 5 mai 1944, le Conseil d’Etat considère qu’il existe un principe du droit à la défense et que l’individu faisant l’objet d’une mesure doit être informé afin de préparer une défense. Il annule la décision du préfet d’interdire l’occupation à une femme d’un kiosque dont elle était titulaire.
Dans ces deux arrêts, le juge protège le Parlement et les principes généraux du droit, il protège l’intérêt général et la volonté de la Nation. Le juge apparait comme le dernier rempart fasse à l’exorbitance de la « loi administrative », arme redoutable d’un gouvernement issu de la majorité parlementaire. Le Conseil Constitutionnel intervient également pour essayer de limiter les pouvoirs d’un gouvernement devenu trop fort sous la Vème République. Le juge vient donc rappeler l’essence même du droit administratif : C’est un droit jurisprudentiel qui se construit autour des décisions du Conseil d’Etat. L’absence de Code Administratif montre bien la volonté d’encadrer ce pouvoir exorbitant de droit commun et de le délimiter à l’exercice du service public. Le juge considère que le pouvoir législatif appartient aux représentants de la Nation et que, en dépit de l’existence d’une « loi administrative », cette dernière connait des limites sans lesquelles nous serions au sein d’une dictature administrative.
Dernière modification : 09/10/2022 - par Cid Gherbi
Bonjour
Est-ce que c'est un corrigé ou est-ce que vous nous demandez un avis sur votre travail ?
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Bonjour, il s’agit bien d’une de mes compositions. Je souhaitais la partager ici car je la trouve très intéressante. Bien à vous.