Opposabilité de la doctrine administrative et abus de droit:la particularité du montage artificiel

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Fiscus Redacteur

L’évolution de l’articulation entre la garantie contre les changements d’interprétation de l’Administration et la répression de l’abus de droit par fraude à la loi.

(Conseil d’État, 28 octobre 2020, Charbit)





L’abus de droit par fraude à loi est une création prétorienne du Conseil d’État (CE, juin 1981). Aujourd’hui prévu à l’article L64 du livre des procédures fiscales, il permet à l’Administration d’écarter comme ne lui étant pas opposables des actes constitutifs d’un abus de droit. La sanction prévue est une majoration de 80% de la somme de l’imposition normalement due. L’objectif de cette disposition est de replacer le contribuable dans la situation dans laquelle il aurait été s’il n’avait pas réalisé la manœuvre frauduleuse. Le droit de l’union européenne reconnait lui-même un principe général de répression des abus de droit par fraude à la loi fiscale (CJCE, 21 février 2006, Halifax).



Pour autant, la mise en œuvre d’une telle procédure repose de façon cumulative sur un critère objectif et un critère subjectif. Le contribuable doit avoir fait l’application littérale d’un texte par opposition au but recherché par les auteurs, dans un but exclusivement fiscal (CE, 26 septembre 2006, Janfin confirmé par CE 28 février 2007, Ministre c/ Persicot).



La question délicate de déterminer s’il était possible de mettre en œuvre le mécanisme de l’article L64 du LPF lorsque le contribuable se place, de manière frauduleuse, sous le coup des instructions plus favorables d’une doctrine administrative s’était déjà posée. La Haute juridiction avait alors fait primer les garanties prévues par l’article L80 A du LPF, dont le but est de protéger le contribuable contre les changements d’interprétation de l’Administration, en considérant qu’il n’était pas possible pour celle-ci de mettre en œuvre le mécanisme de répression de l’abus de droit (CE, 8 avril 1998, SDMO). La délicatesse de cette question résultait dans l’idée que si l’abus de doctrine était reconnu possible, alors indirectement il pourrait être considéré que celle-ci est une norme. Pourtant, en vertu de l’article 34 de la Constitution, seul législateur est compétent pour créer, déterminer les taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. Dès lors, il s’agirait d’une atteinte au principe de la légalité fiscale et du consentement à l’impôt. Le pouvoir d’interprétation de l’Administration n’a pas vocation non plus à lui donner un pouvoir réglementaire (CE, 8 mars 2013, Avis Monzani). Pour une grande partie de la doctrine, notamment Jérôme Turot, les interprétations de l’Administration ne sont pas constitutives d’une norme.



Mais dans une récente décision, elle a considéré qu’il était possible d’écarter les garanties prévues par l’article L80 A du LPF et de mettre en œuvre le mécanisme de répression de l’abus de droit par fraude à la loi, prévu par l’article L64, lorsque le contribuable se place sous le coup des instructions plus favorables d’une doctrine administrative par le moyen d’un montage artificiel dénué de substance économique (CE, 28 octobre 2020, Charbit). À charge pour l’administrative de prouver par des « éléments objectifs » l’existence d’un montage artificiel. Le Conseil d’État reste prudent et, s’il rejette effectivement le pourvoi, ne valide pas les motifs retenus par la Cour d’Appel de Paris. En effet, celle-ci avait considéré qu’il était possible de retenir du terme « décisions » de l’article L64 du LPF, les interprétations fournies par l’Administration. La doctrine s’est particulièrement agitée de cette prise de position au regard du principe de la légalité fiscale. Le Conseil d’État, plus prudent, n’a pas retenu les moyens de la Cour. Le terme décision ne saurait, ainsi, faire référence aux interprétations de l’Administration.



Cette décision s’inscrit dans un contexte plus large dans lequel le Conseil d’État étend le champ d’application de l’article L64 du LPF. Récemment, il a reconnu la possibilité de mettre en œuvre ce mécanisme lorsque la norme abusée est une convention internationale ne prévoyant pas expressément une telle hypothèse (CE, 25 octobre 2017, Verdannet). Nul doute que cette décision participe à la lutte pour une justice fiscale et une égalité du citoyen face à l’impôt, dans un contexte où celui-ci est de plus en plus contesté. Dernière modification : 19/02/2021 - par Isidore Beautrelet